L’écosystème technologique européen recèle la promesse d’un âge d’or de la technologie sur le vieux continent.
Ces deux dernières décennies ont été caractérisées par l'ascension fulgurante des géants de la technologie. Leur impact sur nos vies et sur les marchés boursiers a été considérable. Des acronymes aussi anodins que FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Alphabet [ex-Google]) et BAT (Baidu, Alibaba et Tencent) représentent aujourd'hui des centaines de milliards de dollars aux États-Unis et en Chine. Or, dans ce domaine, l’Europe s’est avérée relativement improductive: en matière de plateformes numériques, elle a tout simplement décroché. Mais il est temps de tirer un trait sur ce passé récent, car le futur s’annonce nettement plus prometteur. L'Europe a connu ces dernières années un véritable éveil technologique et même si l'environnement évolue, elle bénéficie désormais d’un écosystème technologique qui est là pour durer.
Les fondations de cet écosystème ont été creusées durant une période d'abondance de capitaux et grâce à l'émergence d’une population d'investisseurs patients et solidaires, une combinaison puissante qui a favorisé la formation d’une vague d'entrepreneurs européens prêts à conquérir le monde. Les capitaux investis dans l’écosystème technologique européen ont été multipliés par cinq au cours de ces cinq dernières années, passant de 22 milliards de dollars en 2017 à un montant colossal de 100 milliards en 2021. Entre 2014 et 2021, le nombre de licornes technologiques européennes a également été multiplié par cinq et le président Macron a émis le souhait de voir se créer en Europe dix géants de la technologie d’une valeur de 100 milliards de dollars d’ici à 2030.
Rien de tout cela n'aurait été possible sans une transformation des aspirations. Les écosystèmes technologiques qui prospèrent dans différentes villes européennes, d'Amsterdam à Berlin en passant par Stockholm, constituent un environnement favorable pour les entrepreneurs. Il leur permet de viser loin. Ces entrepreneurs ne manquent d’ailleurs pas d’ambition: Daniel Ek de Spotify s'attaque aux géants américains Apple et Amazon dans le domaine du streaming musical, tandis que Pieter van der Does, d'Adyen, a donné naissance à un véritable champion mondial des paiements en ligne. Un succès en amenant un autre, il y a effet d’entraînement: Daniel Ek et Pieter van der Does inspirent la nouvelle génération.
Après avoir été célébrées comme des héros sur les bourses, ces nouvelles entreprises technologiques sont maintenant décriées. Du fait de l’évolution de l’environnement économique, leurs valorisations se sont tassées beaucoup plus rapidement que le marché dans son ensemble et les commentateurs sont devenus très critiques vis-à-vis de leurs modèles. Il est vrai que la profusion de capitaux disponibles a pu conduire à un financement excessif de certaines entreprises, un phénomène qui s’est déjà produit à maintes reprises dans l’histoire, des chemins de fers américains au XIXe siècle jusqu’à présent.
Les entreprises se trouvent dorénavant confrontées à une hausse de leurs coûts de financement, ce qui représente une menace existentielle pour celles qui sont gourmandes en trésorerie ou dont la croissance repose sur les apports de capitaux externes. En revanche, cette situation présente une opportunité pour les entreprises établies et qui disposent de suffisamment de capitaux.
Professeur Carlota Perez évoque le passage d’une phase d’irruption des nouvelles technologies, caractérisée par une certaine frénésie, à une période durant laquelle elles déploieront tout leur potentiel. Un âge d’or de la révolution technologique durant lequel on pourrait assister à un remodelage du paysage concurrentiel et à l’émergence de nouveaux gagnants. Ce phénomène est particulièrement marqué dans le secteur de la livraison de repas. Dans ce secteur, la baisse des financements disponibles devrait renforcer les barrières à l’entrée et mettre une pression considérable sur les nouveaux acteurs qui n’ont pas encore atteint une taille critique. A l’inverse, les entreprises qui ont atteint une certaine taille, comme Just Eat Takeaway.com ou Delivery Hero, devraient en profiter. Gorilla, Getir et Zapp ont déjà procédé à d’importantes suppressions de postes, laissant ainsi un vide que des acteurs plus grands et plus expérimentés comme Just Eat Takeaway.com et Delivery Hero pourront combler. C’est ce qui s’est passé il y a quelques années avec HelloFresh qui, ayant survécu à ses concurrents, a pu gagner de nouvelles parts de marché.
Pour ces entreprises qui n’ont pas encore procédé à leur introduction en bourse, la raréfaction des capitaux les obligera à s’adapter et, en fin de compte, améliorera leur pérennité. Elles devront se montrer plus prudentes dans la gestion de leurs liquidités et se focaliser sur leurs avantages compétitifs plutôt que de chercher la croissance pour la croissance. Cette évolution accès à une palette élargie d’entreprises en forte croissance qui, lorsqu’elles accéderont au marché boursier, seront plus robustes.
Les problèmes auxquels l’Europe se trouve confrontée aujourd’hui sont certes très nombreux, mais le manque d’esprit d’entreprise n’en fait pas partie. C’est un moment passionnant pour les investisseurs en actions européennes, qui peuvent maintenant investir dans nombre d’entreprises technologiques porteuses de disruption. A la phase de frénésie qui se termine pourrait succéder un âge d’or de la technologie européenne dont on ne voit encore que les prémices.