Pas de surprise pas de crise...

Julien Serbit, Prime Partners

2 minutes de lecture

Ce n’est pas tant la récession qu’il faut craindre mais plutôt les conséquences du changement de régime tant en termes de taux d’intérêt que d’ordre mondial.

Alors que la saison des résultats des sociétés américaines pour le premier trimestre débute, le «reality check» que ces publications représentent pour les investisseurs donne lieu aux habituelles prévisions de toute une série d’acteurs, plus ou moins objectifs, du marché.

Patrons de grandes banques, gérants de fonds spéculatifs et autres experts en tout genre vont se prêter au jeu de la boule de cristal sur l’avenir des marchés financiers durant les prochaines semaines, argumentant, souvent avec brio, leurs vues.

Peu de doute quant à la question principale du moment qui ne tient finalement qu’en un mot: récession. Quelle ampleur, quel timing, quels impacts…la récession est et va rester sur toutes les lèvres. A-t-on raison de craindre si fortement une période de deux trimestres consécutifs (ou plus…) de croissance négative du produit intérieur brut (définition du Larousse)? Au fond ce que tout le monde craint ce n’est pas vraiment de voir le signe «moins» devant un chiffre économique mais plutôt les conséquences qu’on y associe généralement, hausse du chômage, coupes salariales, chute des indices boursiers… En résumé un horizon incertain et un quotidien moins agréable.

Alors oui tout cela semble plausible quant on essaye de prendre un peu de recul sur l’actualité économique et financière. Les signes de craquement du système bancaire américain sont indéniables, nul besoin de revenir dessus. L’épisode UBS – Credit Suisse démontre que la fièvre monte vite et qu’un vacillement du système tout entier est possible à tout moment.

Le système actuel tient. Mais il n’en demeure pas moins qu’il est fragile et que cette fragilité s’est accrue depuis quelques trimestres.

Mais pas si vite. Pour que les bourses chancellent fortement il faut ajouter un peu de piment à la recette, autrement dit la concrétisation d’une récession très anticipée comme il en est débat depuis des mois ne semble pas devoir provoquer de «krach» mais plutôt des marchés boursiers sans grande direction et plus de volatilité. L’anticipation des investisseurs est clé dans la détermination des prix des actifs financiers et aujourd’hui un large consensus intègre une récession légère à venir pour les prochains trimestres ou du moins une croissance économique proche de 0.

Une surprise pourrait bien sûr venir de résultats de sociétés nettement pires qu’anticipés par les analystes et qui seraient alors annonciateurs d’un ralentissement économique global bien moins gérable que prévu. A première vue, ceci ne semble pas être pour ce trimestre. Après les subprimes en 2008, le Covid en 2020 et la guerre entre la Russie et l’Ukraine en 2022 on peut se demander ce qui va surprendre les opérateurs et potentiellement les faire paniquer. Un ralentissement économique ou une légère récession ne surprendraient personne puisque tout le monde s’y attend.

La méfiance se situe plutôt dans la cascade de conséquences, encore largement inconnues, du violent resserrement monétaire effectué par les banquiers centraux des deux côtés de l’Atlantique ces derniers trimestres. Que va-t-il advenir d’un système financier soutenu par des années de «planche à billet» dans ce nouvel environnement de taux d’intérêt élevés?

L’emprunt à taux zéro ou «argent facile» a dopé des pans entiers de l’industrie financière. Private equity, immobilier ou encore le secteur du luxe ont connu un eldorado sans précédent durant les années d’injections de liquidité facilitant le levier et permettant indirectement une impressionnante création de richesse. Il ne fait nul doute que cette frénésie n’aurait pas pu avoir lieu sans le soutien de politiques monétaires accommodantes ni sans les mesures sans précédent décidées pour soutenir l’activité économique durant la pandémie.

Le système financier, souvent durement critiqué, présente tout de même des vertus dont celle d’une capacité à gommer ses excès, en général de manière brutale, pour se donner du souffle et repartir vers de nouveaux excès (on ne se refait pas…). Ce n’est donc pas tant ici la récession qu’il faut craindre mais plutôt les conséquences à venir du changement de régime que nous connaissons tant en termes de taux d’intérêts que d’ordre mondial. Certains évènements à venir nous surprendrons encore, nous ne les aurons pas anticipées, c’est la loi du marché.

Qu’il s’agisse d’un sauvetage express d’une banque, de difficultés d’un acteur de l’industrie du private equity ou encore d’un embrasement de la situation entre la Chine et Taïwan nous serons surpris car nul ne connait l’avenir. Dès lors qu’il est question d’évènements venant influencer les cours de bourse, trop de paramètres viennent se mêler et interagir pour que nous puissions les prédire.

L’histoire nous démontre qu’il faut savoir être raisonnable quand la plupart des gens ne le sont plus et garder un peu d’optimisme quand la peur nous paralyse. Le système actuel tient et nul doute que les banquiers centraux, super pompiers économique et financier de l’ère post 2008 feront tout pour que cela continue. Il n’en demeure pas moins qu’il est fragile et que cette fragilité s’est accrue depuis quelques trimestres. Nous n’éviterons pas toutes les surprises et donc les crises potentielles à venir mais la récession ou le ralentissement n’en seront pas vraiment.

A lire aussi...