L’Asie et la transition énergétique

Andrew Keiller, Baillie Gifford

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Investir dans les entreprises à combustibles fossiles, mais les plus responsables, est encore nécessaire.

L’Asie est souvent pointée du doigt par les Occidentaux pour son influence dommageable sur le climat. La Chine recourt toujours davantage au charbon et l’Inde a repoussé à 2070 l’objectif du «zéro émission nette». Pourtant, sans l’Asie, il y a peu de chances, voire aucune, que le monde atteigne l’un ou l’autre des objectifs qui ont un impact à long terme sur le climat. Pour les investisseurs, ce paradoxe recèle des opportunités encore sous-estimées, tant les projets d’investissement sont importants.

Le coût de l’énergie solaire a diminué de 90% ces dix dernières années et il est inférieur à celui des combustibles fossiles dans la plupart des grandes économies. La Chine a largement contribué à cette évolution et elle contrôle la fabrication des principaux composants nécessaires au solaire: 75% du marché pour les modules, 85% pour les cellules, 79% pour le polysilicium et 97% du marché pour les plaquettes de silicium. L’une des raisons de cette domination est simple: au niveau mondial, près des 2/3 des projets d’envergure dans le solaire se font en Chine et, au premier semestre 2022, le pays a investi plus de 40 milliards de dollars dans le solaire (+173% par rapport à l’année précédente).

Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), assure à elle seule près des 2/3 de la fabrication des microprocesseurs au niveau mondial.

L’importance de Taïwan pour l’approvisionnement en semi-conducteurs est devenue manifeste ces dernières années. Elle devrait encore s’accentuer du fait de l’utilisation accrue de microprocesseurs dans diverses industries liées au changement climatique (des véhicules électriques (VE) nécessitant quelque 2000 microprocesseurs à la gestion efficiente des réseaux électriques). On estime en effet que le nombre de microprocesseurs utilisés dans le renouvelable devrait progresser à un taux annuel composé de 8 à 10% jusqu’en 2027. Or à l’heure actuelle, une entreprise, Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), assure à elle seule près des 2/3 de la fabrication des microprocesseurs au niveau mondial. Il s'agit là d'un cas évident de dépendance excessive, mais cette situation ne risque pas de changer de sitôt.

L’Indonésie produit près de 20% du nickel mondial. Environ 7% de la production mondiale de ce métal va actuellement dans les batteries de VE, mais il joue un rôle croissant dans l’industrie automobile. Selon Vaclav Smil, scientifique tchéco-canadien, même si les VE ne représentaient que 25% du parc automobile mondial en 2050, les besoins en nickel pourraient être multipliés par 28. Nous sommes donc tout au début de la phase de croissance de la demande pour ce métal.

La Corée du Sud, à l’instar de la Chine, abrite certains des principaux fabricants mondiaux de batteries pour VE, notamment Samsung SDI, SK On et LG Energy Solutions. Le gouvernement sud-coréen considère que les batteries rechargeables représentent un secteur clé pour la croissance future du pays. En effet, ces grandes entreprises qui investissent des dizaines de milliards en R&D bénéficient d’un soutien important du gouvernement sous forme de réductions d’impôts.

Si la Chine détient aujourd'hui la plus grande part du marché des batteries pour VE, les expériences de ces dernières années ont montré aux constructeurs automobiles l’importance de ne pas dépendre d'un seul pays. La Corée pourrait bénéficier de ce changement de mentalité. Ainsi LG Energy Solutions compte déjà parmi ses clients des grandes marques telles que Tesla, Volkswagen, Renault et Chevrolet.

L'économie indienne croît à un rythme tel qu’à l’horizon 2040 ses besoins en énergie dépasseront ceux de l'Union européenne. Narendra Modi, le président indien, souhaite tripler la production d'électricité à partir de combustibles non fossiles d'ici à 2030. Cela signifie qu’il faudra construire d’ici là l'équivalent de la capacité actuelle de production d'électricité du pays, un effort qui nécessite des centaines de milliards de dollars d'investissement. Les grands conglomérats tels que Reliance Industries par exemple devraient jouer un rôle clé dans ces projets. Cette entreprise a en effet démontré qu’elle possédait un savoir-faire de pointe en construisant puis en exploitant l’une des raffineries les plus sophistiquées au monde. En outre, elle a fait la preuve de sa capacité à prendre des décisions efficientes en matière d’allocation des capitaux, comme en témoigne la construction en quelques années seulement d’un réseau de 4G desservant plus de 400 millions d’Indiens.

Les énergies traditionnelles continueront à jouer un rôle vital pour les économies développées et émergentes pendant encore des décennies, et ce même si l’on tient compte des projections les plus optimistes pour la transition énergétique. C’est la raison pour laquelle, il faut encore investir dans les entreprises de combustibles fossiles les plus responsables et qui affichent le meilleur bilan carbone. Cependant, il existe également des opportunités d’investissement dans la transition énergétique, notamment dans une Asie. Mais cela implique de bien comprendre comment l’équilibre entre besoin de solutions propres et approvisionnement sûr et abordable en énergie est atteint. Cela implique également d’ignorer les analyses ESG simplistes qui omettent parfois le principal.  Reste que, sans l’Asie et son rôle essentiel dans la transition énergétique, nous aurons peu de chances d’atteindre nos objectifs climatiques à long terme.

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