Bien que la hausse des rendements rende le marché obligataire plus attrayant, il paraît urgent d’attendre.
Les taux d’intérêt augmentent. Ils ont entamé leur ascension au milieu de l’année 2020, période qui coïncide avec les flambées inflationnistes induites par les problèmes d’approvisionnements liés au Covid. Ce mouvement s’est progressivement accéléré avec la reprise économique et celle du marché du travail. Jusqu’à quand va-t-il se poursuivre? Peut-on s’attendre à ce que les marchés de taux trouvent prochainement un nouvel équilibre?
Dans un premier temps, les banques centrales ont estimé que la pression inflationniste serait temporaire, une opinion partagée par tous les acteurs. L’inflation devrait effectivement revenir à un niveau moins élevé qu’aujourd’hui. Tout le problème vient de ce que la dynamique de hausse des prix qui s’est manifestée durant la reprise économique post-Covid est devenue très complexe. La combinaison d’une volatilité économique élevée et de stimuli monétaires et budgétaires sans précédent rend difficile toute prévision à court terme.
Les banques centrales envisageaient initialement de laisser l’inflation se normaliser «naturellement» au fur et à mesure de la résorption des déséquilibres entre offre et demande. Elles n’étaient guère favorables à une politique d’intervention agressive qui aurait risqué de mettre à mal la reprise économique et, par suite, l’emploi. Mais la guerre en Ukraine est venue compliquer les choses et la pression inflationniste s’est accrue. Le risque que les effets de second ordre soient importants et que les attentes d’inflation grimpent est devenu réel.
Jerome Powell, dont le mandat à la tête de la Fed a été renouvelé le 22 novembre dernier, a changé de cap. Au vu des tensions existant sur le marché de l’emploi, la Fed a fait de la gestion de l’inflation sa priorité numéro un. La BCE et d’autres banques centrales ont pris la même direction.
Par le passé, les hausses de taux ont entraîné une réaction rapide des marchés. Cependant, ces derniers ont chaque fois été surpris par une Fed qui s’est avérée moins agressive qu’anticipé, notamment durant la présidence de Janet Yellen. Par conséquent, les marchés ont été en quelque sorte conditionnés à tabler sur une action de la Fed plus mesurée qu’attendu.
Dans l’environnement actuel d’inflation élevé, Jerome Powell s’est en quelque sorte montré plus agressif que le marché. Ce dernier est donc en phase de rattrapage. Or, depuis 40 ans, nous n’avons plus connu de situation de ce genre, caractérisée par une forte hausse des prix et des banques centrales qui luttent pour la contrôler. Et même à l’époque, l’environnement économique et la position des banques centrales étaient bien différents de ce qu’ils sont aujourd’hui. Cela signifie que le marché ne dispose pas des repères qui lui permettraient d’arriver à fixer correctement les prix. Le marché obligataire est passé en mode «découverte». Par conséquent, les taux d'intérêt augmentent et de nombreuses courbes de rendement tendent à s’aplatir.
Jusqu'où cette tendance pourrait-elle se développer? Bien que la sagesse recommande de ne jamais tenter de saisir un couteau qui tombe («never catch a falling knife»), la hausse des rendements rend l’investissement plus tentant. Cependant, deux facteurs pourraient venir stopper ou inverser cette tendance.
Le premier serait un changement des attentes d'inflation. Comme mentionné plus haut, l'inflation devrait, pour des raisons purement techniques, se normaliser à un niveau plus bas. Les fortes poussées d’inflation enregistrées en mars et avril l’année passée étant prochainement diluées dans les données annuelles, la progression de l’inflation semblera bientôt moins marquée, pour autant que de nouveaux événements ponctuels ne viennent pas la relancer. Mais, rappelons-le, le véritable danger réside dans une inflation qui deviendrait récurrente, année après année. Un tel scénario paraît peu probable pour le moment.
Dès que l’évolution future de l’inflation sera plus claire, il en ira de même pour les politiques des banques centrales et pour la progression des taux d’intérêt. Cependant, cette hypothèse repose sur l’absence de flambées inflationnistes, sur des effets de second ordre limités ainsi que sur un ancrage des anticipations d’inflation.
L’arrêt de la hausse des taux pourrait également être provoqué par des facteurs techniques liés au fait que les acheteurs commencent à manifester leur intérêt pour des emprunts d’Etats devenus plus intéressants. Pour l’heure, tous les niveaux de support technique des taux américains semblent avoir été cassés, ce qui confirme l’absence de références claires pour la fixation des prix sur le marché des taux. Tout se passe comme si l’on tentait de saisir un couteau qui tombe. Pour le moment, il ne reste donc plus qu’à chercher des gants de protection. A suivre.