Des primes de risque en fonction de l’âge

Chris Iggo, AXA IM

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La préservation du capital est un choix plus facile aujourd’hui, en raison de la hausse des revenus obligataires et de la perspective de rendements composés plus élevés.

Une corrélation positive est censée exister entre l’âge et une aversion au risque. Je devrais donc prendre moins de risques puisque pour moi, la retraite devient une perspective qui se rapproche et que je viens de fêter un anniversaire important sur le plan psychologique. La préservation du capital est un choix plus facile aujourd’hui, en raison de la hausse des revenus obligataires et de la perspective de rendements composés plus élevés. J’ai l’impression que dans le contexte actuel, marqué par la guerre, des perspectives de croissance molles et une politique monétaire plus stricte, on sous-évalue le risque lié aux actions, tandis qu’on surévalue le risque découlant des taux d’intérêt. Un constat intéressant à l’heure où les décisions d’investissement pour 2024 se profilent à l’horizon.

Vieillir

J’ai fêté mes 60 ans le week-end passé (je sais, je ne les fais pas – les produits hydratants y sont pour beaucoup). Si en novembre 1963 mes parents avaient pu investir dans un instrument financier axé sur l’indice FTSE All-Share – en guise de cadeau pour leur nouveau-né – le rendement total aurait été de 8’907%, ce qui fait un rendement composé annualisé de 7,8%. À mon grand regret, ils ne l’ont pas fait. Mais alors que j’utilisais le terminal Bloomberg pour calculer à combien aurait pu se monter ma fortune, j’ai été frappé par le fait que 7 à 8% est un rendement standard attendu à long terme pour les investissements en actions. Si l’on prend en référence la même période, l’indice MSCI World a en effet enregistré un rendement annualisé de 7,43%, tandis que l’indice Dow Jones Industrial Average parvient à 7,85%. Si l’on se projette dans l’avenir, peut-on raisonnablement s’attendre à de tels rendements ces prochaines années? Peut-être, mais des doutes planent sur les perspectives pour les 12 prochains mois.

Les doutes

Le premier concerne les perspectives macroéconomiques. Or, nous entrons dans la saison des prévisions annuelles. Je m’attends à ce que la plupart d’entre elles laissent présager une croissance molle et un nouveau recul de l’inflation, mais seulement des baisses timides des taux d’intérêt. Les risques de baisse pèseront plus lourd que la perspective d’une reprise de la croissance. Le PIB nominal sera beaucoup plus bas que ce que nous avons connu depuis 2021. Les bénéfices des entreprises dépendent de la croissance nominale, et la relation récente entre le PIB nominal et le bénéfice par action (BPA) du S&P 500 donne à penser que l’année prochaine, il sera difficile d’atteindre la croissance annuelle de 10% prévue pour le BPA. Je suis d’avis que les perspectives sont meilleures pour les obligations.

Où en est la prime de risque?

Le second doute porte sur les primes de risque. Les multiples d’actions ont augmenté aux États-Unis et au Japon, mais en Europe, ils sont légèrement inférieurs à ce qu’ils étaient à la fin de 2022 (sur la base des prévisions de bénéfices). Cela reflète un niveau correct de rendements d’actions en 2023, du moins aux États-Unis, en Europe et au Japon. Compte tenu de la hausse des revenus obligataires, la prime de risque des actions brutes est tombée à son plus bas niveau depuis plusieurs années. Et de fait, aux États-Unis, le taux de dividende du S&P 500 est bien inférieur au rendement réel des titres du Trésor protégés contre l’inflation. Les États-Unis représentent certes un cas extrême, et sur les autres marchés, l’écart entre les rendements des actions et ceux des obligations ne s’est pas réduit dans la même mesure. Mais c’est le marché américain qui donne habituellement le ton. Les emprunts obligataires sont devenus plus avantageux cette année. La prime de terme a augmenté sur la courbe des taux, en raison de l’incertitude régnant quant au niveau adéquat du futur taux d’intérêt neutre et à l’évolution de la politique budgétaire et des emprunts d’État.

Qu’en est-il du crédit? Il existe une corrélation positive entre les rendements des actions et l’évolution des écarts de crédit. Suivant la même voie que les marchés d’actions, le crédit américain est plus cher (les écarts sont plus étroits) que le crédit européen (bien que les revenus globaux soient plus attrayants). Aux États-Unis, les écarts de taux entre les obligations de qualité et les obligations à haut rendement se situent autour du 50e centile de leur distribution depuis 2013. Sur cette base, les spreads de crédit européens et britanniques sont plus rentables. Les obligations américaines à haut rendement semblaient plus avantageuses, mais récemment, les écarts se sont amenuisés. Or, le diable se cache dans les détails, car les entreprises qui ont publié des bénéfices décevants se voient sanctionnées sur le marché obligataire. Par conséquent, le crédit est attrayant compte tenu de ce que les rendements composés peuvent offrir à long terme, mais les écarts pourraient se creuser en cas d’une quelconque liquidation des actions.

Composer avec les intérêts

Pour résumer, le consensus prévoit un ralentissement de la croissance, un recul de l’inflation et un débat encore plus âpre sur le calendrier à adopter en matière de baisses des taux d’intérêt. La prime de risque a évolué en faveur des obligations. Toute décision d’investir ou non au début de l’année 2024 doit se faire en tenant compte de ce qu’un ancien collègue gestionnaire de fonds se plaisait à appeler la «huitième merveille du monde»: les intérêts composés. En investissant 100 unités monétaires dans une obligation à échéance de cinq ans, alors que le rendement courant était tout juste de 1%, cette obligation n’aurait atteint qu’une valeur de 105,1. En faisant la même chose aujourd’hui, avec un taux rémunérateur de 4,5% aux États-Unis, l’investissement vaudrait 124,62 après cinq ans, en réinvestissant tous les coupons. Cela représente 4% de plus en rendement composé annualisé. L’assouplissement quantitatif a rendu les obligations si peu attrayantes que les capitaux d’investissement ont été attirés vers les actions ou le crédit (où les spreads offraient un rendement légèrement meilleur). Mais ce jeu-là est bel et bien terminé.

Payer pour obtenir de la croissance?

Le doute plane sur les perspectives de surperformance des actions, mais cela ne signifie pas pour autant que les actions ne tiendront pas leurs promesses. On pourrait assister à un retour à la moyenne – où les valorisations et les performances reviendraient à leurs valeurs moyennes sur la durée – étant donné que depuis le début de 2020, le marché boursier américain a présenté des résultats supérieurs d’environ 13% à ceux du marché obligataire, alors que la référence historique se situe autour de 5%. L’évaluation des perspectives pour les valeurs technologiques de croissance rend plus compliquée la façon traditionnelle d’allouer les actifs. Les avantages attendus de la croissance future de l’intelligence artificielle sont-ils suffisamment convaincants pour justifier l’achat d’actions qui se négocient aujourd’hui à des multiples très élevés? L’indice S&P 500 des technologies de l’information (IT) se négocie actuellement avec un ratio cours/bénéfice de 28 fois (c’est-à-dire un taux inférieur de plus de 5% en termes de revenus bénéficiaires par rapport au revenu actuel fourni par les obligations à haut rendement). Pour ces sociétés, la valorisation a cependant rarement constitué un obstacle. Il s’agit d’entreprises dont le bilan est solide, qui sont peu endettées, qui disposent de beaucoup de liquidités et qui produisent des biens et des services dont les entreprises et les consommateurs veulent pouvoir profiter. La stratégie «barbell» sur les titres à revenu fixe de courte durée et les valeurs technologiques s’est avérée fructueuse cette année - au 8 novembre, les indices américains des titres à haut rendement de courte durée et ceux du S&P 500 IT sont en hausse de 5,2%, respectivement de 45% depuis le début de l’année, selon Bloomberg. Si les taux se maintiennent à un niveau élevé et que l’économie américaine évite la récession, pourquoi ne pas recommencer?

Resserrement

Les perspectives macroéconomiques sont toutefois déterminantes, car l’opinion sur le crédit et le haut rendement dépend essentiellement de l’éventuelle survenue de problèmes de crédit plus graves. Il se peut que nous n’ayons pas encore vu toute l’étendue des répercussions du resserrement monétaire. L’enquête d’opinion menée en octobre par la Réserve fédérale (Fed) auprès des responsables des prêts révèle que, globalement, les banques américaines continuent à resserrer leurs conditions de prêt. La croissance de la masse monétaire est négative, même si la masse monétaire (représentant la macro-liquidité) reste supérieure au niveau tendanciel qu’elle aurait atteint s’il n’y avait pas eu de pandémie, ni la réponse monétaire qui s’en est suivie. Les données économiques sont plus faibles, même si l’activité résiste bien et que les observateurs des marchés boursiers restent optimistes. Lorsque j’ai rencontré mes collègues gestionnaires de portefeuilles d’actions la semaine dernière, j’ai été frappé d’entendre bon nombre d’entre eux indiquer que les entreprises qu’ils suivaient, après avoir annoncé des bénéfices corrects pour le troisième trimestre, étaient en train de revoir leurs prévisions à la baisse pour le quatrième trimestre.

Rechercher des opportunités de valeur, ce qui est bien le cas avec du 5% - Pour l’instant, l’atterrissage en douceur est toujours en bonne voie. Les données chiffrées sur l’inflation d’octobre seront publiées la semaine prochaine. Selon le consensus de Bloomberg, l’indice de base des prix à la consommation devrait s’établir à un taux annuel de 4,1%, donc inchangé par rapport à septembre, et à un niveau encore nettement trop élevé pour la Fed. Par conséquent, inutile de s’attendre à une quelconque modification du message provenant de Washington. Les commentaires émanant la semaine dernière des responsables de la Fed confirment largement le maintien du cap ‘plus élevés, plus longtemps’ («higher for longer»). Cela pourrait limiter l’ampleur de la baisse des rendements obligataires à court terme et, en effet, il n’est pas impossible de voir les revenus des bons du Trésor à 10 ans venir à nouveau titiller la barre des 5%. Pour que cela se produise, il suffirait de données décevantes sur l’inflation, de données robustes sur la croissance ou d’un discours à la teneur ultra ferme de la part de la Fed. Si l’on examine les graphiques illustrant l’évolution des bons du Trésor, on constate un rejet initial des revenus de 3% et de 4%, mais au fil du temps, ils finissent par s’imposer. Je pense que si cela se reproduit, on pourrait le considérer comme une nouvelle opportunité d’achat, à l’instar de ce que nous avons vécu à la mi-octobre. Avec l’augmentation des rendements au comptant, les rendements composés s’accroissent de manière exponentielle, ce qui augmente la probabilité de rendements réels plus élevés pour les investisseurs en titres à revenu fixe.

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