Géopolitique de la transition énergétique

Bruno Allain, Quaero Capital

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Souveraineté et indépendance énergétique étant intimement liées, la transition vers une énergie décarbonée s’accompagnera forcément d’une redistribution géopolitique.

Depuis le début de l’ère industrielle, les énergies fossiles ont été le moteur du développement économique, créant une dépendance si forte qu’on parle parfois d’«addiction» aux énergies fossiles à l’heure où nous allons devoir y renoncer, comme pour mieux illustrer l’ampleur de la tâche.

Un autre lien, moins fréquemment évoqué, est celui de l’énergie et de la géopolitique. L’accès aux énergies fossiles a façonné les politiques étrangères des principales puissances depuis plus d’un siècle et demeure au cœur d’un jeu d’alliances complexe. Exemple emblématique: l’accord liant la première puissance mondiale (Etats-Unis) au pays disposant des plus importantes réserves d’hydrocarbures (Arabie Saoudite), signé entre Roosevelt et la famille Saoud en 1945, tient toujours.

Quelles évolutions géopolitiques pouvons-nous anticiper avec le basculement vers les énergies renouvelables?

Des politiques industrielles fortement teintées de protectionnisme

Longtemps officieuse, la loi sur le climat et l’énergie américaine (Inflation Reduction Act ou IRA, passée en août 2022) a fait basculer officiellement l’industrie des énergies renouvelables dans une ère de compétition pour le leadership technologique et la production domestique.

Dans l’attente d’un hypothétique sursaut minier en Europe, les minerais constitueront le principal goulet d’étranglement des chaînes de valeur liées à la transition.

Que l’ambition soit de sécuriser l’approvisionnement de ces nouvelles technologies, d’en faire un outil de soft power, ou encore de refuser une dépendance devenue trop encombrante vis-à-vis de la Chine, le résultat est le même: Etats-Unis, Union européenne, Grande-Bretagne, Inde, Japon ont aujourd’hui une stratégie visant à soutenir les acteurs industriels de la transition énergétique. De généreuses subventions et la mise en place d’un cadre réglementaire favorable sont prévues dans ces régions afin de faciliter l’émergence d’écosystèmes locaux dans le solaire, l’hydrogène, les batteries…

Ces politiques sont parfois critiquées pour avoir des relents protectionnistes (notamment l’IRA) et parce qu’elles contreviendraient aux règles régissant le commerce international. Ces critiques ont peu de chances de faire revenir les législateurs en arrière: la lutte contre le réchauffement climatique et la mise au ban de la Chine, entre autres à cause de la façon dont elle traite les Ouïghours, constituent une plateforme politique efficace pour justifier un virage nationaliste.

En cela, les secteurs liés à la transition énergétique accentuent la tendance vers ce qu’on qualifie désormais de dé-globalisation.

Nouvelles énergies = nouveaux pays-clés

Les trois dernières années, marquées d’abord par la crise du Covid puis par le conflit en Ukraine, ont illustré la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement de nombreuses industries après plusieurs décennies d’offshoring.

La transition énergétique étant un sujet majeur de souveraineté, les grandes puissances ont désormais conscience de la nécessité de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement principales.

Suivant l’adage «une chaîne est aussi forte que son maillon le plus faible», l’enjeu de la transition consistera donc à renforcer les capacités sans omettre aucune étape de la chaîne de valeur, depuis l’amont jusqu’à l’aval. Une tâche particulièrement complexe et délicate.

Prenons l’exemple des véhicules électriques. On constate qu’il est relativement simple et rapide de construire de nouvelles usines de batteries pour permettre l’électrification en cours de la flotte. Il est en revanche beaucoup plus ardu de sécuriser l’approvisionnement en minerais critiques (lithium, nickel…) qui entrent dans la fabrication des batteries. Relancer la production minière quasi-abandonnée depuis plus de trente ans dans les pays occidentaux, pourrait prendre des décennies.

Dans l’attente d’un hypothétique sursaut minier en Europe, et dans une moindre mesure aux Etats-Unis, les minerais constitueront le principal goulet d’étranglement des chaînes de valeur liées à la transition.

Ce déséquilibre a été parfaitement identifié par les pays qui produisent ces minerais. Grâce au rapport de force désormais en leur faveur, ces pays vont pouvoir avancer leurs pions sur l’échiquier géopolitique.

Conclusion: lithium is the new oil?

La géopolitique fait partie des multiples «dimensions» que les investisseurs prennent en compte pour apprécier les risques. Dans une économie basée sur les énergies fossiles, le centre névralgique de la géopolitique était au Moyen-Orient et en Asie centrale, et l’OPEP soufflait le chaud et le froid sur l’ensemble de la planète.

Progressivement, c’est vers la République Démocratique du Congo, l’Australie, le Chili ou l’Indonésie, que se tourneront les regards. Ce sont de ces pays que dépendent la production de cobalt, de cuivre, de lithium ou de nickel, indispensables à la transition. Nous serons donc dans une situation de dépendance vis-à-vis de ces pays, qui seront clés pour décarboner l’économie et retrouver notre souveraineté énergétique.

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