Le pessimisme augmente sur les marchés en raison des incertitudes

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

5 minutes de lecture

L’inflation devrait toutefois ralentir par rapport aux niveaux actuels et aucune récession imputable à la hausse des taux d’intérêt ne devrait surgir.

©Keystone

Il y a dix jours, le S&P 500 a baissé de 2,8%, reflétant une hausse des inquiétudes des investisseurs face au rythme du resserrement monétaire, face à la recrudescence de facteurs défavorables en Chine et face à l’intensification de la guerre en Ukraine. Depuis fin mars, l’indice a baissé de près de 6% et il essuie à nouveau une correction depuis le début de l’année (–10%).

Ces baisses font suite aux propos du président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell. Selon lui, une hausse de 50 points de base (pb) était «sur la table» lors de la réunion du comité de politique monétaire en mai. Il a ajouté que le marché du travail américain se trouvait dans une situation de surchauffe «insoutenable».

Ses remarques ont incité les marchés à revoir à la hausse le rythme probable du resserrement de la politique monétaire. Cela a conduit les prix des contrats à terme à refléter une probabilité de près de 100% d’augmentations de taux de 50 pb lors des trois prochaines réunions de mai, de juin et de juillet.

Les prévisions du marché pour le niveau de fin d’année des taux des fonds fédéraux ont augmenté de 2,47% à 2,83%, accentuant les craintes que la Fed puisse faire basculer l’économie dans une récession. Lors de la semaine en question, le rendement des bons du Trésor américain à deux ans a augmenté de 23 pb à 2,68% et celui des bons à dix ans de 7 pb à 2,9%.

La rhétorique des décideurs de la Banque centrale européenne était également plus agressive. Le vice-président, Luis de Guindos, a affirmé qu’une hausse des taux d’intérêt était «possible» à partir de juillet.

Hausse des prix des biens de production

Parallèlement aux déclarations moins accommodantes de la Fed, les dernières données flash du PMI (l’indice des directeurs d’achat) américain ont montré une hausse des composantes des prix des biens de production à la fois dans l’indice manufacturier et dans celui des services.

Le communiqué de presse de Markit (entreprise américaine d’information économique) a affirmé que «les producteurs et les prestataires de services ont enregistré des hausses record dans un contexte de très forte augmentation des prix des biens de production». Cela va à l’encontre de l’idée selon laquelle l’inflation a atteint un sommet.

Des chiffres encourageants pour les entreprises

Plus encourageant, la saison de publication des résultats du premier trimestre aux Etats-Unis a connu, dans l’ensemble, un bon démarrage. 80% des entreprises du S&P 500 ont battu les prévisions des bénéfices, alors qu’environ un quart des entreprises ont publié leurs chiffres à ce jour.

Dans l’ensemble, les entreprises ont dépassé les attentes de 6% et les prévisions de bénéfices pour le second trimestre n’ont pas changé (pas de révisions négatives). Cependant, certains chiffres décevants ont été très médiatisés, comme ceux de Netflix, dont l’action a perdu un tiers de sa valeur le lendemain de leur publication.

La réduction du nombre d’abonnés à Netflix illustre une perte d’activité pour certains bénéficiaires de la pandémie. En effet, les consommateurs réorientent leurs dépenses vers des activités liées à la réouverture de l’économie (compagnies aériennes, hôtels, billets de concert). American Express, par exemple, a annoncé une forte reprise des dépenses des entreprises en matière de voyages.

La croissance chinoise pénalisée

Dans le même temps, la Chine a continué de renforcer sa politique de tolérance zéro face au Covid-19. Les autorités de Shanghai ont annoncé que les restrictions strictes sur la mobilité seraient étendues. Les autorités pékinoises ont également ordonné des tests de masse pour les résidents du plus grand quartier, ce qui a conduit de nombreux habitants à stocker de la nourriture par mesure de précaution.

La réponse de la Chine au variant Omicron pénalise la croissance. La Recherche d’UBS anticipe désormais une croissance du PIB chinois de 4,2% cette année et elle a réduit ses prévisions de croissance des bénéfices de l’indice MSCI China pour l’ensemble de l’année 2022 de deux points de pourcentage, à 11%. Cela afin de refléter le ralentissement de la consommation et une certaine pression du secteur industriel.

Les actions sont mal vues

En outre, la guerre en Ukraine s’est intensifiée. La Russie a lancé un nouvel assaut sur l’est du pays. L’incertitude est grande quant à la portée des sanctions contre la Russie et à leurs retombées économiques potentielles, surtout que l’Union européenne a entamé des pourparlers qui visent à interdire le pétrole russe.

Enfin, l’attitude du marché à l’égard des actions reste négative. Dernièrement, Reuters a rapporté que 15,2 milliards de dollars ont été retirés des fonds de placement en actions à l’échelle mondiale au cours de la semaine du 20 avril, selon les données de Refinitiv Lipper. Il s’agit du plus important retrait hebdomadaire depuis le 15 décembre.

A quoi faut-il s’attendre?

Selon la Recherche d’UBS, le marché a peut-être anticipé un resserrement trop important de la politique monétaire de la Fed cette année. Il y a un mois, le graphique «dot plot» (qui représente les estimations de l’évolution des taux d’intérêt) de la Fed indiquait un taux de fonds fédéraux de 1,9% en fin d’année. Le marché s’attend désormais à ce que ce niveau soit atteint en juillet et que les fonds fédéraux terminent l’année à 2,83%.

• Atténuation de l’inflation et des difficultés d’approvisionnement

Le ton incisif de la Fed dissimule certains signes encourageants. Les distorsions de prix liées à la pandémie commencent à s’atténuer, tandis que la hausse des prix de certains biens est en train de fléchir, voire de s’inverser.

L’IPC (l’indice des prix à la consommation), hors énergie et alimentation, est ressorti en hausse de 0,3% en glissement mensuel en mars, la plus faible progression depuis septembre. A l’avenir, l’inflation devrait également ralentir en raison des effets de base. Les difficultés d’approvisionnement s’atténuent quelque peu. Les coûts du fret affichent une diminution. L’indice Baltic Exchange Dry est en baisse d’environ 60% par rapport au pic d’octobre 2021.

• Augmentation des salaires avec gains de productivité

Le taux de participation au marché du travail aux Etats-Unis a légèrement augmenté pour atteindre 62,4% en mars, son niveau le plus élevé depuis le début de la pandémie. En outre, jusqu’ici, les augmentations de salaires substantielles s’accompagnent de gains de productivité, ce qui tempère l’impact inflationniste des salaires plus généreux.

• Crainte d’une récession

Mais au vu de la rhétorique incisive de la Fed concernant l’inflation persistante, les craintes d’une récession provoquée par la banque centrale resteront vives. Et cela tant que les chiffres n’indiqueront pas clairement une modération du renchérissement.

De même, la Fed s’attend à ce que le resserrement de sa politique monétaire freine l’inflation mais qu’elle inflige également des dommages collatéraux à la conjoncture. Avec le ralentissement de la croissance, toute détérioration des principaux indicateurs pourrait amener les marchés à revoir à la baisse le rythme de certaines hausses de taux.

Si une inflation soutenue et une Fed plus agressive représentent un risque pour la conjoncture et pour les marchés financiers, une récession aux Etats-Unis dans les douze prochains mois n’est probablement pas à l’ordre du jour. La dynamique de croissance est solide. Les indices ISM de l’industrie manufacturière et des services affichent une progression confortable. Le marché du travail est tendu, les salaires augmentent et la situation financière des ménages est saine.

L’augmentation des rendements, toutes choses égales par ailleurs, réduit l’attrait relatif des actions par rapport aux obligations. Mais cela doit être considéré dans le contexte de la forte croissance des bénéfices des entreprises.

• Pressions sur les coûts

Les pressions sur les coûts occupent le devant de la scène mais elles sont conformes aux chiffres observés au cours des derniers trimestres. Au premier trimestre, les entreprises américaines sont parvenues à répercuter la hausse des dépenses sur leurs clients.

En conséquence, les marges bénéficiaires résistent bien et elles dépassent les attentes. Les estimations du BPA (bénéfice par action) du S&P 500 sont de 230 dollars pour 2022 (en hausse de 10%) et de 245 dollars (en hausse de 7%) pour 2023.

Comment investir?

Dans le scénario de base de la Recherche d’UBS, l’inflation devrait ralentir par rapport aux niveaux actuels et aucune récession imputable à la hausse des taux d’intérêt ne devrait surgir. Par conséquent, le marché des actions dans son ensemble devrait terminer l’année en hausse. Cependant, le positionnement devrait être orienté vers des domaines du marché qui sont en mesure d’afficher une bonne performance dans un environnement d’inflation élevée, de hausse des taux d’intérêt, ainsi que de volatilité élevée.

La Recherche d’UBS se concentre sur les domaines suivants:

• Les matières premières

Les matières premières affichent globalement de bonnes performances en période d’inflation et elles constituent une couverture géopolitique efficace compte tenu du risque de nouvelles perturbations de l’approvisionnement en raison de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

Les indices de rendement total des matières premières peuvent encore certainement progresser de 10% au cours des six prochains mois. Il est toujours conseillé aux investisseurs de maintenir une position longue sur les matières premières, avec une préférence pour une exposition active à celles-ci.

• Les secteurs de valorisation

Les secteurs de valorisation, comme l’énergie, sont moins impactés par la hausse des taux d’intérêt que les secteurs de croissance, comme la technologie, où les valorisations ont tendance à dépendre davantage des bénéfices futurs.

• Les valeurs défensives

Désormais, la Recherche d’UBS privilégie une approche plus équilibrée à l’égard des secteurs cycliques et défensifs dans son positionnement en actions, l’énergie et la santé étant les secteurs préférés.

Les actions du secteur de l’énergie restent bon marché et elles ne font qu’escompter un cours du pétrole aux alentours de 70 dollars le baril. Une exposition accrue à des secteurs défensifs comme les soins de santé peut contribuer à réduire la volatilité globale.

• Les obligations

En ce qui concerne les obligations, la hausse des rendements laisse entrevoir des opportunités de valorisation. Le mois dernier, La Recherche d’UBS a retiré sa notation «Least Preferred» sur les obligations Investment Grade.

On décèle un potentiel de valorisation dans les swaps sur défaillance de crédit en Europe, ainsi que dans un panier sélectionné d’obligations à duration courte des marchés émergents. On entrevoit également une opportunité dans les obligations à haut rendement à engagement environnemental, social et de gouvernance (ESG).

Enfin, pour les investisseurs désireux et capables d’immobiliser leur capital et d’accepter le risque supplémentaire que cela implique, le prêt direct peut être l’occasion d’engranger des revenus accrus, supérieurs aux rendements du marché public.

A lire aussi...