Deux colombes devraient faire le printemps?

Michel Girardin, Université de Genève

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La Banque centrale européenne serait bien avisée d'aller prendre quelques cours de l'autre côté de l'Atlantique.

Au sein des banques centrales, les colombes sont de retour et les marchés devraient s'en réjouir... ou pas. En fait, tout se joue dans la manière de présenter les choses et à ce jeu-là, la Banque centrale européenne serait bien avisée d'aller prendre quelques cours de l'autre côté de l'Atlantique.

Gros changement de cap la semaine dernière à la Fed: les faucons se transforment en colombes et relèguent aux oubliettes les hausses de taux prévues pour cette année. Qui plus est, la banque centrale américaine annonce qu'elle va commencer à ralentir la diminution de la taille de son bilan dès le mois de mai, pour la stopper en septembre. En cause, le ralentissement plus marqué que prévu de l'activité économique.

Le 3 mars dernier, c'est la BCE qui avait surpris son monde en prenant des décisions similaires. Initialement prévue cet été, la hausse des taux d'intérêt est désormais remise aux calendes grecques. Tout comme la réduction de la taille de son bilan : la banque centrale européenne annonce qu'elle continuera son programme d'assouplissement quantitatif, même si d'aventure, les taux d'intérêt directeurs devaient trouver le chemin de la hausse. Drôle de signal que celui d'indiquer vouloir piloter la croissance avec un pied sur l'accélérateur et l'autre sur le frein. Les marchés ne s'y sont pas trompés et ont mal réagi, leur inquiétude gravissant encore un échelon à l'annonce d'une nouvelle salve d'opérations de refinancements visant à doper le crédit bancaire.

Les allégories rhétoriques utilisées de part et d’autre
de l’Atlantique se ressemblent à s’y méprendre.

Il n’y a d’ailleurs pas que les décisions monétaires qui étaient quasi-identiques: les allégories rhétoriques utilisées de part et d’autre de l’Atlantique se ressemblent à s’y méprendre. Jérôme Powell nous rappelle qu’il faut avancer prudemment dans une pièce sombre, surtout lorsqu'on est en pieds nus. Intrigante, voir inquiétante, l’image du Président de la Banque centrale américaine: ainsi donc, la Fed tâtonne dans le noir... elle n'a donc pas plus de visibilité sur la croissance que nous autres, pauvres économistes scrutant des signes de retournements conjoncturels propres à déstabiliser les marchés financiers? Bigre. Et en plus, elle avance pieds nus? Gare aux écueils. Mario Draghi ne se veut pas plus rassurant : dans le noir, il faut se déplacer à petits pas nous dit-il. On ne court pas, mais on avance, ajoute-t-il.

Pourtant similaires tant sur le fonds que la forme, ces deux retournements spectaculaires de la politique monétaire par des protagonistes majeurs n'ont pas eu le même impact sur les marchés.  Le lendemain de l’annonce de la Fed, la Bourse américaine était en hausse. Les marchés européens, eux, s’inscrivaient dans le rouge.

Cette différence d’impact, je me l’explique par le fait qu’aux Etats-Unis, on évoque volontiers l’Europe ou la Chine comme causes probables du ralentissement de la croissance domestique. Du côté de la BCE, son Président est beaucoup plus nuancé, lorsqu'il déclare: «Alors qu’il y a des signes que certains facteurs idiosyncratiques domestiques qui freinent la croissance commencent à s’estomper, la faiblesse des derniers chiffres économiques indique que nous allons connaître une modération remarquable dans le tempo de l’expansion économique qui va s’étendre au reste de l’année». J’espère que vous admirez le subtil phrasé tout en circonvolutions syntaxiques de Mario Draghi: de la haute voltige. En italien, ça doit être encore plus délicieusement alambiqué. Il aurait pourtant suffi de mettre de côté le mot «domestique» et évoquer les Etats-Unis comme possible cause de ralentissement de la croissance pour que les investisseurs soient rassurés que nous sommes tous logés à la même enseigne: celle de devoir accuser son voisin pour mieux tâtonner dans le noir.

Qui dit ralentissement, parle de récession? Aux Etats-Unis, nous l'excluons, du moins pour cette année. En Europe... le danger est nettement plus marqué. Certains pays comme l'Italie s'y trouvent déjà. D'autres, et pas des moindres, comme l'Allemagne, l'ont évité de justesse, du moins pour l'instant. 

A la réflexion, les Banques centrales jouent une partie relativement facile: aux premiers signes de faiblesse de la conjoncture, elles n'ont qu'à ouvrir un peu plus le robinet des liquidités, et, hop, ça repart. La seule Banque centrale qui est entravée dans cette action, c'est la BNS. Déjà en-dessous à leur plancher, il serait difficilement envisageable de réduire encore les taux d'intérêt en Suisse pour répondre au ralentissement de la croissance qui s'y profile. Et un relèvement des taux n'est certainement pas à l'ordre du jour tant que la surchauffe ne constitue pas une menace et, surtout, que le franc maintient sa surévaluation courante vis-à-vis de l'euro.

Il serait certainement moins facile pour les faucons de
se transformer en colombes s'ils étaient confrontés à la stagflation.

Il serait certainement moins facile pour les faucons de se transformer en colombes s'ils étaient confrontés à la stagflation, cette combinaison dramatique de récession et d'inflation, voire d'hyperinflation, comme celle qui sévit au Venezuela. Dans les pays développés, l'inflation est loin de constituer une menace, ce qui permet aux Banques centrales d'ajuster à leur guise le volant monétaire aux cycles conjoncturels. 

Pour les marchés financiers, ce nouveau coup de mou monétaire est une bonne nouvelle, surtout aux Etats-Unis, où le danger de récession est faible. Avec le danger d'une hausse des taux d'intérêt qui s'éloigne, nous allons revivre un nouvel épisode de la série «Tina » («There Is No Alternative»), ce véritable conte de fée digne de «Boucles d'or» (où la croissance économique est «ni trop chaude, ni trop froide, juste comme il faut») où l'on achète des actions uniquement parce que les obligations sont hors de prix, en raison de la faiblesse de leurs rendements. Il s'agit là d'une stratégie logique mais dangereuse, et je ne manque pas de le rappeler à mes étudiants. Illustration: vous êtes invité chez une lointaine connaissance qui vous demande d'apporter une bouteille pétillante. Vous hésitez entre la bouteille de champagne à 40 francs et le mousseux à 20 francs. Finalement, vous vous dites qu'il y a du bon mousseux pour la moitié du prix du champagne. Une année plus tard, même type d'invitation, mais entretemps, le prix du champagne a triplé à 120 francs et celui du mousseux a, lui, quintuplé pour atteindre 100 francs. Quand je pose la question en classe du choix de la nouvelle bouteille, c'est en général le champagne qui l'emporte. La raison? Là où il fallait doubler le prix pour avoir du champagne il y a une année, une prime de seulement 20% suffit une année plus tard. Vous l'avez compris: le champagne symbolise le marché des actions, alors que les obligations sont illustrées par le mousseux. Nous allons donc acheter des actions non pas parce qu'elles sont bon marché, mais en raison du fait que l'alternative que constituent les obligations est hors de prix. Mais un jour, il faudra se rendre à l'évidence que ce choix n'en est pas un. Et qu'entre les actions très chères et les obligations hors de prix, il faudra choisir les placements en liquidité. Les bulles de l'eau gazeuse sont tout aussi pétillantes et certainement moins spéculatives.
 

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