Les trois mousquetaires de l’inflation

François-Xavier Chauchat, Dorval Asset Management

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Les investisseurs craignent que la Fed ne finisse par provoquer une récession en 2023.

©Keystone

L’économie mondiale fait face à un triple choc d’inflation; les matières premières; les problèmes d’approvisionnement; les tensions sur les marchés du travail. L’impact et la part respective de chacun de ces trois types distincts d’inflation sont cependant très variables d’une région à l’autre.

Parmi les composantes de l’inflation, la forte hausse des prix des matières premières représente le choc commun à l’ensemble des ménages mondiaux. Ce choc ralentit la consommation à court terme, comme le suggère déjà les enquêtes de confiance des consommateurs. Mais les divergences sont fortes d’un pays à l’autre en fonction du mix énergétique, de la fiscalité et du niveau d’absorption du choc par les Etats et les entreprises publiques. Les perspectives à court terme pour ce type d’inflation dépendront essentiellement de l’escalade des sanctions entre la Russie et l’Occident, et de l’ampleur des boucliers fiscaux qui seront mis en place. Par ailleurs, dans les pays producteurs de pétrole (dont les Etats-Unis), la hausse des prix des matières premières engendre des bénéfices qui compensent en partie le ralentissement de la consommation.

Certains indicateurs montrent un début de détente, par exemple sur les prix des voitures d’occasion aux Etats-Unis, et sur le prix du fret maritime.

Le deuxième type d’inflation rassemble les problèmes d’offre, dont surtout les stigmates de la période Covid, stocks insuffisants, coûts et délais de livraison, pénuries, etc. Les confinements chinois et la guerre en Ukraine ont aggravé la situation dans certains secteurs, en particulier en Europe. Au Royaume-Uni, ces effets se combinent à ceux du Brexit. Mais certains indicateurs montrent un début de détente, par exemple sur les prix des voitures d’occasion aux Etats-Unis, et sur le prix du fret maritime. La production et les ventes d’automobiles rebondissent aux Etats-Unis, alors qu’elles plongent encore en Allemagne. D’ici la fin de l’année, la détente devrait se poursuivre, surtout si la Chine réussit à passer le cap de l’Omicron d’une manière ou d’une autre. Les constructeurs automobiles allemands prévoient ainsi une amélioration progressive des ventes et de la production au second semestre.

Enfin, l’inflation de troisième type, l’accélération des salaires, sans danger pour la croissance à court terme. Au contraire, elle témoigne le plus souvent d’un boom du marché du travail. Mais elle menace la croissance à moyen terme quand sa vigueur inquiète les banquiers centraux, gardiens d’une stabilité des prix (qu’ils fixent à 2% d’inflation dans les pays développés). C’est sur ce point que les situations régionales divergent le plus. Aux Etats-Unis, cette inflation-là est la raison principale pour laquelle Jerome Powell accélère le resserrement de la politique monétaire.

Les délais de réaction de l’économie à ces hausses de taux étant, comme le disait Milton Friedman, «longs et variables», les investisseurs craignent qu’à force de combattre la croissance et l’inflation salariale, la Fed ne finisse par provoquer une récession en 2023. La probabilité de ce scénario fluctuera dans les prochains mois en fonction de nombreux facteurs. Paradoxalement, elle diminuerait si l’activité américaine se modérait rapidement à cause de la baisse du pouvoir d’achat des ménages, ce qui diminuerait le risque d’une poursuite de la flambée des taux d’intérêt. La probabilité de récession dépendra aussi de la dynamique des salaires. Celle-ci s’est modérée ces trois derniers mois. Elle dépend aussi de la dynamique de l’inflation sous-jacente, qui était mieux orientée en février et mars 2022. Tous ces chiffres seront scrutés avec attention par les investisseurs au cours des prochaines semaines.

Contrairement à la Fed, la BCE n’a pas l’intention de ralentir une économie fragilisée par le choc ukrainien.
Un pays, une problématique

Au Royaume-Uni, l’inflation salariale reste forte, sur des rythmes d’environ +5%. La Banque d’Angleterre a donc remonté ses taux d’intérêt à 1% le 5 mai. Elle a cependant publié des prévisions montrant une stagnation du PIB pendant de nombreux trimestres à cause de la baisse du pouvoir d’achat et des problèmes d’offre aggravés par le Brexit. Entre stagnation prévue par ses modèles et forte inflation, la politique de la «vieille dame» devient de plus en plus difficile à anticiper.

En zone euro, la question des salaires reste à ce stade, moins inquiétante pour la BCE, avec des rythmes de 2 à 3% de hausse. Les tensions sur le marché du travail existent, mais la situation de guerre aux portes de l’Europe est peu propice à satisfaire les fortes demandes salariales. L’objectif quasi-avoué de la BCE est de mettre fin aux taux négatifs d’ici la fin de l’année. Contrairement à la Fed, cependant, la BCE n’a pas l’intention de ralentir une économie fragilisée par le choc ukrainien. Au Japon, l’inflation salariale reste faible, et l’inflation est contenue.

Le Japon bénéficie donc pour l’instant d’une bonne position avec une reprise économique qui accélère grâce à la réouverture post-Covid, mais sans inflation excessive. En Chine, enfin, la problématique est complètement différente, avec des prix de l’énergie régulés et une nouvelle crise de COVID. Le soutien à l’économie devant se renforcer au cours des prochains mois, avec l’espoir d’une nette reprise une fois les restrictions sanitaires assouplies. Sur les marchés, les investisseurs restent logiquement inquiets de la poursuite de la dégradation des perspectives de croissance induite par le triple choc inflationniste. Au niveau international, la grande hétérogénéité des situations renforce l’idée de la forte diversification régionale et sectorielle que permet une approche équipondérée. La position relativement plus favorable de l’Asie par rapport à la question de l’inflation permet en particulier d’absorber un peu le choc de la baisse des marchés, même si les marchés internationaux restent comme toujours corrélés.

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