Vous avez dit croissance perpétuelle?

Michel Girardin, Université de Genève

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Jerome Powell ne voit pas pourquoi nous ne pourrions croire que ce formidable cycle est là pour durer... indéfiniment.

A en croire les récentes déclarations du Président de la Réserve Fédérale, Jerome Powell, la santé de l'économie américaine serait «remarquablement positive» et «extraordinairement éclatante». Mais ce n'est pas tout: le grand argentier ne voit pas pourquoi nous ne pourrions croire que ce formidable cycle est là pour durer... indéfiniment. Un optimisme rare, qui mérite de faire le point sur le leader de l'économie mondiale, à l’heure où les marchés renouent avec la volatilité. Histoire de vérifier que ce ne sont pas là les mêmes paroles que celles du Professeur Irving Fisher qui avait déclaré: «les actions américaines ont atteint un haut plateau dont elles ne redescendront jamais». C'était quelques jours avant le krach de 1929.  A en juger par la dégringolade des marchés qui a fait suite aux déclarations tonitruantes de Powell, son timing est à revoir. Voir son message tout court.

Quelle formidable économie que celle des Etats-Unis!

Quelle mouche a donc piqué le Président de la Banque centrale américaine lorsqu'il targue l'économie américaine de connaître une forme éblouissante dont elle ne se départira jamais? Jerome Powell serait-il frappé de la «cosmolo-nigologie» du professeur Pangloss, ce grand nigaud dont Voltaire se moque ouvertement dans Candide? Celui qui annone que «tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes» alors que sa vie n’est que tourments en cascades?

La croissance des Etats-Unis dans les années 60 était liée à un «baby boom»:
aujourd'hui, on parle plus volontiers d'un «papy boom».

Lorsque Jerome Powell témoigne de la vigueur inédite de l'économie américaine, il cite en premier lieu la confiance des ménages et son corollaire immédiat, les créations d'emploi. C'est vrai: tombé à 3,7% en octobre, le taux de chômage américain n'a jamais été aussi bas depuis... 1969 ! Ce qui est remarquable, c'est que la forte croissance qu'avait connu les Etats-Unis dans les années 60 était liée à un «baby boom»: aujourd'hui, on parle plus volontiers d'un «papy boom».  Justement, il est fondamental d'analyser les chiffres de l'emploi, pour voir si l'embellie ne serait pas quelque peu factice en ce que le vieillissement de la population induit une diminution de la population active propre à réduire mécaniquement le taux de chômage. Bonne nouvelle, après avoir connu une baisse continue, le taux de participation - à savoir le pourcentage de la population qui est active - s'est stabilisé: la diminution du taux de chômage n'est donc plus induite par des travailleurs découragés ou vieillissants qui sortent des statistiques des chômeurs.

Le marché du travail au meilleur de sa forme? Rien de tel pour doper la confiance des ménages. Lorsqu'on se souvient que la consommation représente près de 70% de la croissance américaine, on comprend pourquoi Powell cite en premier lieu le marché de l'emploi lorsqu'il doit témoigner de la formidable croissance du leader économique mondial.

Et les chiffres donnent raison au Président de la Réserve fédérale: le formidable bond en avant de 4,2% du PIB au 2ème trimestre a été suivi d’un tout aussi impressionnant 3,5% au 3ème trimestre: des chiffres qui n’ont jamais été aussi bons depuis 2010.  Dans l'immédiat, les perspectives restent favorables: mes indicateurs avancés de la conjoncture écartent tout danger de récession aux Etats-Unis. Du moins pour l’instant.

La fin de l'Histoire ... et la fin des cycles?

Intéressante, l'allusion implicite de Powell à la fin des cycles conjoncturels l'est à plus d'un titre. Elle me rappelle la médaille de la «Grande modération» que s'était auto-octroyée un autre Président de la Fed, Ben Bernanke: l'informatisation des processus de production, la déréglementation, la «tertiarisation» des économies vers les services et dernier point, mais pas des moindres, des politiques monétaires toujours plus expertes en pilotage fin entre croissance et inflation, étaient autant de facteurs avancés par Bernanke pour expliquer cette modération de taille.  C'était là une sorte de «fin de l'Histoire», pour reprendre la thèse du Professeur Fukuyama, qui en 1992, voyait dans l'effondrement du communisme le triomphe de la démocratie libérale et, surtout, la fin de l'idéologie comme force motrice de l'Histoire.

Jerome Powell va-t-il devenir célèbre pour une phrase
qu'il aurait mieux fait de garder dans le tiroir des vœux pieux?

L'Histoire, la vraie, donnera tord tant à Bernanke que Fukuyama, et ce, de manière cinglante: la «Grande modération» allait muer en «Grande Récession» trois ans à peine après avoir vu le jour. Et sur le plan géopolitique, la Guerre froide allait renaître sous une autre forme, en Irak et en Syrie.

Jerome Powell va-t-il lui aussi devenir célèbre pour une phrase qu'il aurait mieux fait de garder dans le tiroir des vœux pieux? C'est ma conviction. Et ce, pour plusieurs raisons: l'économie américaine est poussée aujourd'hui par deux puissants vents arrières: en premier lieu, ce sont les baisses d'impôts qui dopent la croissance cette année, aidées  en cela par les effets positifs décalés de la faiblesse passée du dollar durant la première moitié de cette décennie.  Le premier de ces moteurs va s'éteindre en fin d'année, et le deuxième va carrément se transformer en vent de face, le billet vert ayant repris des couleurs depuis 2015.

Mais surtout, c'est du côté de la politique monétaire qu'il faut chercher le principal frein à la croissance! La Banque centrale américaine n'a-t-elle pas adopté une politique monétaire résolument restrictive, avec, dans un premier temps, le «resserrement quantitatif» qui se traduit par une diminution de la taille de son bilan et, dans un deuxième temps, des hausses de taux d'intérêt qui s'enchaînent actuellement au rythme d’un relèvement de 25 points de base par trimestre?

La question n'est pas de savoir si la croissance de l'économie américaine va rester perpétuellement au-dessus de sa moyenne - une prouesse statistique qui relève de l’impossible - mais bien plus de trouver le seuil des taux d'intérêt qui lui ouvrira les portes de la récession: nos modèles indiquent qu’un niveau de 4% pour les taux à 10 ans serait problématique tant pour l’économie que pour la bourse américaine. Lorsque nous l’atteindrons, Jerome Powell pourra toujours se poser la question de savoir s’il vaut mieux être un optimiste qui se trompe qu’un pessimiste qui a raison.

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