Jusqu’ici tout va bien

Julien Serbit, Prime Partners

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La liste des inquiétudes s’allonge et les signaux négatifs sont bien réels, nul ne dira le contraire. Pourtant les marchés actions sont à la hausse depuis le début de l’année.

Comme nous l’expliquait Mathieu Kassovitz au travers d’une réplique du film culte La Haine sorti en 1995, «jusqu’ici tout va bien mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage».  À l’heure des questionnements concernant un soft, hard ou même un no landing de l’économie américaine, on peut se demander dans quelle mesure la hausse des marchés actions en 2023 n’a pas un petit air de «jusqu’ici tout va bien».

Soyons réaliste, nous sommes assez loin d’un grand ciel bleu macroéconomique indiquant que le moment est venu d’acheter des actifs risqués. Les sujets d’interrogation sont nombreux aux Etats Unis: plafond de la dette, tensions sur les banques régionales, inflation élevée ou encore utilisation croissante des cartes de crédit par les ménages avec des taux d’intérêt record…

La liste des inquiétudes s’allonge et les signaux négatifs sont bien réels, nul ne dira le contraire. Pourtant les marchés actions sont à la hausse depuis le début de l’année et sur certains indices, technologiques notamment, on ne parle pas de maigres gains. Est-ce à dire que sommes dans le déni en nous répétant que jusqu’ici tout va bien ou serait ce plutôt un excès de pessimisme post 2022 car chat échaudé craint l’eau froide?

Un peu des deux. D’un côté l’état des finances américaines s’est dégradé. Les mesures prises pendant la pandémie ont évité au pays de sombrer dans un chaos économique et financier mais elles ont un prix dont l’inflation est l’une des illustrations. La question du plafond de la dette publique américaine n’est pas vraiment une fin en soi. Un relèvement s’étant déjà produit 78 fois depuis 1960, il convient de le voir comme un jeu politique se terminant généralement par un accord. C’est plutôt l’évolution de la dette durant les trente dernières années pour atteindre 31'000 milliards de dollars aujourd’hui qui interpelle…Ramené au produit intérieur brut, le ratio dette/PIB américain dépasse les 120% et classe les Etats Unis parmi les pays développés les plus endettés. Chez l’oncle Sam, tant au gouvernement que chez les ménages, in debt we trust!

Cette notion de confiance explique en partie la hausse des actions en 2023 malgré un environnement général contrasté qui laisse apparaitre les premiers signaux de ralentissement économique. Confiance dans la capacité des banquiers centraux à bien manœuvrer dans les mois à venir mais surtout confiance dans leur aptitude à ne pas laisser tomber les investisseurs en cas de panique. Le «Fed put» n’a plus la forme d’une planche à billet imprimant de l’argent facile à foison mais l’image d’assureur ultime de la FED demeure. En d’autres termes, pour de nombreux investisseurs, si besoin il y a alors Jérôme Powell ressortira son costume de super pompier et saura éteindre tout départ de flamme à grands coups de baisse des taux.

Deux facteurs supplémentaires viennent renforcer cette sensation de confiance car perçus comme porteurs pour les actions. Il s’agit de la transition énergétique et de l’intelligence artificielle. Il est fréquent aujourd’hui d’entendre que tant le passage vers les énergies propres que l’avènement de l’intelligence artificielle (ou plutôt la remise à la mode de ce terme suite à l’arrivée de Chat GPT) sont deux «mégatendances» soutenant les actifs risqués.

Dans le premier cas, l’argumentaire veut que les très importants investissements requis par le «passage au vert» de nos économies prolongent le cycle de croissance actuel. Dans le second, la perception positive est encore plus globale tant les champs d’application de l’IA sont nombreux et son utilisation source de croissance.

Pour l’un comme pour l’autre, il faut savoir raison garder. La transition énergétique est évidemment une avancée mais elle est imposée par le changement climatique dont les dégâts, parfois irréversibles, sont couteux pour nos sociétés. La raréfaction de l’eau ou encore un pétrole plus cher dans le futur car moins disponible semblent devoir nuancer le rationnel positif de la transition énergétique pour la croissance économique.

Concernant la technologie, rappelons-nous que le «metaverse», si populaire durant le Covid, ressemble aujourd’hui plus à un feu de paille qu’à la révolution virtuelle annoncée. La théorie d’un «Iphone moment» de l’intelligence artificielle désignant une période d’évolution technologique à venir semblable à celle suivant l’apparition du Iphone en 2007 ne sont pas encore vérifiables dans nos quotidiens et des voix s’élèvent déjà contre les emplois risquant d’être supprimés au profit de l’IA.

C’est donc un mélange improbable constitué de confiance envers les banquiers centraux et d’un certain «bruit» positif concernant la transition énergétique et l’intelligence artificielle qui porte les actions et tient tête au ralentissement économique de plus en plus empirique que nous observons cette année. Les prochains mois seront riches d’enseignements sur chacun de ces fronts et donneront aux opérateurs soit des raisons de s’accrocher à leurs espoirs d’une poursuite du cycle économique actuel soit les inciteront à revoir leur copie concernant la fin de ce dernier.

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