Pénurie de gaz en Europe: le pire est-il derrière nous?

Bruno Allain, Quaero Capital

2 minutes de lecture

Rénovation des bâtiments, rapide déploiement des énergies renouvelables, électrification du chauffage… décarboner c’est dé-risquer.

Les températures clémentes observées sur la majeure partie de l’Europe depuis le début de l’automne devraient permettre de passer l’hiver sans connaître de pénurie de gaz. Si le pire semble bien avoir été évité cet hiver, de nombreuses analyses mettent en garde et indiquent que la situation pourrait être plus délicate l’hiver prochain.

En particulier, deux études ont retenu notre attention. Elles portent toutes les deux sur le marché du gaz européen, l’une se penche sur les tendances de moyen terme, l’autre se concentre sur 2023. Toutes deux font un constat préoccupant.

La première, publiée par The Shift Project1, est la plus alarmante dans la mesure où elle conclut que la position de vulnérabilité de l’UE sur le marché mondial du gaz n’est ni conjoncturelle ni liée au seul conflit en Ukraine, mais structurelle. Le rapport commence ainsi: «L’UE risque de rester exposée à une compétition sévère d’approvisionnement entre pays importateurs de gaz naturel, voire à des déficits chroniques sur le marché mondial du gaz naturel liquéfié à court, moyen et long termes.»

La situation s’explique par la conjonction de deux tendances lourdes: (1) la croissance phénoménale de la demande en provenance d’Asie depuis une vingtaine d’années et (2) la chute de l’offre «domestique», due au recul de la production en mer du Nord depuis 2005. Le rapport souligne également de mauvais choix politiques dont le retard pris sur la décarbonation de l’économie et le fait d’avoir privilégié un fournisseur, ce qui a de facto «mis le modèle industriel européen entre les mains de la Russie.»

Illustration de la chute de l’offre domestique: Production en gaz de l’Europe, hors Russie, 1990-2040

Source: Rystad Energy

La deuxième étude, qui émane de l’AIE2, juge très probable une pénurie de gaz l’hiver prochain si de nouvelles mesures ne sont pas mises en place. L’AIE prévoit un déséquilibre plus marqué entre l’offre et la demande en 2023 pour trois raisons:

  1. Les températures pourraient être plus proches des normales saisonnières l’an prochain;
  2. Si les livraisons de gaz russe ont chuté l’an passé, elles n’ont pas été nulles (60mmc3 selon les estimations, soit -58%) et elles devront être remplacées par d’autres sources;
  3. Enfin, l’offre en gaz naturel liquéfié (GNL) sur le marché mondial pourrait ne pas être à la hauteur des besoins, notamment en raison de la demande chinoise qui devrait repartir à la hausse.

Dans son scenario central, l’AIE estime que 57mmc des besoins en gaz de 2023 ne seront pas comblés. Même si la moitié de ce volume serait couverte par des mesures annoncées en 2022, le «déficit» reste significatif (du même ordre de grandeur que le recul de la demande totale au niveau de l’UE l’an passé).

Estimation du déséquilibre offre-demande en gaz dans l’UE en 2023

Source: IEA

Il est important de noter que le rapport de l’AIE est autant une alerte qu’un appel à l’action publique et politique. Preuve en est qu’il a été rendu public lors d’une réunion co-présentée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Il est donc probable que la Commission se basera sur ce rapport pour définir une nouvelle série de mesures visant à réduire la consommation de gaz de l’UE.

Ces deux études confirment sans équivoque que l’Europe est entrée dans une crise énergétique durable. Dans ce contexte, la seule voie vers l’indépendance et la sécurité pour l’Europe est la transition énergétique.

Nous changeons d’année mais certainement pas de convictions et restons persuadés qu’il faut privilégier les entreprises qui détiennent les infrastructures ou maîtrisent les technologies qui font partie de la «solution» à la crise énergétique actuelle et qui vont donc faciliter la transition.

L’AIE recommande d’investir dans l’efficacité énergétique, d’accélérer la rénovation des bâtiments, de déployer plus rapidement les énergies renouvelables, d’électrifier le chauffage… Nous pensons que ces initiatives vont bénéficier de soutiens tous azimuts, ce qui devrait favoriser les entreprises concernées et avoir un impact sur leurs perspectives à court terme.

En 2023, que ce soit au niveau de l’Europe ou d’un portefeuille d’actifs, plus que jamais, décarboner c’est dé-risquer.

 

1 The Shift Project - Gaz naturel: quels risques pour l’approvisionnement de l’union européenne? 2025, 2030 et au-delà
2 AIE (Agence Internationale de l’Energie) – How to Avoid Gas shortages in the EU in 2023
3 mmc: milliard de mètre cube de gaz naturel (soit 900.000 tonnes équivalent pétrole)

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