Credit Suisse aurait pu être sauvé par la BNS et... c'est son rôle!

Michel Girardin, Université de Genève

6 minutes de lecture

Eteindre les incendies bancaires fait partie des missions des banques centrales. Surtout lorsque les pompiers sont un peu pyromanes.

Un problème de confiance pour le Credit Suisse qui s'est traduit par un manque de liquidités: c'est la cause principale du gâchis qui a abouti hier soir au rachat du Credit Suisse par UBS.

En 2008, la Banque nationale suisse et la Confédération avaient volé au secours de UBS parce que sa solvabilité était en danger. Rien de tout cela pour Credit Suisse aujourd'hui. Les problèmes de liquidité d'une banque sont beaucoup plus simples à gérer que les questions cruciales de solvabilité!

Il y a un moyen très simple de stopper net l'hémorragie des comptes soldés par des clients apeurés que la banque n'ait plus les liquidités nécessaires: que la banque centrale se montre déterminée à fournir ces liquidités et, surtout, qu'elle l'annonce haut et fort!

Les banques centrales sont connues du grand public pour piloter la politique monétaire d'un pays, à force de variations des taux d'intérêt directeurs, de politique de change ou de mesures moins conventionnelles comme les injections de liquidité par le rachat d'actifs financiers. Les «Fed watchers» et autres passionnés de l'observation des banques centrales essayent de lire entre les lignes de leurs communiqués pour savoir à quel moment elles lèveront le pied du frein à l'inflation pour le remettre sur l'accélérateur de la croissance.

Alors, quand il est question de voler au secours d'une banque, qu'elle soit petite ou grande, commerciale ou d'investissement, les critiques pleuvent sur ces banquiers sans foi ni lois qui implorent leur banque centrale de se porter à leur secours.

Sauf que... éviter les paniques bancaires en accordant des liquidités en dernier recours aux banques qui en sont démunies fait partie intégrante des missions des banques centrales. C'est même pour cette raison qu'elles ont été créés. Qui plus est, les banques centrales ne sont pas totalement étrangères aux difficultés que peuvent connaître les banques. Nous reviendrons sur cette touche un brin pyromane des pompiers. Mais commençons par reprendre la genèse historique des banques centrales.

Nous sommes en 1907. Les Etats-Unis connaissent une panique bancaire qui, partie de New-York, se propage à tout le territoire, puis au reste du monde. A Wall Street, l’ampleur de la chute de la Bourse ne sera dépassée que par la crise de 1929. La «crise des banquiers» de 1907 ressemble à s'y méprendre à la crise des «subprimes» qui aura lieu pile un siècle plus tard. A l'origine de la crise de 1907, il y a le séisme de San Francisco qui dévaste la ville. Des besoins gigantesques en capitaux seront détournés de New York pour aller reconstruire une région qui a profité de la ruée vers l'or quelques décennies plus tôt. Mais ce sont aussi et surtout des opérations financières hautement spéculatives de la part des ménages américains qui provoquent la crise des banquiers. Celles qui consistent par exemple à s'endetter pour augmenter ses gains à la Bourse, une pratique récurrente que l'on retrouve à l'origine de pratiquement toutes les crises financières.

C'est pour éviter la panique bancaire que la Réserve fédérale verra le jour en 1913.

Depuis 1791, les Etats-Unis ont une banque qui émet la monnaie et régule le crédit: la First Bank of the United States. Il manque toutefois une banque centrale, en charge de fournir des liquidités aux banques lorsqu'elles font face à des demandes de retrait massives de la part des déposants. Aujourd'hui encore, les banques ne détiennent qu'une partie de cet argent en réserve. Le système actuel repose toutefois sur des fonds de garantie des dépôts qui permettent aux clients des banques d'être protégés et remboursés en cas de faillite de la banque. Mais en 1907, la meilleure garantie qu'avaient les clients de récupérer leur pécule était... de se trouver parmi les premiers aux guichets de la banque. Autant dire que les paniques bancaires entraînent systématiquement des faillites de banque en série. Cela avait déjà été le cas durant la Grande déflation de 1873. Ce sera à nouveau le cas en 1907.

C'est dans ce contexte que la nécessité de créer une banque centrale aux Etats-Unis est apparue comme une évidence. La Réserve fédérale verra le jour en 1913.

La panique bancaire

Toute banque centrale crée de la monnaie qui sert ensuite de base aux banques commerciales pour en créer davantage. Une banque commerciale ne garde à son bilan qu’un faible pourcentage de l’argent déposé par les épargnants, car celui-ci permet aux banques commerciales d’accorder des prêts à d'autres clients.

La panique bancaire («Bank run») naît d’une crainte de faillite d’un ou plusieurs établissements bancaires. Le pire c’est que sans une aide de l’Etat ou de la banque centrale, cette peur est auto-réalisatrice: la peur de l'insolvabilité de la banque la rend insolvable. Une banque, même en bonne santé, ne peut faire face à des retraits massifs de tous ses clients. Le bon fonctionnement d'un établissement bancaire repose uniquement sur la confiance de ces derniers.

Dans le cas d'une banque en difficulté financière, à court de trésorerie, un bank run est donc un événement redouté. La banque est alors souvent obligée de limiter le montant maximum des retraits quotidiens et d’appeler la banque centrale au secours pour qu’elle lui prête les liquidités qui lui font défaut.

Pour les banques centrales, le rôle de prêteur de dernier recours reste la clé pour éviter des faillites en série en cas de panique bancaire, où les épargnants se précipitent aux guichets des banques pour tenter de sauver leurs espèces de la faillite de ces dernières. C’est ce rôle de pompier qui, dans l’urgence, arrose les banques de liquidités pour éviter qu’elles ne partent en cendres, qui est à l’origine de la Riksbank en Suède, la première banque centrale au monde et, quelques siècles plus tard, de la Réserve fédérale américaine.

La mission première des banques centrales n’est donc pas de lutter contre l’inflation ou doper la croissance, mais bien d’agir comme prêteur de dernier recours («lender of last resort» à des banques qui doivent faire face à des clients paniqués qui se précipitent aux guichets pour retirer leur pécule.

Il n’y a donc absolument rien d’extraordinaire que la BNS vole au secours du Credit Suisse.

Le qualificatif de «centrale» dans banque centrale ne dit rien d’autre : une banque centrale n’est autre que la banque des banques. A ce titre, les banques centrales doivent s’assurer que les banques ne soient pas à court de liquidités et veiller à ce que leurs bilans inspirent la confiance des clients de l’établissement bancaire, surtout lorsqu’il s’agit de banques systémiques, à savoir trop importantes pour faire faillite («too big to fail»).

L’actionnaire principal du Credit Suisse (Saudi National Bank) aurait été sans doute bien inspiré de prendre quelques leçons sur la communication de crise et éviter d’utiliser des termes aussi radicaux que «absolument pas» lorsqu’on lui a demandé la semaine dernière si sa banque était prête à aider davantage la deuxième plus grande banque suisse. La Banque Nationale Suisse a quant à elle parfaitement joué son rôle de stabilisateur des marchés financiers en mettant à disposition  une ligne de crédit de 50 milliards de francs à disposition de la banque suisse, et ce, pour éviter la panique bancaire. Mettre ces liquidités à disposition du Credit Suisse était le meilleur moyen pour éviter d’y recourir: si les clients de la banque savent que celle-ci n'a aucune difficulté à solder leur compte et leur rendre leur pécule, ils ne voient plus l’utilité de se précipiter aux guichets de la banque. Sauf que la BNS aurait dû annoncer haut et fort que ces liquidités étaient disponibles pour le Credit Suisse en octobre dernier déjà, lorsque les sorties de fonds de la clientèle avaient connu leur première accélération. Effectuée dans le silence, la deuxième ligne de crédit décidée par la BNS jeudi dernier s'est révélé totalement inopérante et n'a pu éviter la fusion du Credit Suisse avec UBS.

L’intervention des banques centrales pour éteindre les incendies dans les banques et assurer leur stabilité paraît d’autant plus justifiée que les politiques des banques centrales peuvent parfois mettre cette stabilité à mal. Les pompiers seraient donc un brin pyromanes? Illustrations.

Une autre conséquence déstabilisante des politiques monétaires est l'augmentation des inégalités entre les classes.

Aux Etats-Unis, la banque centrale mène depuis une année une politique résolument restrictive. Les hausses de taux d’intérêt directeurs qui en découlent réduisent la valeur actuelle des cash-flows futurs des entreprises américaines. L’effet est particulièrement marqué pour les sociétés qui connaissent de fortes croissances de ces cash-flows, comme celles du secteur de la technologie. En témoigne la chute phénoménale des valeurs technologiques à la Bourse américaine depuis que la Réserve fédérale sert la vis. Cette politique n’est donc pas étrangère aux déconvenues de la Silicon Valley Bank (SVB), qui ont elle-même eu un effet de contagion sur le Credit Suisse. C’est même doublement que la banque californienne a pâtit des durcissements de la politique monétaire aux Etats-Unis. Les hausses de taux ont provoqué un tarissement du financement de ses entreprises, les poussant à retirer leur dépôts auprès de la SVB. La politique de la Fed a également entraîné une hausse des rendements des bons du Trésor, équivalente à une baisse de leur prix. Et comme le principal investissement la SVB était de placer sa trésorerie dans les Bons du Trésor, on comprend mieux comme elle ait pu faire faillite.

Une autre conséquence potentiellement déstabilisante des politiques monétaires pour le système financier est celui de l'augmentation des inégalités entre les classes à revenus modestes et celles qui sont nettement plus aisées. Ces inégalités accrues se manifestent lorsque les banques centrales mènent des politiques non-conventionnelles. Dans ce cas de figure, le rendement de l’épargne est mis à zéro, voir en zone carrément négative, comme c’était le cas en Suisse jusqu’au mois de septembre de l’année dernière. Du fait que ces politiques non-conventionnelles procèdent par l’achat d’actifs financiers par les banques centrales, il en résulte une augmentation du rendement des actions et celui des obligations. On comprend ainsi facilement que les politiques non-conventionnelles des banques centrales peuvent se traduire par une inégalité accrue dans la distribution des revenus, elle-même potentiellement source de récession et d’instabilité financière.

Il y aurait bien un moyen d’éviter que les banques centrales ne doivent occasionnellement jouer aux pompiers: il suffirait que les banques ne prêtent aux entreprises et aux ménages que l’argent dont elles disposent sur les comptes d’épargne. C’était l’idée de l’initiative dite de la «monnaie pleine» que le peuple suisse a rejeté en 2018. Dans ce cas de figure, il n’y a pas de multiplicateur monétaire et la stabilité du secteur bancaire est assurée… mais alors à quel prix? En Suisse, l’épargne des ménages représente 22% de leurs revenus disponibles. La dette de ces mêmes ménages est quant à elle équivalente à 228% de ce même revenu disponible, la quasi intégralité de cette dette représentant de l’immobilier. Ramener le multiplicateur monétaire de 10 à 1 et réduire de 10 fois la taille du parc immobilier en Suisse à 22% du revenu disponible serait dévastateur sur plan économique.

Les banques commerciales se doivent donc de financer la croissance économique par la création monétaire. Et les banques centrales se doivent de veiller à ce que la confiance dans les banques soit restaurée lorsqu’elle fait défaut.

L'ombre au tableau c'est bien sûr la question des emplois. Il y aura hélas des suppressions, le patron de UBS ne l'a pas caché hier.

Le gâchis de la reprise du Credit Suisse par UBS aurait pu être évité avec une bonne communication de crise de la banque concernée, de son actionnaire principal, de la banque centrale et de l'autorité de surveillance.

Las, l'impensable est devenu réalité: Il nous faut maintenant composer avec ce nouveau géant bancaire. Il y a toutefois plusieurs bonnes nouvelles avec la nouvelle banque: elle sera moins risquée, avec une forte réduction de la banque d'investissement. De plus, la solution présentée hier soir à Berne est certainement bien meilleure qu'un sauvetage financier orchestré par la confédération avec l'argent du contribuable. Et enfin : les inquiétudes liées à une nouvelle banque qui sera encore plus systémique que les 2 entités non fusionnées peuvent être gérées par des ratios de capitaux et liquidités renforcés par le législateur.

L'ombre au tableau c'est bien sûr la question des emplois. Il y aura hélas des suppressions, le patron de UBS ne l'a pas caché hier. Difficile de dire combien, et la rumeur de 10'000 postes supprimés hier n'est qu'une ... rumeur. Elle ne serait pas trop défavorable, si l'on considère que cela représente 8% des 125'000 employés de la nouvelle banque.

A titre de comparaison, quand l'Union de Banques Suisses a fusionné avec la Société de Banques Suisses en 1997, on avait évoqué la suppression de 13'000 emplois sur les 68'000 que comptaient les 2 banques réunies. Le nombre d'employés de la nouvelle UBS était tombé à 48'000 en 1998 ... pour se reprendre à 71'076 en 2000. Comme quoi une fusion peut être au final génératrice d'emplois ... si on prend suffisamment de recul.

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