Flux et reflux de l’inflation

Bruno Cavalier et Fabien Bossy, ODDO BHF AM

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La nouvelle crainte est que le resserrement monétaire doive être prolongé, au risque de freiner l’activité et le crédit.

Une crainte chasse l’autre. Depuis quelques semaines, le risque de récession semble s’éloigner, en particulier aux Etats-Unis. Les conditions d’emploi restent solides, à rebours de ce qu’on attendrait d’une économie sur le point de flancher. En Europe, les problèmes énergétiques n’ont pas eu les conséquences dramatiques redoutées l’été dernier. La substitution au gaz russe est quasi complète, il n’y a pas eu de coupure de courant, les prix de gros de l’énergie ont beaucoup baissé. Cela réchauffe un peu le climat des affaires. L’activité économique y est stagnante, ce qui est peu excitant mais toujours mieux qu’une contraction. En Chine, il y a des signes que la demande de services, jusqu’alors bridée par la politique zéro-Covid, a amorcé une vive reprise. Rien de tel toutefois en ce qui concerne la production manufacturière ou la construction. En somme, le cycle de la croissance mondiale pourrait bien être en train de passer son creux, avant d’amorcer un redressement. Où est le problème alors? Il est que l’inflation, hormis en Chine, reste trop élevée et ne se modère que lentement. Depuis deux ans, l’inflation avance par vagues: perturbations logistiques, crise de l’énergie, stimulation de la demande, tensions salariales. Ces vagues sont asynchrones. Certaines sont clairement réversibles, comme on peut le voir s’agissant de l’énergie ou des biens. D’autres se révèlent persistantes, si bien que le retour vers les cibles d’inflation n’est pas garanti. La crainte nouvelle est qu’il faille prolonger/durcir le resserrement monétaire, au risque de remettre un coup de froid sur l’activité et le crédit.

Les marchés du travail restent solides

Dans l’ensemble, l’activité économique a mieux résisté que ce qu’on pouvait craindre. Certes, les conditions de crédit se sont nettement durcies, les marchés de l’immobilier sont à la peine ou, dans certains cas, engagés dans une sévère correction, mais les marchés du travail restent solides. Dans de nombreux pays développés, le taux de chômage est au plus bas depuis des décennies. Faut-il mettre cette résistance sur les délais «longs et variables» (selon l’expression consacrée) qui caractérisent la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle? Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis ont ralenti mais ne sont pas en récession. La zone euro est proche de la stagnation, mais en l’absence de blackouts, il n’y a pas eu de forte baisse de production cet hiver.

La désinflation un phénomène transitoire?

Si le cycle des affaires se maintient en phase d’expansion, il faut plutôt se demander si cela ne risque pas d’attiser l’inflation. Depuis quelques mois, la désinflation est engagée dans de nombreux pays. Selon nos calculs, l’inflation mondiale ressort à 8,4% en ce début d’année après avoir franchi un pic à 9,5% l’automne dernier. La direction prise est la bonne, mais ce reflux n’est pas uniforme d’un pays à l’autre, ni d’une composante de prix à l’autre. En d’autres termes, la question se pose de savoir si la désinflation n’est pas, elle-même, un phénomène transitoire. Pendant plusieurs mois encore, les effets de base seront propices à prolonger la baisse des taux annuels d’inflation, mais quid ensuite? Si la hausse des prix de services ne se modère pas, il n’y aurait plus assez de pression baissière sur les prix de biens pour prolonger le reflux vers les cibles visées.

La direction des taux directeurs reste pointée vers le haut

Dans ces conditions, les banques centrales abordent le moment critique où il faut mettre en balance le scénario d’un durcissement excessif, qui viendrait ruiner la résistance de l’économie, et le scénario d’un arrêt trop précoce, qui risquerait de raviver les tensions inflationnistes. Les discours récents venant de la Fed et de la BCE montrent qu’elles redoutent moins le premier risque (en faire trop) que le second (n’en faire pas assez). La direction des taux directeurs reste pointée vers le haut. La Fed aborde sans doute les dernières étapes de son cycle de resserrement. Notre scénario de base envisage toujours deux autres hausses de taux, puis une pause prolongée jusqu’en 2024. En l’absence d’une récession, un assouplissement rapide paraît peu probable. A l’opposé, si les tensions salariales ne se calment pas, la Fed pourrait durcir davantage. La BCE a moins de motifs de satisfaction car le repli de l’inflation est plus récent qu’aux Etats-Unis et s’amorce depuis un niveau plus élevé. Il est surtout limité aux seuls prix de l’énergie, une composante qui ne dépend nullement des décisions de la BCE. Le pic d’inflation n’est pas encore atteint en ce qui concerne les produits alimentaires, ni les biens manufacturés, les services ou les salaires. En zone euro, la désinflation est un espoir, une projection, pas encore une réalité. Nous continuons d’attendre des hausses de taux au moins jusqu’en juin prochain, et l’on doute que la BCE abandonne alors d’un coup son biais haussier.

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