La Chine lutte avec la stratégie Zéro Covid

Arthur Jurus, ODDO BHF

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L'époque de l'apesanteur – lorsque les possibilités de croissance semblaient illimitées – est probablement révolue, même en Chine.

©Keystone

L'augmentation du nombre de nouvelles infections au COVID-19 au cours des dernières semaines en Chine a de nouveau incité les autorités sanitaires du pays à intervenir massivement. D'importants centres économiques comme Pékin, Shanghai, Guangzhou ou Zhengzhou ont été considérablement touchés par ces restrictions. Certes, le nombre de malades semble faible selon les critères occidentaux avec 37’000 cas confirmés. Mais ces quelques cas se propagent largement compte tenu de la stratégie de tolérance zéro définie par les plus hautes instances.

En conséquence, près de 2,1 millions de personnes sont actuellement sous surveillance médicale en tant que «contacts proches». Cela signifie qu'elles sont enfermées en quarantaine dans des camps spécialement aménagés. De plus, la mobilité est fortement limitée, les déplacements entre les quartiers sont interdits et dans les «zones à haut risque» désignées, les personnes sont invitées à rester chez elles. Parmi ces «zones à haut risque», on trouve par exemple l'immense usine du sous-traitant d'Apple Foxconn à Zhengzhou, où des émeutes ont éclaté en novembre parmi les 200’000 ouvriers qui évoluent depuis octobre dans un «système fermé» entre les sites de production et les logements de l’usine. Selon les estimations de Goldman Sachs, les villes et les régions touchées par les restrictions imposées par les autorités sanitaires représentent environ 65% du produit intérieur brut de la Chine.

Les protestations qui se sont intensifiées dans tout le pays au cours du mois de novembre sont devenues de plus en plus politiques et ont conduit les autorités à réagir fermement. Toutefois, on constate un début de changement d'attitude de la part des dirigeants politiques dans la stratégie Covid. En principe, les restrictions doivent être utilisées de manière plus ciblée (pas d'identification de «contacts étroits» et définition plus restreinte des «zones à haut risque») et les interventions doivent être moins lourdes (réduction des périodes d'isolement). Mais les autorités locales ont du mal à mettre en œuvre ces lignes directrices, d'autant plus que l'objectif de tolérance zéro reste d'actualité et que le système de santé ne résisterait probablement pas à une vague d'infections plus importante, selon les estimations des experts chinois. Si des ressources considérables sont consacrées à la lutte contre les infections (le coût des seuls tests de masse est estimé à plus de 2% du PIB), peu de choses ont été faites pour renforcer le système de santé.

L'évolution des dernières semaines réduit l'espoir des Chinois de voir l'économie se redresser. Certes, la reprise de l'activité économique après le lockdown du deuxième trimestre avait permis au pays de connaître un fort rebond de l'activité au troisième trimestre, mais un coup de frein se dessine pour le quatrième trimestre. Les estimations du consensus pour le quatrième trimestre 2022 de 3,8% sur un an nous semblent optimistes dans les conditions actuelles.

Nous estimons qu'il existe un risque important que l'année 2022 se termine par une croissance du produit intérieur brut réel de 3% ou moins selon les critères chinois, soit environ la moitié de l'objectif de croissance officiel du gouvernement de 5,5%. Dans ce contexte, nous restons plus sceptiques sur le marché boursier chinois.

La faiblesse de la croissance n'est toutefois pas uniquement due aux restrictions sanitaires. Le secteur immobilier, surpuissant dans l'ensemble de l'économie, connaît une consolidation douloureuse qui freine la croissance. Les prix de l'immobilier sont sous pression et l'activité de construction s'affaiblit. De nombreuses faillites d'entreprises immobilières ont laissé les acheteurs, qui font généralement l'avance, sur le carreau. Les acheteurs potentiels sont donc devenus prudents.

Du point de vue du commerce extérieur : les exportations chinoises souffrent des perturbations de la production dues à Covid et du ralentissement de la demande mondiale. En octobre, les exportations sont même tombées sous le niveau de l'année précédente. De plus, les tensions politiques entre la Chine et les pays industrialisés occidentaux, en particulier les Etats-Unis, pèsent sur l'économie chinoise.

Les problèmes du secteur immobilier, en particulier, ont probablement incité le gouvernement chinois à assouplir sa politique monétaire et sa politique de crédit. La semaine dernière, la banque centrale chinoise a abaissé le taux de réserves obligatoires pour la deuxième fois de l'année, libérant ainsi des liquidités pour l'octroi de crédits d'un montant pouvant atteindre 70 milliards de dollars. Auparavant, les banques avaient été invitées à prêter «raisonnablement» aux sociétés immobilières (généralement très endettées) et certaines sociétés immobilières avaient reçues des garanties de l'État pour des émissions d'obligations. Mais l'économie chinoise ne fonctionne plus aussi facilement que les années précédentes, lorsque la croissance pouvait pratiquement être contrôlée par l'offre de crédit. Les acquéreurs sur le marché immobilier sont devenus plus prudents et les incertitudes liées au Covid ne facilitent pas les décisions d’investissements résidentiels. Par ailleurs, la marge de manœuvre de la banque centrale pour baisser les taux d'intérêt est limitée en raison des risques inflationnistes mondiaux et des différentiels de taux qui favoriseraient davantage le dollar américain. Une situation qui favoriserait les sorties de capitaux.

Si, comme beaucoup le supposent actuellement, la stratégie Zéro Covid était progressivement assouplie au cours de l'année prochaine, la croissance, et notamment la consommation, devraient également reprendre. Mais cela ne doit pas faire oublier que l'époque de l'apesanteur - lorsque les possibilités de croissance semblaient illimitées - est probablement révolue, même en Chine. Il est plus que jamais douteux que Xi Jinping puisse atteindre l'objectif qu'il s'est fixé de doubler la performance économique de la Chine d'ici 2035.

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