L’obligataire en 2022: convergence de la politique monétaire, de l’économie et des marchés

Mark Holman, TwentyFour Asset Management

6 minutes de lecture

La convergence attendue devrait mettre fin à la faible volatilité que nous avons connue pendant la majeure partie de 2021.

Dans cet article, je vais présenter la stratégie qui nous semble la meilleure pour investir sur les marchés obligataires en 2022. Nous pensons que cette stratégie permettra d’éviter la plupart des pièges, mais aussi de profiter de fondamentaux toujours solides et ainsi de réaliser des performances raisonnables sur les marchés obligataires en 2022.

Convergence attendue de la politique monétaire, de l’économie et des marchés

Nous assistons actuellement à une décorrélation entre la politique monétaire, l’économie et les marchés, décorrélation qui devrait bientôt toucher à sa fin. Les banques centrales continuent de mettre en œuvre des politiques de début de cycle, tandis que les grandes économies mondiales affichent pour l’essentiel des caractéristiques de milieu de cycle et que les valorisations, sur de nombreux segments du marché, ressemblent fort à des valorisations de fin de cycle. Selon nous, ces trois éléments devraient converger en 2022, convergence qui devrait mettre fin à la faible volatilité que nous avons connue pendant la majeure partie de 2021.

Selon nos prévisions macroéconomiques, la croissance s’apprête à ralentir, mais devrait toutefois rester nettement supérieure aux moyennes historiques. Nous pensons que l’inflation atteindra un pic à la fin du premier trimestre. Malgré certains aspects transitoires, elle devrait ensuite persister à des niveaux largement supérieurs aux objectifs de la plupart des banques centrales. Les chocs qu’ont subis les chaînes d’approvisionnement dans de nombreux secteurs ces derniers mois devraient quelque peu s’atténuer, mais perdureront tout au long de 2022 et mettront à rude épreuve la capacité des entreprises à protéger leurs marges. Ce facteur pourrait être décisif pour départager, l’an prochain, les entreprises qui sauront tirer leur épingle du jeu et les autres.

La menace d’une erreur de politique monétaire

Une éventuelle erreur de politique monétaire, notamment de la part de la Fed, constitue une autre menace non négligeable. Ce n’est pas la hausse constante de l’inflation qui nous préoccupe, car la persistance de niveaux élevés attire déjà l’attention de la Fed. Nous nous inquiétons plutôt du fait que cette dernière est prête à accepter un peu d’inflation supplémentaire en échange de créations d’emplois dans l’objectif de s’acquitter du deuxième volet de son mandat – le plein emploi. Or, nous craignons que le plein emploi soit beaucoup plus proche que ne le pense la Fed. De fait, le taux de participation au marché du travail américain est déjà très stable – de l’ordre de 61,6% – et devrait peu augmenter dans un avenir prévisible, dans la mesure où de nombreux travailleurs sont peut-être définitivement sortis du marché de l’emploi en raison des choix de vie effectués après l’apparition de la pandémie. Au cours du dernier cycle, le taux de chômage est tombé à 3,6%, sans pour autant s’accompagner d’une hausse significative des salaires. On considère toutefois généralement que le plein emploi se situe autour de 4%, chiffre qui pourrait être atteint d’ici la fin du premier trimestre 2022 si le taux de participation reste stable.

Le scénario d’une Fed contrainte à un durcissement plus marqué de sa politique ne serait pas de bon augure pour les actifs risqués. Inversement, si le taux de participation donne plus de marge de manœuvre à la Fed et lui permet de temporiser, ce serait selon nous une bonne nouvelle. Dans le même ordre d’idée, le délai qui va s’écouler entre la fin du tapering et la première hausse des taux de la Fed sera perçu comme un indice potentiel d’erreur de sa part. Si ce délai est court, la Fed pourrait être une nouvelle fois perçue comme étant en retard sur le cycle, ce dont pâtiraient sans doute les actifs risqués.

En d’autres termes, la Fed évolue sur une ligne de crête et le risque que le marché n’apprécie pas sa façon de procéder est assez élevé. Cela étant dit, nous ne pensons pas que ce type d’erreur serait suffisant pour mettre fin au cycle prématurément. En revanche, il serait certainement source de volatilité et offrirait l’opportunité de renforcer les portefeuilles dans le courant du premier semestre 2022. Dans ce cas de figure, les trois éléments divergents que j’évoquais en début d’article convergeraient vers un équilibre plus sain, ce qui permettrait au marché de se redresser.

Les Etats-Unis et la Fed

Dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif – qui prévoit l’achat de 80 milliards USD de bons du Trésor et de 40 milliards USD de titres adossés à des créances hypothécaires (MBS) chaque mois –, la Fed a réduit ses achats mensuels, de 10 milliards USD pour les bons du Trésor et de 5 milliards USD pour les MBS. Selon nous, la Fed devrait déjà en avoir fini avec la réduction de ses achats d’actifs, mais le tapering vient à peine de commencer et s’avère très lent, ce qui donne à penser que sept autres réunions de politique monétaire seront nécessaires pour le mener à son terme. Craignant qu’elle ait pris du retard, nous pensons que la Fed va accélérer le rythme du tapering lors de sa réunion du 15 décembre et qu’elle y mettra fin à l’occasion de sa réunion de mars, se donnant ainsi la souplesse nécessaire pour relever ses taux plus tôt si une baisse rapide du taux de chômage l’y oblige.

Un certain délai entre la fin du tapering et la première hausse des taux nous semblerait judicieux, alors que notre scénario de base envisage un premier relèvement en septembre (même si la fin des achats d’actifs en mars laisserait la porte ouverte à un relèvement en juin, si nécessaire) Après cette première hausse des taux en septembre, nous anticipons une deuxième hausse avant la fin de l’année, portant la limite supérieure du taux des Fed Funds à 0,75%.

Un durcissement de la politique de la Fed est généralement synonyme de pressions haussières sur la courbe des taux et l’année à venir ne devrait pas faire exception à la règle, la crainte d’une inflation persistante incitant le marché à anticiper un certain nombre de hausses de taux. Par conséquent, il est très difficile d’imaginer un rendement des bons du Trésor à 10 ans inférieur à 2% d’ici la fin 2022 (notre prévision centrale est de 2,10%), ce qui laisse entrevoir une nouvelle année de pertes pour les actifs sans risque de référence au niveau mondial. Si nous encourageons vivement les investisseurs à rester à l’écart pendant que les taux augmentent, la hausse des rendements des bons du Trésor constituera un atout très précieux à l’avenir, ce qui nous incite à voir dans cette évolution une bonne nouvelle.

L’Europe et la BCE

Ce point est peut-être le plus facile à prévoir: nous ne voyons pas comment la BCE pourrait revenir sur son taux de facilité de dépôt de -0,50% en 2022. Seuls les plus optimistes la voient ramener ce taux au-dessus de zéro sur l’ensemble du prochain cycle, mais il faudra attendre l’année prochaine pour en savoir plus, en particulier pour voir si l’inflation actuellement observée dans la zone euro s’enracine davantage ou non.

Il est en revanche difficile de prédire comment la BCE gérera ses deux programmes d’assouplissement quantitatif en cours, à savoir le programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP), dans le cadre duquel elle achète actuellement 70 milliards d’euros de dette souveraine par mois, et son programme «classique» d’achat d’actifs (APP), qui prévoit 20 milliards d’euros d’achats mensuels. Nous pourrions débattre de la nécessité même de ces deux programmes au regard de la reprise et des chiffres de l’inflation, mais leur influence sur le marché est importante et leur retrait aurait un impact négatif. Le problème est que le PEPP arrive à terme en avril, même si les coupons et les remboursements seront réinvestis au moins jusqu’à fin 2022, et qu’une baisse de 70 milliards d’euros par mois serait probablement trop importante pour que le marché puisse la digérer, surtout au vu de la hausse attendue des rendements des emprunts d’Etat en euros. Par conséquent, nous pensons que la BCE va temporairement augmenter l’enveloppe de l’APP et qu’elle essaiera ensuite de réduire la dépendance du marché à ce coup de pouce en 2023. Notre scénario central anticipe que l’APP sera porté à 50 milliards d’euros par mois afin d’éviter un durcissement indésirable des conditions financières.

Les Bunds ne sont pas immunisés contre la hausse des courbes de taux

Que faut-il en déduire pour le rendement du Bund à 10 ans, qui s’inscrit actuellement à -0,29%? En dépit du soutien accru de la BCE, la corrélation avec les bons du Trésor est trop forte et le marché va anticiper l’abandon progressif de l’assouplissement quantitatif d’ici la fin de l’année prochaine, ce qui veut dire que les Bunds ne sont pas immunisés contre la hausse des courbes de taux. Selon nous, leur rendement devrait atteindre 0,00% d’ici la fin 2022, soit une perte d’environ 3% sur l’exercice. Comme dans le cas des bons du Trésor (voir plus haut), nous pensons que ce risque peut être facilement évité en agissant sur la construction des portefeuilles, ou en mettant en place une couverture, les coûts de portage étant actuellement très faibles.

Les spreads de crédit pourraient être à la peine au premier semestre

Il est difficile de porter un regard par trop positif sur l’évolution des spreads de crédit en 2022, compte tenu des risques auxquels les marchés sont confrontés. La hausse des rendements des emprunts d’Etat, le durcissement des conditions financières, le ralentissement de la croissance et la crainte de possibles erreurs de politique monétaire sont autant de facteurs qui incitent à une gestion prudente du risque. Dans notre scénario central, nous tablons sur un léger élargissement des spreads au cours de l’année, mais cette prévision doit être nuancée: nous pensons en effet que la volatilité va augmenter au premier semestre, ce qui pourrait entraîner un creusement des spreads plus marqué que prévu d’ici la fin 2022.

Certains secteurs méritent ici quelques commentaires.

Les valeurs financières nous semblent toujours attractives en termes relatifs. Bien qu’au niveau de l’indice, leurs performances risquent d’être bridées par la duration, les banques se sont procuré des financements à long terme et devraient profiter de la hausse des taux et de la bonne performance du crédit. Il est à noter que le niveau des fonds propres des banques a probablement atteint un pic et nous pensons que le capital excédentaire va commencer à être distribué aux actionnaires, mais ce secteur continue d’offrir des dividendes intéressants aux investisseurs, surtout s’ils ont des expositions courtes.

Les meilleures performances devraient venir selon nous des obligations d’entreprises émergentes à haut rendement en devise forte, mais attention: le sens du timing et la patience seront importants et nos prévisions supposent que la Fed n’aura pas trop de retard sur la courbe et ne sera pas contrainte de procéder à un durcissement plus marqué. Inutile, donc, de se positionner sur ce segment au premier trimestre. De plus, l’évolution de ce secteur dépendra en grande partie du marché immobilier chinois. Les obligations à haut rendement chinoises se négocient à des spreads d’environ 2’000 pb et la volatilité devrait rester très élevée à court terme. En cas de légère contraction des spreads par rapport aux actifs sans risque, qui s’affichent actuellement à 680 pb, les investisseurs les plus audacieux qui seront intervenus au bon moment sur le haut rendement émergent peuvent espérer des rendements de l’ordre de 8 à 9%.

En conclusion, bien qu’un large consensus semble se dégager sur le fait que 2022 sera une année difficile, les avis divergent sur l’évolution d’un certain nombre d’inconnues. La principale d’entre elles concerne l’ampleur du resserrement monétaire auquel devront procéder les banques centrales, ainsi que les délais associés: un rattrapage brutal serait une mauvaise chose pour le risque, tandis qu’une action insuffisamment énergique menacerait leur crédibilité. Il s’agit d’un vrai exercice d’équilibriste et nous n’aurons pas de réponses à ces questions avant la fin du premier trimestre. Selon nous, la principale statistique à surveiller sera l’emploi aux Etats-Unis, dans la mesure où une baisse rapide du taux de chômage pourrait prendre la Fed à contrepied. Comme chacun le sait, l’évolution de cette statistique est difficile à prédire avec la pandémie, d’où la nécessité d’aborder l’année avec prudence.

A lire aussi...