Gaz et nucléaire: faut-il les intégrer?

Michaël Oblin & Gerrit Dubois, DPAM

3 minutes de lecture

Investir taxonomiquement vert devient un véritable casse-tête dans les portefeuilles européens.

Le 2 février 2022, la Commission européenne publiait son acte délégué final sur l'ajout de l'énergie nucléaire et du gaz à la taxonomie de l'UE. Son principal argument pour les inclure est qu’elles favorisent un approvisionnement stable qui permet de compenser l’intermittence des énergies renouvelables.

En ce qui concerne la compatibilité du nucléaire avec l'exigence de «ne pas causer de préjudice important», la Commission européenne a fondé sa proposition sur l'argument du Centre commun de recherche selon lequel les technologies existantes peuvent remédier aux impacts négatifs importants de l'énergie nucléaire à des coûts raisonnables.

Comment comprendre les critères retenus?

Les scénarios compatibles avec une hausse maximale de +1,5°C demandés par l'Agence internationale de l'énergie et l’UE soulignent que la demande pour le gaz doit diminuer après 2030. Si l'on considère les technologies actuelles et que l'on exclut l'hydrogène, le biogaz ou encore la capture et le stockage du carbone, atteindre le seuil de 270 g de CO2/KWh s'avérera un véritable défi. Les centrales à turbine à gaz à cycle combiné les plus récentes ont une intensité carbone d'environ 333 g de CO2/kWh. Des gains d'efficacité sont possibles, mais ils resteront probablement marginaux et demanderont du temps. La capture et le stockage du carbone sont une option, mais certains problèmes techniques et liés aux coûts restent des défis majeurs. Ainsi, les centrales électriques au gaz devront peut-être envisager de mélanger les gaz classiques avec du biogaz ou de l'«hydrogène vert» (c'est-à-dire de l'hydrogène produit grâce à des énergies renouvelables) pour réduire leur intensité carbone sur le court terme.

Les échéances de 2030 (gaz) et 2040-2045 (nucléaire) soulignent la nature transitoire de ces technologies aux yeux de l'UE.

En se référant à une moyenne de 550 kg de CO2/kW par an sur une période de 20 ans, les producteurs d'électricité européens disposent de plus de temps pour décarboniser leur production d'électricité. Leurs activités resteraient conformes à la taxonomie à condition qu'ils réduisent suffisamment leurs émissions à l'avenir et qu'ils s'engagent à passer à des gaz renouvelables ou à faible teneur en carbone (comme l'hydrogène) d'ici 2035. Quoiqu’il en soit, les échéances de 2030 (gaz) et 2040-2045 (nucléaire) soulignent la nature transitoire de ces technologies aux yeux de l'UE.

Les prochaines étapes

Le Parlement européen et le Conseil ont 4 mois pour examiner le document, et pourront bénéficier de 2 mois supplémentaires à leur demande. Ils peuvent s'opposer à la proposition mais ne peuvent pas la modifier. Une majorité qualifiée renforcée est requise pour s'opposer au Conseil (au moins 20 Etats membres représentant 65% de la population de l'UE) et une majorité simple est requise pour s'y opposer au sein du Parlement européen. L'opposition à la proposition a été vive. Toutefois, vu le soutien des plus grands pays d'Europe et les seuils élevés pour faire passer une opposition, on peut s'attendre à ce que le document soit adopté. L'énergie nucléaire recevra probablement un soutien, en raison de la crise énergétique et du projet de l'UE de réduire sa dépendance au gaz russe. S'il n'y a pas d'objections, la loi entrera en vigueur le 1er janvier 2023.

Alignement des entreprises sur la taxonomie

A court terme, les entreprises se préparent à recueillir des données en vue de publications plus détaillées à l'avenir. Ces déclarations d'alignement sur la taxonomie deviendront obligatoires au cours des deux prochaines années. Cela permettra non seulement aux entreprises d'accroître la transparence, mais aussi aux investisseurs qui détiennent des titres dans des sociétés européennes de déclarer plus facilement leur propre alignement taxonomique. Cela est devenu obligatoire pour les entreprises qui proposent des fonds ayant des objectifs de durabilité en vertu du règlement de l'UE sur la divulgation des informations relatives au financement durable (SFDR).

Prêts à investir dans le nucléaire et le gaz?

Fondamentalement, la décision de la Commission européenne sur les activités gazières et nucléaires reflète les préoccupations croissantes concernant les problèmes d'approvisionnement énergétique causés par l'intermittence des énergies renouvelables. En outre, l'abandon progressif des centrales au charbon et de la production d'énergie nucléaire dans des pays comme l'Allemagne ajoute à la complexité de la situation. Ces problèmes risquent de perdurer jusqu'à ce que l'Europe déploie un ensemble d'énergies renouvelables beaucoup plus important, qu'elle perfectionne des technologies flexibles de production décarbonée, ou qu'elle développe des technologies de stockage et de dépollution du carbone à grande échelle.

De nombreux investisseurs (principalement européens) semblent avoir déjà adopté une position ferme sur le nucléaire et le gaz.

Cependant, même si la taxonomie de l'UE inclut désormais la production d'électricité à partir du nucléaire et du gaz, il n'est pas encore certain que les investisseurs soient prêts à allouer des capitaux à ces industries. Dans une enquête récente de Barclays1, environ 60% des répondants ont déclaré qu'ils utilisaient activement la taxonomie lors de l'élaboration de leurs politiques d'investissement. Cependant, pour la plupart des investisseurs, il semble que l'inclusion de la production d'électricité nucléaire et au gaz dans la taxonomie de l'UE n'ait eu aucun impact sur leurs politiques d'investissement.

En effet, de nombreux investisseurs (principalement européens) semblent avoir déjà adopté une position ferme sur le nucléaire et le gaz. A cet égard, seuls 9% des répondants ont répondu positivement à la question «L'inclusion du nucléaire et du gaz dans la taxonomie de l'UE a-t-elle modifié votre politique d'investissement?». Cela peut s'expliquer en partie par le fait que de nombreux investisseurs estiment que les seuils d'éligibilité appliqués à la production d'électricité nucléaire et gazière dans le cadre de la taxonomie sont trop peu contraignants. Cela dit, il est possible que de nombreux investisseurs aient répondu «peu contraignants» car ils auraient préféré que ces combustibles ne figurent pas du tout dans la taxonomie.

Sur l'ensemble des répondants, 22% ont des critères d'exclusion relatifs aux centrales électriques au gaz, ce qui suggère que la majorité des investisseurs considèrent que le gaz a un rôle important à jouer dans la transition énergétique, notamment en ce qui concerne l'élimination progressive du charbon. Les critères d'exclusion concernant le nucléaire sont plus courants (30% des répondants). Enfin, les obligations vertes finançant la production d'énergie nucléaire et au gaz ne sont pas nécessairement à proscrire pour tous les investisseurs: environ 45% des répondants seraient prêts à acheter une obligation verte finançant des projets de production d'énergie au gaz, et 60% des sondés souscriraient à des obligations vertes finançant des projets de production d'énergie nucléaire.

 

1 Source: Barclays: “EU Taxonomy Survey on Nuclear and Gas”, March 27, 2022
Autres références: “ESG - The Long View” – JP Morgan – 10/01/2022; “Nuclear and Gas to be included in EU Taxonomy” – Morgan Stanley – 02/02/2022

A lire aussi...