D’où vient la prospérité de la Suisse?

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

2 minutes de lecture

Petite réflexion sur les raisons de l’attractivité de la Suisse et ses conséquences.

La réponse traditionnelle à la question posée en titre tourne autour de la sécurité et la stabilité de la Suisse, de la qualité de ses formations, de sa capacité d’innovation et de recherche et de la garantie de l’état de droit. Ces excellentes conditions cadre pour mener des projets à bien ont favorisé le développement de nombreuses entreprises et ont conduit la Suisse à connaître un niveau de vie parmi les plus élevés de la planète.

Pour autant, certains s’inquiètent, car la Suisse va dépasser 9 millions d’habitants en 2023 et certaines de ses infrastructures, notamment le logement et les transports dans les centres urbains, n’ont pas connu un développement adéquat. Ils voudraient alors stopper la croissance ou limiter les possibilités de s’installer en Suisse. Pourtant, ce serait perdre de vue qu’attractivité et prospérité vont de pair, et que réduire activement sa population réduirait aussi le niveau de vie de la Suisse (à l’extrême, pensez aux villes du Far West lorsqu’il n’y avait plus d’or à prospecter à proximité).

Entre 2000 et 2020, la population suisse a augmenté de 20%. Cette hausse provient pour un quart de l’accroissement naturel (naissances moins décès) et pour trois quarts du solde migratoire. Il faut donc réfléchir à ce qui pousse les gens à s’expatrier en Suisse. Outre sa tradition humanitaire, la Suisse accueille surtout ceux qui sont disposés à travailler. Ceux qui s’installent en Suisse ne le font pas seulement pour un salaire plus élevé, puisque leurs dépenses le sont aussi, mais surtout pour la certitude que leurs efforts seront récompensés plutôt que spoliés, qu’ils pourront améliorer leur vie par leur travail plutôt que d’être exploités.

La Suisse en tant qu’espace multilinguistique, multireligieux, multiculturel est par nature un pays plus tolérant et plus apte au compromis.

Entre 2000 et 2020, le produit intérieur brut de la Suisse a aussi augmenté de 20% (corrigé de l’inflation). Mais la consommation de matières premières par habitant a diminué pendant ce temps de 15%, et celle d’énergie a été réduite de 25%. Il est donc possible de compenser les externalités induites par la hausse de la population. Celle-ci a même des effets positifs: le temps de travail moyen d’un salarié a baissé de 137 heures par an, soit presque un mois!

La Suisse en tant qu’espace multilinguistique, multireligieux, multiculturel est par nature un pays plus tolérant et plus apte au compromis. Sa neutralité militaire sinon politique en fait une terre d’accueil où tous sont bienvenus. Faute de ressources naturelles exportables, le travail reste la clé de l’indépendance et de la prospérité. Ce n’est pas un hasard si le peuple suisse a rejeté par trois quarts des voix en 2002 la semaine de 36 heures de travail, et par deux tiers des voix en 2012 l’idée de six semaines de vacances pour tous.

En matière financière aussi, la Suisse se distingue par un endettement limité de l’Etat fédéral et des dépenses qui ne doivent pas dépasser les recettes estimées – comme dans un ménage privé – ou alors être compensées les années suivantes. Cette gestion prudente permet de maintenir les impôts à un niveau inférieur à la moyenne de l’OCDE, surtout la TVA qui ne s’élève qu’à 7.7% alors que la moyenne des pays de l’UE dépasse 20%. Lorsque l’Etat prélève beaucoup d’impôts, il est normal d’attendre beaucoup de lui ; à l’inverse lorsque l’Etat sait faire preuve de retenue, cela encourage le mécénat et la philanthropie pour pallier ses manques.

Au final, on peut dire que l’attractivité d’un pays dépend de sa capacité à juguler les mauvais penchants de la nature humaine: paresse, égoïsme, avidité, jalousie... A cette aune la Suisse réussit plutôt bien et il ne faut pas avoir peur d’attirer des personnes qui partagent ses valeurs. Reste à encadrer correctement le succès pour ne pas le faire fuir.

A lire aussi...