«Votre attention s’il vous plaît!»

Robert Wilson, Baillie Gifford

3 minutes de lecture

La compétition pour la captation du temps libre crée de nouvelles opportunités d’investissement.

Deux grandes tendances sont à l'origine de la croissance du secteur du divertissement. La première est, en Occident, le déclin de l'intérêt des jeunes générations pour les activités sociales traditionnelles hors ligne (sport, religion). Disposant de davantage de temps libre, ces jeunes cherchent d’autres moyens de créer du lien social ou d’affirmer leur identité. Leur appétence pour le divertissement en général, ou certaines franchises en particulier, se trouve donc accrue.

La seconde grande tendance est la multiplication des moyens de créer et de distribuer du contenu grâce à la technologie numérique. Cette évolution est à l’origine de l’essor de plateformes telles que Netflix, TikTok ou Spotify. Elle a également favorisé l’expansion de géants technologiques existants. Ainsi, en acquérant MGM pour 8,5 milliards de dollars, Amazon a obtenu la propriété intellectuelle exclusive de toute la saga James Bond.

Mais c’est probablement dans le domaine des jeux vidéo que l’accélération du changement est la plus manifeste. Les environnements 3D de ces jeux deviennent de plus en plus «sociaux» puisque désormais des centaines de joueurs peuvent évoluer simultanément dans le même espace virtuel. En outre, la monétisation des jeux ne cesse de gagner du terrain que ce soit au travers de la vente d’objets spéciaux (qui permettent aux joueurs de se distinguer), de modules complémentaires ou encore au moyen de la publicité.

Plateformes et outillage

Cette disruption ouvre une large palette d’opportunités nouvelles aux investisseurs axés sur le long terme. Elles peuvent se répartir sur trois segments, à savoir:

  1. Les créateurs de contenu: entreprises qui créent des jeux, des livres, des films, de la musique et d'autres médias.
  2. Les distributeurs: entreprises qui donnent accès à des contenus professionnels ou générés par les utilisateurs via des plateformes internet ou des applications.
  3. Les fournisseurs d’outillage: entreprises qui conçoivent et fournissent les technologies sous-jacentes nécessaires au développement des deux premiers segments.

Les investisseurs qui penchent pour une certaine neutralité peuvent se centrer sur les deux derniers segments: ainsi leurs portefeuilles seront faiblement exposés aux entreprises dont l’avenir pourrait dépendre du succès ou de l’échec d’un seul produit.

Parmi les fournisseurs d’outillages, Nvidia et Epic Games peuvent être cités à titre d’exemple. Le premier fabrique des processeurs graphiques (unités de traitement graphique ou GPU) et développe l’architecture (CUDA ou Compute Unified Device Architecture) qui permet d’exploiter les capacités de calcul des GPU. Ils pilotent des moteurs de recommandation basés sur l'apprentissage automatique et permettent de repousser les frontières du graphisme des jeux vidéo.

Pour ce qui concerne Epic Games, son moteur de rendu «Unreal» est utilisé par les concepteurs de jeux pour créer des environnements 3D très réalistes. En leur permettant de se concentrer sur la logique et les aspects sociaux de leurs jeux, bref sur ce qui les rend amusants, ce moteur leur évite de se perdre dans les méandres de la génération de lumières et de sons. En outre, son utilisation est gratuite, Epic ne percevant des royalties que lorsque les ventes d’un titre dépassent le million de dollars.

Si certaines entreprises se cantonnent à une activité spécifique, d’autres couvrent les trois segments. Ainsi, Microsoft est en passe d’étendre sa palette de jeux vidéo grâce au rachat de l’éditeur américain Activision Blizzard pour un montant de 69 milliards de dollars. Par ailleurs, l’entreprise distribue ses jeux via le Xbox Game Pass et propose de l’informatique à distance – «Cloud computing» au travers de sa plateforme Azure. Il en va de même pour Amazon qui couvre les trois segments précités.

A l’opposé, les entreprises qui se cantonnent à création de contenu peuvent également être envisagées dans le cadre d’un investissement, pour autant qu’elles soient parvenues à se créer une niche spécifique. Par exemple, A24, entreprise américaine privée de production de cinéma et de télévision se consacre à la création de contenus très haut de gamme. Elle s’efforce de permettre à des personnes talentueuses de réaliser des productions inédites et passionnantes telles que le film «Moonlight» (Oscar du meilleur film en 2017) ou la fameuse série télévisée «Euphoria» destinée aux adolescents. Le succès appelant le succès, ces réussites attirent toujours davantage de talents.

Netflix contre TikTok

L’un des avantages de l’investisseur généraliste est de pouvoir prendre en considération l’ensemble du secteur du divertissement et donc de comparer des entreprises qui sont actives dans des segments différents, mais qui se trouvent en concurrence pour prendre une part du temps consacré aux loisirs.

En 2021 par exemple, TikTok affichait un taux d’engagement global deux fois supérieur à celui de Netflix. De plus, son avance se creusait encore tant au niveau de ses revenus que de ses bénéfices puisque, contrairement à Netflix qui investit massivement dans les émissions et les films, TikTok dispose de contenus générés par les utilisateurs et affiche donc des coûts plus faibles.

Cela ne signifie pas pour autant que Netflix ne présente pas de belles perspectives de croissance. D’une part, l’entreprise compte environ 220 millions d’abonnés auxquels s’ajoutent quelque deux milliards d’individus qui, d’une manière ou d’une autre, paient pour un service de diffusion télévisuelle. Et même si Netflix a connu quelques difficultés sur différents marchés (Inde, Indonésie et certaines régions d’Afrique), sa nouvelle formule d'abonnement à bas prix avec des publicités pourrait y remédier. D’autre part, l’entreprise est devenue véritablement mondiale, une qualité rare dans ce secteur.

Doutes sur le métavers

S’il fallait en croire tout le battage autour du métavers, nous serions destinés à passer la majeure partie de notre temps dans cet univers virtuel généré par ordinateur et dans lequel il est possible de jouer et de se rencontrer. Cependant, le terme de «métavers» recouvrant de nombreuses potentialités, l’investisseur devrait se défier de ceux qui affirment qu’elles se réaliseront toutes simultanément.

Des avancées significatives ont été réalisées dans les domaines de la réalité virtuelle (RV) et de la réalité augmentée (RA) ainsi que dans la monétisation des jeux qui, de plus en plus, deviennent des lieux de socialisation. Les entreprises Sony et Meta sont actuellement leaders en matière de RV, mais Roblox pourrait également en profiter. Cette dernière encourage en effet les concepteurs externes à créer de nouveaux objets ou des modules complémentaires sur sa plateforme de jeux et permet ensuite à ses utilisateurs de jouer avec et de les acquérir avec sa monnaie virtuelle, le Robux. Bien que cette entreprise n’ait fait qu’aborder les rives de la RV, elle y a néanmoins déjà déposé les jalons de son avenir.

Des entreprises du segment «outillage» ouvrent également des opportunités intéressantes dans ce domaine. Ainsi, le fait d’Epic Games procède à de fréquentes mises à jour de son moteur «Unreal» permet aux concepteurs de créer de nouvelles expériences de RV et de RA. L’important est que le changement technologique favorise la créativité et permet à certaines entreprises d’approfondir la relation avec leurs clients. Et dès lors que le client est gagnant, il en va de même pour les investisseurs qui savent faire preuve de patience.

A lire aussi...