De la sensibilité des actions aux taux

Axel Botte, Ostrum AM

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La sensibilité des actions de croissance au taux à long terme est l’une des clés pour appréhender les marchés à court terme.

La question essentielle pour les marchés financiers est de savoir s’il existe un niveau de taux américain susceptible de remettre en cause la hausse effrénée des actions et la compression des spreads entretenue depuis le printemps dernier par l’assouplissement monétaire et budgétaire. Certes, le compte-rendu du FOMC de janvier ne révèle aucune intention de la part des banquiers centraux de modifier le rythme des achats d’actifs à ce stade mais il est probable que les marchés financiers testent le seuil de douleur de la Fed face à la montée de l’inflation. Tôt au tard, Jerome Powell sera en quelque sorte forcé de révéler ce qui signifie une inflation temporairement au-delà du sacro-saint 2%. L’inflation des prix à la production accélère fortement en janvier (1,2%m) et les goulots d’étranglement sont nombreux dans la sphère manufacturière américaine. Les prix du logement sont en hausse de près de 10% sur un an, ce qui ne manquera d’affecter la capacité des américains à se loger une fois levés les moratoires sur les expulsions.

La Fed ne semble pourtant pas envisager une réduction des achats mensuels de créances hypothécaires (40 milliards de dollars). En outre, le chiffre des ventes au détail de janvier, largement supérieures aux attentes (+5,3%m) laisse perplexe quant à la nécessité de stimuler la demande au travers notamment des transferts directs. La crise actuelle est avant tout une crise sanitaire (en voie d’être résolue par la vaccination d’1,5 million de personnes chaque jour) et les velléités de consommation des ménages américains paraissent intactes malgré les à-coups prévisibles liés aux évènements climatiques qui paralysent le Texas actuellement. La production pétrolière américaine a ainsi chuté d’un tiers depuis quelques jours et la production d’énergie renouvelable s’avère également perturbée. Les prix de l’énergie s’envolent depuis quelques jours.

La hausse de l’inflation n’est plus la seule cause de tension.

Dans ce contexte, le 10 ans américain s’est tendu jusqu’à 1,33% en séance mercredi. Ce dernier mouvement prolonge la pentification de la courbe observée depuis plusieurs mois. Le spread 5-30 ans, au plus haut depuis 2015, a cassé le plafond de 150pb. L’adjudication de 20 ans (mercredi) a recueilli la plus faible demande finale depuis la réintroduction de ce point de courbe dans le programme de financement du Trésor. Cela étant, il convient de noter que la hausse de l’inflation n’est plus la seule cause de tension. Les points morts à 10 ans sont stables malgré l’effet de la hausse du brut sur les échéances plus courtes. Le dernier mouvement provient d’une remontée des taux réels qui reflète à la fois la croissance mais aussi la dégradation attendue du solde budgétaire. L’Administration parviendra sans doute à faire passer l’essentiel de son programme courant mars après quelques concessions sur la hausse du salaire minimum notamment. La décision du Trésor de limiter ses émissions obligataires en réduisant sa trésorerie (1’500 milliards de dollars) contribue aussi à la pentification en pesant sur le court. On ne peut exclure que les T-bills traitent de nouveau en territoire négatif, ce qui pourrait justifier un ajustement à la hausse de l’IOER. La hausse du rendement des Treasuries à 30 ans (d’1,19% fin juillet à 2,05% aujourd’hui) ne s’est pas encore transmise aux taux hypothécaires maintenus sous 3%.

Cela étant, l’élargissement des swap spreads semble tiré par les besoins de couvertures des agences anticipant une baisse de l’activité de refinancement. Le swap spread en dollars à 30 ans (-20pb) s’est écarté de 30pb depuis fin juillet. Les marchés de taux européens (Gilt, Bund) ne peuvent s’affranchir de la dynamique du T-note. Le Bund s’est logiquement désenchéri vers -0,35% et le 30 ans allemand, adjugé mercredi à 0,10%, n’a recueilli qu’1,6 milliard d’euros de demande. La concurrence des syndications périphériques offrant un semblant de rendement positif (BTP 10 ans à 0,5%) pèse sur les maturités longues. Le carnet d’ordre sur l’emprunt italien a en effet dépassé 110 milliards d’euros (10 milliards d’euros émis) et le 30 ans indexé 24 milliards (4 milliards émis). Le poids des achats de la BCE, atténué en janvier par les syndications, reste une contrainte forte sur les rendements souverains d’autant que les tombées de l’APP impliquent une accélération des interventions au deuxième trimestre. Néanmoins, des prises de profits ont ramené le spread du BTP à 100pb.

En Europe, les pétrolières et les banques
tirent leur épingle du jeu dans un marché devenu plus volatile.

Les volumes traités sur les actions américaines sont révélateurs d’un environnement de bulle. Les positions vendeuses de volatilité sont supérieurs à ceux qui prévalaient avant la correction de janvier 2018. La surperformance des valeurs de croissance, indissociable de la faiblesse des taux, risque de se renverser en cas de nouvelle tensions. La cassure d’1,30% sur le T-note a déclenché une baisse de 3% du Nasdaq. La hausse des coûts de l’énergie est susceptible d’accélérer les rotations sectorielles en comprimant les marges dans l’industrie.

Cependant, les publications trimestrielles sont de bonne facture aux Etats-Unis. Les bénéfices du S&P500 sont en hausse de 6,2% sur un an, les surprises à la hausse sont largement majoritaires. En Europe, les pétrolières et les banques tirent leur épingle du jeu dans un marché devenu plus volatile. L’Euro Stoxx 50 touchait un point haut à 3’740 points mardi avant de rechuter dans le sillage du Nasdaq. Les publications de résultats du quatrième trimestre sont néanmoins encourageantes et pointent un redressement de la croissance bénéficiaire de l’ordre de 30% en 2021.

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