L’embellie sur le front de l’inflation aux Etats-Unis dope les actions

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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La modération de l’inflation est une évolution salutaire. Même s’il est encore trop tôt pour affirmer que l’inflation n’est plus une menace, les chiffres sont encourageants à plusieurs titres.

Il y a une dizaine de jour, l’indice S&P 500 a rebondi de 5,9%, sa meilleure performance hebdomadaire depuis juin. Motif: la publication de chiffres d’inflation aux Etats-Unis. Moins élevés que prévu, ces chiffres ont fait renaître l’espoir d’un relèvement moins marqué des taux de la Réserve fédérale américaine (Fed).

Dans la foulée, le rendement des bons du Trésor américain à dix ans a diminué de 35 points de base (pb) tandis que celui des bons du Trésor à deux ans a chuté de 33 pb. Il faut remonter à mars 2020, au tout début de la pandémie, pour trouver des fluctuations hebdomadaires aussi marquées sur ce marché.

L‘inflation faiblit aux Etats-Unis

L’inflation globale des prix à la consommation aux Etats-Unis est ressortie à +0,4% en glissement mensuel en octobre, alors que le consensus des économistes tablait sur +0,6%. L’inflation sous-jacente, qui exclut les prix volatils de l’alimentation et de l’énergie, est ressortie à +0,3% sur un mois, une progression deux fois moins importante qu’en septembre et en août.

En glissement annuel, le taux d’inflation globale (+7,7%) est retombé sous le seuil des 8% pour la première fois depuis février après avoir culminé à +9,1% en juin. L’inflation sous-jacente a ralenti à 6,3% en octobre, contre 6,6% en septembre.

Hausse plus mesurée des taux par la Fed?

Face à la décrue de l’inflation, de plus en plus d’investisseurs s’accordent à penser que la Fed sera en mesure de ne relever ses taux que de 50 pb seulement, après quatre hausses consécutives de 75 pb. Les investisseurs ont également ramené à 4,9% leur estimation pour le point culminant des taux directeurs en juin 2023.

La faillite de la bourse de cryptomonnaies FTX a suscité un regain d’aversion au risque sur les marchés.

Grâce à la baisse des rendements obligataires, l’indice Nasdaq, qui fait la part belle aux valeurs technologiques, a progressé de 8,1% au cours de la semaine considérée. En revanche, l’indice du dollar américain (DXY) a chuté de 4%.

Le rebond du S&P 500 après la publication des chiffres de l’inflation s’explique également par des facteurs techniques: les investisseurs ont acquis des options d’achat pour profiter de la hausse et investi dans des stratégies systématiques qui ont renforcé les positions risquées en raison de la dynamique des marchés et de l’atténuation de la volatilité. Dans le même temps, la faillite de la bourse de cryptomonnaies FTX a suscité un regain d’aversion au risque sur les marchés.

A quoi faut-il s’attendre?

La modération de l’inflation est une évolution salutaire. Même s’il est encore trop tôt pour affirmer que l’inflation n’est plus une menace, les chiffres sont encourageants à plusieurs titres. Abstraction faite des dépenses de logement (+0,8% en glissement mensuel), l’inflation sous-jacente a été nulle au cours du mois, ce qui reflète l’impact à retardement de la surchauffe du marché, qui a atteint son apogée l’an dernier.

Les données plus récentes sur les nouveaux contrats de bail suggèrent que l’inflation des loyers ralentit. Le coût du logement, qui représente un tiers du panier global de l’Indice des prix à la consommation (IPC), pourrait augmenter fortement pendant quelques mois encore mais il devrait ralentir par la suite. En outre, les prix des biens essentiels ont chuté de 0,4% en octobre, ce qui montre que la demande excédentaire de biens pendant la pandémie continue de refluer.

La Fed va rester vigilante

Toutefois, il est peu probable que la Fed estime en avoir fini avec l’inflation. Premièrement, elle attendra plusieurs mois consécutifs de modération de l’inflation avant d’envisager un assouplissement de sa politique monétaire. L’inflation des services, ressortie à +0,5% en glissement mensuel, demeure préoccupante.

D’ailleurs, le membre du conseil des gouverneurs de la Fed, Christopher Waller, a relativisé la portée de l’IPC du mois d’octobre, soulignant qu’il «ne s’agit que d’un chiffre isolé» et que l’inflation reste «énorme».

Deuxièmement, la Fed attend aussi des signes de détente du marché de l’emploi. Les chiffres du mois d’octobre, avec d’importantes créations d’emplois et un taux de chômage au plus bas depuis près de 50 ans, n’ont guère conforté le scénario d’un ralentissement économique.

Les salaires augmentent sensiblement: +6,3% en septembre (moyenne mobile sur trois mois) selon le baromètre des salaires de la Fed d’Atlanta, contre 6,7% en juin. Malgré cette modération, ce niveau est incompatible avec l’objectif d’inflation de la Fed. Par ailleurs, le rapport JOLTS (Job Openings and Labor Turnover Survey) de septembre a fait état d’une hausse du nombre de postes vacants rapporté au nombre de demandeurs d’emploi (ratio de 1,9).

Des relèvements de taux plus modestes

Compte tenu des chiffres encourageants de l’inflation en octobre, la Fed pourra plus facilement justifier un relèvement plus modeste de ses taux en décembre (+50 pb). Néanmoins, il reste toujours probable que la Fed relèvera ses taux de 100 pb supplémentaires au total avant de marquer une pause dans son cycle de resserrement monétaire. L’impact cumulé des relèvements de taux précédents continuera de peser sur la croissance économique et sur les bénéfices des entreprises.

La tendance actuelle au resserrement des conditions de crédit s’est nettement accélérée depuis un an et laisse entrevoir une poursuite de l’érosion des bénéfices du S&P 500 dans les trimestres à venir.

Abstraction faite d’un pic au début de la pandémie, l’indice national des conditions financières de la Fed de Chicago est quasiment au plus haut depuis la crise financière mondiale et l’impact de ces conditions restrictives sur le comportement de crédit et sur les marchés devient plus évident.

L’enquête trimestrielle de la Fed auprès des responsables de crédit, menée en novembre, révèle que 39% des banques sont en train de durcir leurs conditions pour les prêts commerciaux et industriels. La tendance actuelle au resserrement des conditions de crédit s’est nettement accélérée depuis un an et laisse entrevoir une poursuite de l’érosion des bénéfices du S&P 500 dans les trimestres à venir.

Comment investir?

Tout bien considéré, le profil risque/rendement des actions va demeurer toujours défavorable lors des trois à six prochains mois. En effet, les conditions macroéconomiques nécessaires à un rebond durable des marchés ne paraissent pas encore réunies. Toutefois, on a pu constater que les sautes d’humeur des investisseurs peuvent engendrer des rebonds périodiques.

La volatilité restera probablement marquée sur les marchés et il convient de privilégier les stratégies qui renforcent la protection à la baisse sans sacrifier le potentiel de hausse. Il est dès lors logique de recommander de privilégier les segments plus défensifs des différentes classes d’actifs.

Actions: santé et biens de consommation

S’agissant des actions, les stratégies de protection du capital et les valeurs de rendement de qualité, ainsi que les secteurs de la santé et des biens de consommation de base, qui devraient résister relativement bien au ralentissement économique restent très appréciées.

Sur le marché des changes, les devises refuge que sont le dollar américain et le franc suisse sont préférables à la livre sterling et à l’euro tandis que sur les marchés obligataires, les titres investment grade de grande qualité restent privilégiés, au détriment des titres à haut rendement américains.

Alors que l’inflation reste nettement supérieure aux objectifs des banques centrales, l’attrait persiste pour les valeurs décotées, qui ont surperformé les valeurs de croissance de 18 points de pourcentage sur les dix premiers mois de l’année 2022 (sur la base des indices MSCI).

Goût pour l’énergie

L’énergie reste l’un des secteurs boursiers favoris de la Recherche d’UBS. D’un point de vue géographique, le Royaume-Uni et l’Australie, deux marchés moins chers où les valeurs décotées sont prépondérantes, restent préférables au marché américain, qui est plus onéreux et fait la part belle aux valeurs technologiques et de croissance.

La corrélation étroite entre les actions et les obligations perçue cette année témoigne de l’importance de trouver d’autres sources de rendement telles que les hedge funds. Les stratégies macro ont enregistré une performance moyenne de 11,5% sur les dix premiers mois de l’année 2022, selon les données de HFR. Elles devraient poursuivre sur leur lancée grâce à la volatilité des marchés.

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