Finance durable: une question de définitions

Antoine Mach, Covalence SA

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Trois organisations s’allient pour harmoniser les définitions des approches d’investissement responsable, ce qui devrait permettre aux acteurs du marché de mieux se comprendre.

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Décarbonation, intégration ESG, impact, engagement, best-in-class, exclusions, etc. La finance durable charrie une escouade de termes et d’éléments de jargon dans laquelle il est difficile de ne pas se perdre. Déjà, ce mot, «durable», est équivoque, pouvant à la fois signifier «de longue durée» et ce qui a trait au «développement durable», concept visant à concilier le développement économique, la justice sociale et la protection de l’environnement.

Il faut dire que les pratiques d’investissement et de financement durable ou responsable se sont développées, ces vingt dernières années, de façon décentralisée, autonome et peu régulée. Aujourd’hui, les pouvoirs publics s’efforcent de mettre de l’ordre dans la maison. Cela passe par un travail de définitions, d’harmonisation du langage.

Ce travail porte en particulier sur les approches, ou stratégies d’investissement durable, c’est-à-dire sur les outils qui permettent la concrétisation de cette idée ambitieuse: utiliser les leviers de la finance pour contribuer à rendre l’économie, et le monde, plus durables. Dans un rapport publié en novembre 2023, les Principes pour l’investissement responsable (PRI), le CFA Institute et la Global Sustainable Investment Alliance (GSIA) fournissent une définition commune des approches d’investissement responsable. Cette contribution devrait aider les acteurs du marché à communiquer de façon plus précise, et à mieux se comprendre.

Les exclusions ne sont plus décrites comme une approche en soi, mais sont couvertes par l’appellation screening au même titre que le best-in-class.

Cinq approches d’investissement responsable sont ainsi définies et utilement mises en correspondance avec les définitions préexistantes émanant des principales organisations structurant la finance durable. La première est le screening, ou filtrage: l'application de règles basées sur des critères définis qui déterminent si un investissement est admissible. Dans cette approche, on retrouve les exclusions sectorielles (charbon, tabac, armement, etc.) et les exclusions basées sur des normes (par exemple sortir de l’univers d’investissement une société coupable de violations répétées des droits syndicaux) ; elle couvre aussi le filtrage positif, souvent appelé «best-in-class»: le fait de retenir dans un univers d’investissement les entreprises obtenant un score Environnemental, Social et de Gouvernance (ESG) supérieur à la moyenne.

Il est intéressant de noter qu’avec cette nouvelle typologie, les exclusions ne sont plus décrites comme une approche en soi, mais sont couvertes par l’appellation screening au même titre que le best-in-class. Les exclusions permettent principalement aux investisseurs d’aligner leurs placements avec leurs valeurs, alors que le best-in-class poursuit cet objectif ainsi que celui d’optimiser le couple risque - rendement.

La deuxième approche d’investissement responsable est l’intégration ESG : la prise en compte des facteurs ESG dans l’analyse financière dans le but d'améliorer les rendements ajustés au risque. Ici, la durabilité est au service de la finance: on se focalise sur les facteurs ESG qui sont supposés matériels, c’est-à-dire susceptibles d’influencer directement les résultats financiers des entreprises, comme le risque climatique par exemple.

Troisième approche : l’investissement thématique, autrement dit la sélection d'actifs pour accéder à des tendances spécifiques comme le changement climatique, la protection de la nature, l’économie circulaire, l’égalité entre les sexes ou l’éducation. Cette approche répond à la motivation de créer un changement positif dans l’économie et la société, et elle permet aussi un alignement des placements sur les valeurs de l’investisseur.

La quatrième approche d’investissement responsable est l’engagement (traduction libre du terme anglais «stewardship»), défini comme : l'utilisation des droits et de l'influence des investisseurs pour protéger et améliorer la valeur globale à long terme pour les clients et les bénéficiaires. Cette approche intervient une fois l’investissement effectué et décrit le rôle d’actionnaires actifs, engagés, que ce soit par l’exercice des droits de vote prenant en compte des enjeux ESG, ou par le dialogue et les campagnes de coalitions d’investisseurs institutionnels visant à susciter des changements dans telle ou telle pratique de l’entreprise concernée.

Enfin, la cinquième approche est l’investissement à impact : investir avec l'intention de générer un impact social et/ou environnemental positif et mesurable en plus d'un rendement financier. Tout comme l’approche thématique, l’investissement à impact vise d’abord à créer un changement positif dans l’économie réelle. Il s’agit sans doute de l’approche la plus ambitieuse en termes de contributions au développement durable. Cette approche peut s’appliquer dans différentes classes d’actifs : obligations, infrastructure, immobilier, private equity, mais aussi dans les actions cotées.

Le rapport conjoint de PRI, CFA Society et GSIA, qui harmonise les définitions des approches d’investissement responsable, va certainement jouer un rôle utile dans le développement futur de la finance durable en permettant aux différents acteurs de mieux s’entendre sur les termes décrivant les outils à leur disposition. Mais il ne suffira pas à résorber l’ensemble des malentendus qui planent sur le secteur.

Ainsi, des efforts de définition sont encore nécessaires sur la question – centrale – de ce qui caractérise un investissement durable. Au stade actuel, cette question fait l’objet de différentes perspectives, qui diffèrent selon les organisations et les aires géographiques. Un investissement pourrait être qualifié de «durable» ou «responsable» s’il s’appuie sur au moins deux des cinq approches décrites plus haut; s’il poursuite certains objectifs de durabilité ; si un certain pourcentage des actifs est conforme à la taxonomie verte européenne; si au moins 80% des composants d’un portefeuille sont compatibles avec son descriptif (projet de la Securities and Exchange Commission aux USA); etc.

Le soupçon de greenwashing, ou écoblanchiment, s’exprime régulièrement au sujet de la finance durable, tout comme dans d’autres secteurs. D’après l’organisation internationales regroupant les organes de surveillance des marchés boursiers (IOSCO), il n’existe pas, aujourd’hui, de définition globale du greenwashing. Que ce soit sur la définition d’un investissement responsable, ou sur celle de l’écoblanchiment, on peut donc s’attendre à de prochaines avancées sur ces questions importantes. 

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