Zoom: déjà un piège de la valeur?

Levi-Sergio Mutemba

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Les signaux comportementaux poussent les gérants de Quantology à vendre le télé-conférencier américain.

Début septembre, Quantology Capital Management a initié une position short significative sur Zoom Video Communications (Zoom), suite à la publication de ses résultats trimestriels. Le titre perd en effet environ 20% depuis février. Une chute justifiée, selon le portfolio manager Julien Messias, interrogé par Allnews. Qui remarque que la fin attendue de la pandémie atténue l’intérêt des outils de travail à distance. Les grands gagnants du covid ne sont pas forcément des gagnants dans un monde sans virus.

Julien Messias part du principe que le marché est essentiellement mû par des forces psychologiques. Et que, sous cette perspective, celui-ci observe «la fin d’un effet de mode» sur Zoom. «La pandémie avait en effet suscité un syndrome «FOMO» ou «Fear Of Missing Out», qui désigne la peur de rater une opportunité ou un gain à venir», poursuit le gérant. Les investisseurs auraient ainsi massivement acheté les titres qui allaient le plus bénéficier des effets du Covid-19, tels que ceux associés au télétravail durant le confinement. «Or au fur et à mesure que ce thème devient de moins en moins pertinent en raison du déconfinement en cours, nos signaux comportementaux indiquent une baisse d’intérêt de la part des investisseurs pour des valeurs comme Zoom», précise Julien Messias.

Les marques qui se sont le plus renforcées durant la pandémie ne parviennent plus à exercer le même impact sur l’imaginaire des investisseurs.

Qui ajoute que cette nouvelle tendance se reflète notamment dans les produits passifs répliquant spécifiquement les performances des sociétés innovantes du secteur technologique, lorsqu’on les compare avec les actions bien établies du même secteur. «Je pense, entre autres, à l’exchange-traded fund ARK Innovation ETF, dont Zoom figure parmi les principales positions et qui enregistre une performance négative d’environ 20% depuis février et de 5% depuis le début de l’année (au 13 septembre 2021). Par contraste, le Nasdaq 100 Total Return, où se concentrent les GAFA, est en hausse de 20% depuis fin décembre.»

Même les politiques monétaires, pourtant plus restrictives, ne joueraient aucun rôle dans cette évolution récente de certaines valeurs de croissance telles que Zoom. «La simple perception d’un retour à la normale vers le lieu de travail suffit à expliquer une grande part des mouvements de cours», insiste le portfolio manager. L’expert concède que ce retour ne sera pas intégral, dans la mesure où certaines entreprises et individus continueront d’opérer à distance.

«Mais les marques technologiques qui se sont le plus renforcées durant la pandémie, à coups de campagnes marketing agressives, ne parviennent plus à exercer le même impact sur l’imaginaire des investisseurs et des consommateurs», souligne Julien Messias. «Il est intéressant de noter, à ce titre, que les services offerts par Zoom ne sont pas nouveaux en soi. Ils l’étaient déjà par le logiciel de communication Skype. Zoom l’a supplanté en sachant construire son identité autour de la pandémie. Une identité qui s’érode au fur et à mesure du déconfinement.»

Ce processus aura néanmoins des effets variés selon les entreprises. Si les mouvements sont spécifiques à chaque titre, explique Julien Messias, il y a cependant «une logique de spécialisation qui s’accélère» suite à la pandémie. Le manager rapportent des signaux positifs, par exemple, sur des titres tels qu’Atlassian, en hausse de 64% depuis le début de l’année, qui propose des outils de collaboration et de développement logiciel pour les équipes de gestion des entreprises.

«Le secteur technologique reste le plus sujet à l’effet momentum.»

«Même tendance pour les applications de partage Snapchat, en hausse de 33%, les solutions cloud de Workday pour les ressources humaines et le secteur de la finance, dont l’action progresse de 17% depuis le début de l’année», poursuit le gérant. Qui évoque également les systèmes de gestion de bases de données MongoDB, en hausse de 29% sur cette période. «En revanche, les signaux négatifs s’accumulent sur les acteurs de l’ancienne économie. Le géant agroalimentaire Kraft-Heinz a nettement reculé le mois dernier, de même que le groupe de distribution à bas prix Dollar Tree, qui perd 12% sur le mois écoulé.»

Enfin, même si le secteur enregistre une progression de près de 900% depuis octobre 2008 (contre moins de 300% pour le S&P 500), rien ou peu de choses laissent penser qu’il pourrait en être autrement durant à court ou à moyen terme. Selon Julien Messias, pour qui l’effet momentum demeure la force sous-jacente majeure le marché, les fondamentaux et les valorisations en soi n’ont pas le poids qu’ils avaient par le passé. «Le facteur momentum s’applique toujours, en effet», persiste celui-ci. Et le secteur technologique reste le plus sujet à ce facteur.»

Pour Julien Messias, ce secteur attire un très grand nombre d’investisseurs aux profils variés. «Il y a en outre, comme l’a illustré l’affaire Robinhood en début d’année, de nouveaux entrants sur le trading, de jeunes générations qui boursicotent dans le métro comme on joue aux jeux vidéos, symbolisant un effet de «gamification» de la Bourse», explique-t-il.

«Leur victoire collective sur le titre Gamestop face à de puissants hedge funds a renforcé ceux-ci dans l’idée selon laquelle ils peuvent avoir accès à n’importe quel actif et que les marchés ne sont ainsi plus réservés aux seuls experts ou gestionnaires professionnels suivant une approche fondamentale.» Le gérant rappelle que dans le cas de Gamestop, ce ne sont en effet pas les fondamentaux qui intéressaient ces traders mais le facteur psychologique lié à la culture du jeu vidéo chez les nouvelles générations.

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