Investisseurs en obligations vs investisseurs en actions

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Il y a dix jours, le rendement des bons du Trésor US à dix ans a cédé jusqu'à 18 points de base, à 1,25%, avant de terminer la semaine concernée à 1,35%.

Depuis la dernière réunion de la Réserve fédérale (Fed) du mois de juin, le rendement des bons du Trésor américain à dix ans est en baisse. Ceci en dépit des projections de taux d'intérêt de la banque centrale américaine qui suggèrent un premier relèvement en 2023, plus précoce que dans les prévisions précédentes. 

La baisse des rendements a également été préjudiciable à ceux qui parient sur la relance. Il y a dix jours, le S&P 500 a grimpé de 0,4% pour atteindre un nouveau sommet historique. Mais les secteurs sensibles à la conjoncture économique, comme la finance et l'énergie, ont sous-performé les valeurs technologiques. L'indice Russell 1000 Growth a progressé de 1,0%, tandis que l'indice Value a cédé 0,3%.

Les catalyseurs de la peur

Ces fluctuations suggèrent que les investisseurs en actions commencent à redouter, comme les investisseurs en obligations, que la croissance ait déjà atteint son apogée. Cette inquiétude est alimentée par trois facteurs principaux. 

Les variants du coronavirus ne devraient pas perturber la reprise économique
dans les pays développés, même s'ils sont susceptibles de la retarder légèrement.

Premièrement, les variants du coronavirus mettent à mal le scénario du déconfinement, avec le rétablissement de restrictions dans plusieurs pays asiatiques. Ensuite, le procès-verbal de la réunion de la Fed indique un risque de dérapage de l'inflation qui fait craindre un resserrement monétaire plus précoce susceptible d'étouffer la reprise économique. Enfin, une chute de l'indice ISM pour le secteur des services aux Etats-Unis dénote un fléchissement de la dynamique de croissance.

Pour autant, rien ne permet de penser que les investisseurs en obligations savent quelque chose que les investisseurs en actions ignorent. Ces trois facteurs ne constituent en effet probablement pas des arguments fondamentaux qui justifient la chute des rendements et des actions. Explications.

1. Des vaccins efficaces contre les variants

Le variant Delta et les autres souches du coronavirus ne devraient pas perturber la reprise économique dans les pays développés, même s'ils sont susceptibles de la retarder légèrement. De nombreuses sources de données empiriques suggèrent que les vaccins sont efficaces contre les variants, y compris contre le Delta, avec une diminution marquée des hospitalisations et des décès dans les pays où une bonne partie de la population est vaccinée. 

Néanmoins, tous les pays ne pourront pas enregistrer un retour à la normale aussi rapide que prévu. La reprise épidémique en cours en Indonésie, en Malaisie et ailleurs montre que des restrictions sanitaires seront nécessaires pendant un certain temps dans les pays où le taux de vaccination est plus faible. 

L'inquiétude des marchés est excessive au regard du calendrier
prévu pour le resserrement de la politique la Fed.

L'impact du variant Delta dépend du niveau et du rythme de vaccination, du recours aux vaccins à ARN messager et des niveaux d'immunité actuels. A en juger par l'ensemble de ces paramètres, les Etats-Unis et l'Europe semblent moins susceptibles de retarder leur déconfinement que certains pays d'Asie et d'Amérique latine.

2. Pas de resserrement monétaire de sitôt

L'inquiétude des marchés est excessive au regard du calendrier prévu pour le resserrement de la politique la Fed. Ce dernier est conditionné à une amélioration de la conjoncture économique. Le président de la Fed, Jerome Powell, a déclaré précédemment qu'il attendrait la création d'un million d'emplois sur plusieurs mois avant de franchir le pas. 

S'agissant de l'inflation, la Fed pense qu'elle enregistrera une décrue grâce à l'atténuation des difficultés d'approvisionnement liées à la pandémie et grâce à des effets de base. D'ailleurs, certains indicateurs comme le baromètre des salaires de la Fed d’Atlanta (Atlanta Fed’s Wage Tracker) mettent en évidence une atténuation de l'inflation salariale pour les emplois les mieux rémunérés. 

La Recherche d’UBS pense qu'un plan de réduction graduelle des achats d'obligations sera dévoilé d'ici la fin de l'année, en attendant sa mise en œuvre l'année prochaine. Le relèvement des taux directeurs ne devrait intervenir qu'en 2023, et non au second semestre 2022, comme le suggère les prix des contrats à terme sur les Fed funds.

3. La peur exagérée d'une panne de croissance

Il est vrai que la croissance fléchit quelque peu, mais elle reste solide. Après son sommet historique de 64 points en mai, l'indice ISM pour le secteur des services est tombé à 60,1 points en juin, un niveau qui demeure toutefois élevé. La composante «emploi» est tombée sous le seuil des 50 points synonyme de contraction, ce qui s'explique probablement par les difficultés d'approvisionnement liées à la pandémie, et non par une insuffisance de la demande. 

Les investisseurs feraient bien de rester enclins à la prise de risques.

La conjoncture économique actuelle ne justifie probablement pas que les marchés obligataires commencent dans les faits à refléter de nouveau une stagnation séculaire. La Recherche d’UBS table sur une croissance aux Etats-Unis de 6,9% cette année et de 6,0% en 2022.

Une baisse des rendements temporaires

Au contraire, la baisse des rendements semble largement imputable à des facteurs techniques temporaires et les investisseurs feraient bien de rester enclins à la prise de risques. En premier lieu, le bilan de la Fed a franchi le seuil des 8’000 milliards de dollars, après avoir augmenté de 200 milliards de dollars le mois dernier, soit bien plus que l'enveloppe mensuelle de 120 milliards de dollars prévue par le programme d'achat d'actifs. 

Deuxièmement, les émissions nettes de bons du Trésor sont tombées à zéro avant l'expiration, à la fin du mois, de la suspension du plafond de la dette et le Trésor américain est en train de réduire le montant de son compte général avant cette échéance. 

En dernier ressort, cela crée des réserves excessives inscrites au bilan des banques commerciales qui sont investies dans des actifs liquides de grande qualité comme les bons du Trésor. Par ailleurs, la demande de bons du Trésor qui émanent des banques a augmenté pour compenser le ralentissement de la croissance de l'encours de prêts. Et, enfin, la liquidité des marchés s'est amenuisée après le week-end du 4 juillet.

L’optimisme est de mise

Les rendements devraient repartir à la hausse pour atteindre les 2% d'ici la fin de l'année avec le déconfinement total de l'économie américaine, la poursuite de l'embellie sur le marché de l'emploi et la perspective d'un désengagement de la Fed.

L'inquiétude suscitée par le pic de croissance et la baisse des rendements obligataires devrait s'atténuer. Les indices boursiers ont certainement une marge de progression, plus ou moins importante selon les secteurs. Les investisseurs seraient bien avisés de se positionner dans l'optique du déconfinement et de la reprise. Par ailleurs, la récente sous-performance des valeurs décotées va sans doute s’enrayer. 

En plus du rebond des rendements, qui profite à certains secteurs comme la finance, la saison de publication des résultats du deuxième trimestre a débuté la semaine passée aux Etats-Unis. Or la croissance des bénéfices des entreprises sous-évaluées (style «value») s'annonce nettement plus forte que celle des entreprises de croissance (style «growth»). 

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