Il est toujours tentant de se reposer sur l’histoire pour se projeter vers l’avenir.
Plus les mois avancent et plus la fin du processus de rachat d’actifs par la Réserve Fédérale approche. L’annonce d’une réduction de celui-ci est imminente. La conviction du marché sur cette question est faite, ouvrant ainsi la voie à une discussion tant sur la vitesse avec laquelle la Fed procèdera à cet ajustement que sur le timing de la première hausse des taux aux Etats-Unis.
Dans le processus de changement de cap des politiques monétaires, certains pays émergents – voire certains pays développés – ont une longueur d’avance sur les USA mais c’est bien la perspective d’un resserrement des conditions de liquidités américaines qui peut susciter des craintes sur le retour de la volatilité sur les monnaies dans une optique à 12 mois.
Historiquement, on connaît la règle qui veut que les processus de resserrement monétaire américain s’accompagnent très souvent d’un retour du risque sur les parités de changes, émergentes en particulier. De la même manière, chacun se rappelle les années 2010 et leur décalage de cycle monétaire entre les deux rives de l’Atlantique, qui n’avait pas laissé la parité Euro/USD indifférente.
Alors, les mêmes causes produisant les mêmes effets et les USA étant à l’aube d’un changement de cap monétaire important, faut-il partir du principe que nous devons nous préparer à des évolutions beaucoup plus erratiques que ce que nous avons pu connaître au cours des derniers mois sur le marché des changes? En d’autres termes, le calme apparent des derniers mois préfigure-t-il une tempête qui n’attend que l’annonce d’un tapering par la Réserve Fédérale pour se matérialiser?
Il est toujours tentant de se reposer sur l’histoire pour se projeter vers l’avenir. Cependant, les évolutions doivent aussi être intégrées. Certes, le dollar demeure la monnaie de réserve internationale «incontestée»; même si son poids dans les réserves de changes tend à se réduire, le billet vert n’a pas de rival capable de réellement lui faire de l’ombre, tout au moins à court terme, n’en déplaise à l’Europe ou à la Chine. De même, nul ne peut contester que les pays émergents aient sensiblement accru leur endettement en dollar au cours des dernières années, ce qui peut potentiellement les rendre vulnérables dans un contexte de remontée des coûts du capital. Enfin, malgré le développement exponentiel des «coins» sur les marchés, le dollar reste «l’actif sans risque» auquel les investisseurs sont susceptibles d’avoir recours en cas de plus grande méfiance à l’égard des marchés et du système financiers.
En revanche, nul ne peut ignorer que certains développements rendent la devise US «moins intéressante». Qu’il s’agisse de l’ampleur des déficits publics, de la hausse de l’endettement public ou privé et de leur corollaire induit – une forte détérioration du solde des comptes courants – le dollar est aujourd’hui (plus encore que par le passé) tributaire des financements internationaux pour absorber l’excès d’offre de dollars. Dans un monde qui se crispe sur le plan géopolitique et où les Etats-Unis n’ont aucune difficulté à froisser leurs alliés – à l’image de l’affaire des sous-marins français – le moins que l’on puisse dire est que le réservoir de soutien des flux financiers internationaux pour le dollar est plutôt en recul. C’est d’autant plus vrai que les excédents européens d’épargne devraient, au moins pour partie, financer le vaste programme d’investissement agréé par l’Union Européenne pour relancer sa croissance et affronter les défis écologiques.
Quant à la Chine, qui demeure le principal détenteur de réserves de dollars par le biais de sa banque centrale, elle n’a certes aucun intérêt à peser sur le billet vert mais elle n’a pas non plus l’intention de financer la «politique de confrontation» que Washington exprime de plus en plus clairement.
Enfin, l’utilisation de la stimulation budgétaire pour relancer la croissance US n’est pas sans risque.
L’administration Biden a bien des difficultés à faire passer son plan de 3.5 trillions de dollars de dépenses supplémentaires, qui ne fait pas l’unanimité même au sein du camp démocrate; le Président a d’ailleurs subi un revers important sous la forme d’une proposition de hausse d’impôts moins forte que ce qu’il aurait souhaité pour financer ses prodigalités budgétaires.
Tout cela dans un contexte où les Etats-Unis doivent impérativement voter un relèvement du plafond de la dette au cours des prochaines semaines, sous peine de se retrouver dans la même situation – peu glorieuse – que le Président Obama en son temps.
La question d’un retour de la volatilité des changes est fort pertinente lorsque l’on tente de se projeter dans l’avenir immédiat. Se faire une opinion n’est pas aisé dans le contexte actuel.
Si la seule perspective du changement de cap monétaire US est de nature à faire penser que les mêmes causes devraient produire les mêmes effets, ce dernier est aujourd’hui, pour ne pas dire plus que jamais, totalement dépendant de ce qui va se passer sur le front budgétaire.
Quel compromis politique sera trouvé sur le front du plan de relance, donc sur le montant que les membres du Congrès consentiront à l’administration Biden? Voilà la question centrale. Je demeure convaincu que le montant final sera plus proche de 1.5 trillion que des 3.5 initialement envisagé.
Nous devrions être fixés au cours des prochains mois. C’est alors seulement que l’on pourra se faire une opinion plus «forte» sur le risque d’un retour de la volatilité sur le marchés des changes pour 2022!