Le piège de la notion de «prime d’illiquidité»

Cyril Demaria, Wellershoff & Partners

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Le raisonnement erroné selon lequel un mode de calcul inapproprié et l’effet de levier gonfleraient les performances des placements privés.

Preqin, fournisseur de données et d’informations financières pour l’industrie de la gestion alternative, estime que les actifs sous gestion du private equity ont augmenté d’environ 100 milliards à plus de 3500 milliards de dollars entre 1990 et 2020, soit 35 fois en 30 ans. Cette forte croissance n’a d’égal que celle de la gestion passive cotée. Ces deux stratégies ont sans surprise suscité des craintes et attiré des critiques, notamment de la part de gérants traditionnels dédiés aux actions cotées et de hedge funds.

Leur critique du private equity s’argumente généralement ainsi: les montants gérés ont crû trop vite et résultent d’une incompréhension de la part des investisseurs. La performance du private equity n’existe pas. Il s’agit d’un double artifice. Le premier est l’utilisation d’une mesure de performance erronée (le taux de rendement interne). Le second est l’utilisation de l’effet de levier financier, c’est-à-dire que l’opérateur en LBO utilise de la dette pour doper sa performance et, donc, implicitement son risque. Tout investisseur qui achèterait un portefeuille d’actions de petites et moyennes sociétés cotées avec le même quota de dette aboutirait au même résultat sur la même durée. La performance est donc le simple résultat d’une «prime d’illiquidité».

La notion de prime d’illiquidité
vient du monde de la dette.

Ce raisonnement est erroné et, à bien des égards, fallacieux. La notion de prime d’illiquidité vient du monde de la dette. Un prêteur accepte de différer l’utilisation de son capital pour un certain temps. Il est rémunéré pour cela par un emprunteur qui paie un intérêt sur le capital. Cet emprunteur paie par ailleurs une prime de risque au prêteur, qui pourrait de fait ne pas être remboursé. De la même manière, l’investissement en actions cotées combine différentes primes. Dans le cas du private equity, la durée d’investissement est en moyenne de trois à cinq ans, selon la stratégie adoptée (capital-risque, capital-développement ou LBO). Ce n’est donc pas un risque, mais une dimension de l’investissement.

Pour s’abstraire du débat sur la performance, les chiffres sont très clairs. Une comparaison, nette de tous frais, entre les fonds de LBO américains totalement liquidés, montre une performance de 470 points de base supérieure au MSCI US Index. Cette mesure est faite grâce au Public Market Equivalent, une méthode qui réplique exactement les investissements et cessions des fonds de private equity en achetant et vendant l’index au même rythme. Les fonds de LBO d’Europe de l’Ouest affichent une superformance de 827 points de base sur le MSCI Europe.

La différence de performance entre fonds de private equity
et actions cotées est liée à une combinaison de facteurs.

Qu’en est-il des fonds actifs? Ils semblent moins performants. Ceci est lié au fait que les indices d’actions ont progressé fortement au cours des dernières années. Or, les valeurs nettes d’actifs des fonds de private equity sont évaluées par les gérants de manière conservatrice. La littérature académique a démontré que plus les gérants sont performants, plus les valeurs nettes d’actifs intérimaires des fonds sont évaluées de manière conservatrice. Se faire une opinion des fonds actifs est donc délicat: les valeurs nettes sont en retard sur les indices cotés, jusqu’à ce que les actifs soient vendus.

La différence de performance entre fonds de private equity et actions cotées est liée à une combinaison de facteurs. L’un est l’effet de levier financier. La littérature académique démontre qu’environ 30% de la performance des fonds de LBO est liée à l’ingénierie financière. L’essentiel vient de la création de valeur des gérants. Dans ce cadre, la prime d’illiquidité est mesurée, toute chose étant égale par ailleurs, par la différence entre le multiple d’EBITDA au moment de l’acquisition d’une entreprise et ce même multiple au moment de la sortie. Il est estimé que cette différence de multiple, à périmètre d’activité constant de l’entreprise, contribue entre -10 et +10% à la performance du gérant. «Attendre et voir» ne crée donc pas de performance.

De fait, les investisseurs souhaitant vendre une part de fonds de private equity sur le marché secondaire doivent accepter une décote de 10 à 30% sur la valeur nette d’actifs, déjà conservatrice. Ils paient donc une prime pour la liquidité. Cela est aussi vrai pour les investisseurs sur les marchés cotés. Ils placent la liquidité avant tout et paient une prime élevée: ils abandonnent la création de valeur associée à la forte gouvernance du private equity.

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