Gestion d’actifs: à quel cerveau se fier?

Levi-Sergio Mutemba

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Certains pensent que l’intelligence artificielle fera mieux que les êtres humains. Mais pour d’autres, elle restera cantonnée aux tâches banales de manipulation des grands volumes de données.

Quoi de plus familier que des algorithmes, pour les professionnels de l’investissement. Toute la sphère alternative, et pas seulement, utilise des algorithmes. Curieux, donc, que les modèles de traitement automatique du langage soient aussi peu explorés dans le secteur de la gestion d’actifs. C’est ce que suggèrent, notamment, les chercheurs de la Seoul National University, qui se sont penchés sur les capacités d’analyse et de sélection des classes d’actifs par ChatGPT. D’autant plus déconcertant est le fait que l’intelligence artificielle sert pratiquement toutes les stratégies et objectifs d’investissement. Gestionnaires systématiques ou discrétionnaires, quantitatifs ou fondamentaux, professionnels ou sans formation, tous y trouvent leur compte.

Prenez les gérants quantitatifs du fonds Digital Stars Europe de la société de gestion Chahine Capital. La stratégie de ces suiveurs de tendance repose sur le facteur momentum. Ici, l’alpha dépend essentiellement de la pertinence des signaux d’achat et de vente. En l’occurrence, la dynamique de prix des actions et celle des révisions des bénéfices par les analystes. S’est ajouté, en 2019, un troisième signal généré par l’intelligence artificielle ou momentum IA.

«Pour nous, l’intelligence artificielle est une boîte à outils supplémentaire.»

«Le momentum IA, que l’on peut associer à un portefeuille-réseau de neurones, vise à optimiser les scores obtenus à partir des signaux de cours et de révisions des bénéfices», explique Julien Bernier, CIO chez Chahine, lors d’un entretien avec Allnews. «Pour nous, l’intelligence artificielle est une boîte à outils supplémentaire», poursuit le portfolio manager. «A chaque signal correspond une sous-stratégie que nous construisons, l’une basé sur la dynamique de cours, une deuxième sur les révisions de bénéfice et un troisième sous-portefeuille utilisant le momentum des deux autres signaux, mais optimisé par l’apprentissage machine», détaille Julien Bernier.

Cet apprentissage automatique («deep learning») consiste à développer des réseaux neuronaux informatiques, modelés sur le fonctionnement du cerveau humain. L’objectif est de créer des algorithmes capables d’analyser des données nouvelles, en temps réel et sans intervention humaine. «Nous recherchons un certain nombre d’informations à partir de données quantifiables que l’on va fournir au système», souligne Julien Bernier. «Celui-ci va ensuite procéder à leur classification, ce qui suppose au préalable un apprentissage ou entraînement de la machine à interpréter toutes ces données, ce qui prend un certain temps», insiste le gestionnaire.

Contrairement à un trader systématique, un gestionnaire fondamental, qui cherche d’abord à évaluer plutôt qu’à prédire, accordera plus de valeur à la profondeur des données qu’à leur étendue. Cependant, il s’appuie, lui aussi, sur l’intelligence artificielle pour traiter des données alternatives («alt data»), provenant de sources autres que les états comptables ou les rencontres avec les dirigeants. Des données offrant pourtant des indications plus ou moins précises sur l’évolution probable de paramètres tels que la croissance des bénéfices, l’évolution des ventes ou le risque de crédit.

«Les grands modèles de langage tels que ChatGPT pourraient réaliser des tâches banales et coûteuses en temps.»

Dans leur contribution au manuel de l’intelligence artificielle, publié un peu plus tôt dans l’année par le CFA Institute, Indrid Tierens et Dan Duggan, directeurs au sein du Goldman Sachs Global Investment Research (GSGIR), mettent en effet l’accent sur l’utilité des «niches de données» complémentaires pour les fonds activement gérés, ces dernières offrant une vue plus mosaïque des entreprises dans lesquelles ils investissent.

«Par exemple, le sentiment des consommateurs à travers les réseaux sociaux, la fréquentation physique des sites de ventes ou les tendances de recherche en ligne pendant les cycles de vie des produits procurent différents angles à partir desquels un tableau plus complet du secteur de la consommation peut se dresser», précisent les experts de GSGIR.

L’avenir dira cependant si les algorithmes intelligents le sont vraiment. Ou s’ils ne sont bons qu’à réaliser des tâches fades quoique complexes. Selon Hyungjin Ko et Jaewook Lee, les auteurs de l’étude publiée par le Seoul National University, les systèmes d’intelligence artificielle devraient faire mieux que les êtres humains dans la sélection des actifs. Au contraire, affirme Jonathan Berkow, Director of Data Science —Equities, chez Bernstein. L’intelligence artificielle n’est là que pour aider les professionnels à surmonter l’explosion des données à traiter. «Nous pensons que les grands modèles de langage (LLM) tels que ChatGPT pourraient réaliser des tâches banales et coûteuses en temps auxquelles les professionnels de l’investissement consacrent actuellement des ressources disproportionnées», estime Jonathan Berkow.

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