La BCE en porte-à-faux

François-Xavier Chauchat, Dorval Asset Management

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La remontée des pressions inflationnistes fragilise les scénarios de stabilisation des bourses mondiales.

©Keystone

La BCE a rejoint la Fed sur la voie d’une normalisation accélérée de la politique monétaire. Or, les investisseurs craignent une fragmentation des conditions financières entre pays du nord et pays du sud de la zone euro causée par le resserrement.

Le pétrole flambe

Sans doute alimentée par les anticipations d’une normalisation de la demande chinoise, la hausse des prix du pétrole atteint un rythme qui effraie les marchés financiers. En soi, une hausse des prix motivée par une hausse de la demande est moins dangereuse qu’une tension provenant d’une baisse de l’offre. Elle remet cependant en cause l’idée du pic d’inflation à laquelle certains investisseurs croyaient. Comme dans d’autres secteurs de l’économie, le niveau très bas des stocks de pétrole exacerbe la réactivité des prix à des hausses de demande. Cependant, les autres matières premières n’ont pas suivi le pétrole à la hausse.

Outre les mauvaises nouvelles des prix du pétrole, les pressions inflationnistes sous-jacentes se sont renforcées au Etats-Unis au mois de mai. Hors alimentation et énergie, l’indice des prix a grimpé de +0,63% après +0,57% en avril et +0,33% en mars. Plus ennuyeux encore, le calcul de l’inflation sous-jacente de la Fed de Cleveland (le «trimmed mean CPI») remonte fortement après trois mois de baisse. L’idée d’une accalmie sur ce front semble donc remise en question. Logiquement, les marchés anticipent désormais trois hausses de taux de 50 points de base par la Fed lors des prochains mois, ce qui amènerait les taux monétaires à 2,3% en fin d’été.

La crainte d’une fragmentation

Sans grande surprise, la BCE prend le même chemin que la Fed avec quelques mois de retard. La relative résilience de l’économie européenne au choc des sanctions et l’élargissement récent des pressions inflationnistes conduisent la BCE à faire de la lutte contre l’inflation sa priorité absolue. Après une hausse des taux de 25 points de base en juillet, elle sera probablement amenée à les monter de 50 points de base en septembre, avant d’autres hausses qui porteraient les taux monétaires à des niveaux proches de 1% en fin d’année. La politique de normalisation de la BCE se base sur des anticipations de croissance certes revues à la baisse mais qui restent correctes, avec une vitesse de croisière d’environ 2% dans les deux années qui viennent, et une stabilisation du chômage à un bas niveau.

L’influence de la politique de la BCE se fait fortement sentir sur les «spreads» des marchés obligataires.

Si le niveau des taux monétaires européens n’a aucune raison d’inquiéter d’un point de vue économique, l’influence de la politique de la BCE se fait fortement sentir sur les «spreads» des marchés obligataires. Les primes de risque sur les obligations d’entreprises continuent de monter, et les différentiels de taux entre pays du sud et pays du nord se tendent fortement. Ce comportement n’est pas totalement anormal en période de hausse des taux, les investisseurs vendant d’abord les obligations les plus risquées. Mais la BCE est en porte-à-faux, elle a depuis plusieurs semaines laissée «fuiter» qu’elle entendait lutter contre la fragmentation géographique à l’intérieur de la zone euro. La BCE espère sans doute qu’une fois les taux longs allemands stabilisés, les spreads de crédit se détendront à nouveau. De plus, il est possible que la fragmentation géographique des taux débiteurs aux agents économiques soit moins forte que celle des taux souverains grâce aux progrès de l’union bancaire européenne. Peut-être est-ce la bonne analyse, mais la communication ambiguë de la BCE sur ce sujet ne peut qu’accroître les inquiétudes des investisseurs.

En ces temps troubles, les courbes de taux s’aplatissent en Europe comme aux Etats-Unis, ce qui donne un aperçu des angoisses grandissantes sur la soutenabilité de la croissance économique. Les investisseurs craignent en effet que les banques centrales ne soient obligées de casser la croissance pour obtenir la baisse espérée de l’inflation.

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