Private Equity: un scénario inattendu

Levi-Sergio Mutemba

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Cyril Demaria ne constate pas les effets qu'une crise de l'ampleur de la pandémie aurait pu produire… jusqu'à présent.

Contrairement aux récentes grandes crises, notamment de nature financière, des 10-20 dernières années, la crise sanitaire actuelle n’a pas disloqué les marchés où investissent les fonds de private equity. «Étonnamment, la crise liée au Covid n’a pas eu le type d’impact que l’on aurait pu attendre», souligne Cyril Demaria, consultant international pour l’industrie des fonds privés et professeur affilié à la prestigieuse business school de l’EDHEC. «Tant en termes d’évolution des valeurs des sociétés sous-jacentes qu’en termes de performances des fonds eux-mêmes », ajoute le conseiller basé en Suisse. Qui nous offre son analyse sur les raisons permettant de comprendre pourquoi leurs valorisations sont loin de refléter toutes les mauvaises nouvelles. Et sur ce qu’il conviendra de surveiller de près au cours des mois à venir.

Comment évaluez-vous le comportement des fonds privés un peu plus d’un an après l’apparition de la pandémie?

Jusqu’ici, nous n’observons rien de particulier dans les données. Les portefeuilles des fonds sont restés globalement stables, certains enregistrent même de bonnes performances. Et du côté des sociétés en portefeuille, celles-ci ne semblent pas avoir souffert des effets économiques de la pandémie. Il faut cependant rester prudent dans l’interprétation de cette résilience, dans la mesure où un certain nombre de facteurs ont pu contribuer à maintenir le marché opérationnel.

De fait, les mesures de soutien public ont clairement joué un rôle. Aussi, les investisseurs disposaient et disposent toujours de niveaux élevés de liquidités, dans un contexte de faibles taux. Or ces liquidités ont été investies, comme vous le savez, dans les start-up ou sociétés à forte croissance, ce qui a eu pour effet d’accélérer les valorisations de secteurs stratégiques tels que les nouvelles technologies et les biotechs.

«Le timing de la pandémie a probablement joué un rôle dans l’évolution des marchés».
L’évolution des marchés financiers cotés a-t-elle été corrélée d’une manière ou d’une autre aux actifs non-cotés?

Il convient en effet de souligner que les marchés des actifs cotés en bourse ont montré une évolution en «V», comme en 2008, avec une nette reprise depuis l’été 2020. C’est significatif, car cela veut dire que les investisseurs sur ces marchés n’ont pas subi de pertes durables ou importantes. Ceux-ci n’ont donc pas fait l’objet de ventes forcées d’actifs non-cotés, ventes qui auraient servi à financer des pertes subies sur les marchés cotés. Ce scénario était pourtant celui que l’on a observé durant la crise financière. Enfin, le timing de la pandémie a probablement joué un rôle dans l’évolution des marchés en général, du moins sur les marchés développés. Le Covid s’étant développé surtout en début d’année dernière, entre février et mai, cela a laissé beaucoup de temps aux marchés financiers pour se reprendre et terminer l’année sur une note positive. Au risque de paraître un peu schématique, dans le cas où la pandémie se serait développée entre l’été et la fin de l’année, les valorisations des fonds auraient alors reflété, il me semble, certaines mauvaises nouvelles.

Vous souligniez que le Covid n’a pas eu l’impact que l’on aurait été en droit d’escompter en pareilles circonstances. Plus précisément, d’où sont venues les surprises?

J’ai l’impression, en attendant des données plus complètes, que, jusqu’ici, les fonds de situations spéciales, qui s’intéressent aux entreprises en difficulté, n’ont pas connu beaucoup d’activité. Il y a peu d’actifs-cibles et leurs valorisations restent élevées, ce type de fonds ayant souffert de l’absence manifeste de vague de dépôts de bilan et de restructurations, par exemple. Il reste également beaucoup de travail à faire pour évaluer ce qui se passera dans le monde de l’immobilier, surtout en Europe, notamment au niveau des sociétés d’exploitation immobilière. Au sein de ce segment, nous nous attendions à une chute du marché immobilier, comme en 2008. Mais elle ne s’est pas matérialisée. Nous n’en sommes toutefois encore qu’au tout début du processus de changement de comportements et des habitudes des agents économiques. Aussi, va-t-on assister à une vague de non-performing loans ou de prêts non-productifs dans le secteur bancaire? Cela reste à voir.

Le marché du secondaire a également surpris, celui-ci affichant une faible activité au premier semestre 2020. Or nous nous attendions à des vagues de ventes d’actifs de la part des fonds, mais il n’en est toujours rien. Là encore, comme nous le soulignions précédemment, ceci s’explique par le fait que les investisseurs ont encore beaucoup de liquidités. N’étant pas en panne de capitaux, ils ne se sont pas sentis forcés de vendre des parts de fonds privés.

«Il y a eu une communication très active des gérants».
Contrairement aux grandes crises précédentes, cette crise sanitaire n’a pas pour cause une dislocation des marchés financiers ou du secteur bancaire ou une récession économique. Cela peut-il expliquer, du moins en partie, le comportement relativement serein des investisseurs?

C’est possible. Mais en l’absence de données suffisamment complètes, il est difficile de trancher de manière nette sur cette question. Je pense qu’il est encore trop tôt pour évaluer ce lien. En revanche, ce qui semble manifeste est la rapidité avec laquelle les gérants ont entreprise des audits de leurs portefeuilles. Ils ont ainsi assez rapidement cerné les sociétés susceptibles de se retrouver en difficulté, avant même que les gouvernements annoncent leurs plans de soutien budgétaire. Le fait que l’on savait d’où venait le problème, même en étant dans l’incapacité d’en mesurer l’impact, a permis aux fonds privés de prendre la mesure et de prendre les actions correctrices. Enfin, les souscripteurs de fonds le confirment, il y a eu une communication très active des gérants vis-à-vis de ces derniers en particulier. Ce qui a eu pour effet de les rassurer ou de les rendre moins nerveux.

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