Connais-toi toi-même et tu investiras

Peter de Coensel, DPAM

3 minutes de lecture

Prendre conscience de la dissonance cognitive permettrait aux investisseurs de mieux se préparer à ce qui arrive…

Ces dernières semaines, nous avons pu témoigner d’une augmentation de la dissonance cognitive, soit lorsque deux éléments identifiables, comme une opinion et une information, entrent en conflit mutuel. Et les individus ont tendance à minimiser ou à rejeter tout élément qui les mettrait en défaut. Aujourd’hui, le cycle d’investissement arrive à un point où les signaux contradictoires vont dépasser les appels consensuels favorables à des approches prudentes.

Les chiffres de l’inflation aux Etats-Unis en sont un bon exemple. Est-ce que d’ici novembre 2023 l’inflation américaine s’établira à 2,9%, selon le swap d’inflation à un an à coupon zéro, ou à 2,48%, d’après le taux de rupture de l’inflation à un an, ou encore à 5,1%, conformément aux prévisions d’inflation sur un an de l’Université du Michigan? La dissonance cognitive se manifeste en ce cas au niveau macroéconomique: le conflit entre une position d'investissement rationnelle et les résultats que la théorie des perspectives peut donner ou non.

L’approcha rationnelle

Selon l’approche rationnelle, un investisseur cherche à maximiser son utilité, en prenant la somme pondérée des résultats possibles. Toutefois, cette approche ne s’intéresse qu’au résultat. Une telle approche présente certains avantages aujourd'hui, notamment après la correction des valorisations cette année. En effet, dans tous les secteurs obligataires, les rendements attendus sur les horizons d'investissement respectifs se sont établis entre 3,25% (pour les obligations souveraines européennes) et 7,25% (pour les obligations HY en euros, y compris les risques de défaut). Entre ces deux extrêmes, on peut trouver des rendements attendus pour les bons du Trésor d'environ 4%, le crédit IG en euros d'environ 4,75%, le crédit IG en dollars de 6,5% ou les obligations souveraines des marchés émergents en monnaie locale entre 7,5% et 8% selon le profil de risque.

Les actions se sont appréciées à la suite d’une hausse agressive des taux d’actualisation et des retraits des estimations de bénéfices futurs. Un investisseur rationnel évaluera les probabilités, comme par exemple celles du niveau et le moment où les taux directeurs seront atteints, selon les prix pratiqués par les marchés. De plus, les probabilités de l’évolution future de l’inflation, basées sur diverses estimations et enquêtes de marché, fournissent un signal clair en faveur d’un positionnement neutre en matière de taux. La probabilité de défaut actuelle et les estimations des bénéfices à venir indiquent une tarification relativement équitable du crédit et des actions.

Les estimations actuelles de l’inflation basées sur le marché et les enquêtes, les effets de base, le resserrement des conditions financières, la baisse de la croissance des investissements en capital et la diminution de la pénurie de main-d’œuvre indiquent que tout est réunis pour avoir des conditions désinflationnistes. Pourtant, il est difficile d’adopter un positionnement rationnel en acceptant que «tout est dans le prix» alors que le nombre d’incertitudes est aussi élevé qu’aujourd’hui. De plus, l’attitude face au risque a fortement été impactée. L’historique des performances récentes dissuade fortement le passage d’allocations sous-pondérées vers des positions neutres. Les «pertes» potentielles ont un impact sur le sentiment de risque deux fois plus fort que les gains potentiels... Ce qui nous amène à la finance comportementale.

La finance comportementale

La théorie des perspectives est un modèle comportemental qui explique comment les gens décident entre divers choix impliquant un risque et une incertitude (probabilité de gains ou de pertes). Elle stipule que les gens pensent en matière d’utilité attendue par rapport à un point de référence plutôt qu’en résultats absolus. Du point de vue de la répartition des actifs, les investisseurs décident en termes de pertes ou de gains par rapport à un point de référence. Pendant cette phase de révision, les investisseurs appliquent des règles empiriques ou heuristiques. Ensuite, les investisseurs entrent dans un moment d’évaluation des différents résultats (pertes et gains) et optent pour une allocation dont la valeur semble la plus élevée. La situation est telle que la manière dont on utilise les informations est définie par des biais et des heuristiques plutôt que par des attentes rationnelles.

Et la dissonance cognitive est partout. Ainsi en 2022, la corrélation obligations-actions est devenue positive, e les nouvelles informations sur l’inflation ont été ignorées afin de s’en tenir à la position habituelle d’investissement. Dès lors, les investisseurs filtrent les informations et s’alignent le plus souvent avec le groupe majoritaire. Le phénomène de masse facilite grandement la réduction de la dissonance cognitive. En outre, une seule nouvelle information n’arrive pas à modifier un positionnement. Plusieurs éléments de preuve sont nécessaires. Ainsi le principe de base stipule qu’il faut 3 à 5 publications ou observations inattendues pour que l’opinion et la position d’investissement d’une personne changent. Une approche prudente retarde l’allocation d’actifs ainsi que les changements de construction de portefeuille.

Biais et heuristiques

Une autre manière dont la théorie des perspectives peut expliquer les perturbations de la rationalité réside dans le biais d’autocomplaisance. Ce dernier nous pousse à interpréter les nouvelles informations de la manière la plus favorable qui soit et à minimiser les faits qui conduiraient à d’autres conclusions que celles que nous défendons. Souvent, les investisseurs tendent à rejeter les échecs sur les autres et à attribuer les succès à leurs propres capacités. De plus, l’heuristique de disponibilité nous fait estimer la fréquence ou la probabilité d’un événement. Comme l’ensemble des conditions actuelles a conduit à des difficultés de performance, on attache des probabilités subjectives élevées à la poursuite de ces conditions à l’avenir.

Les biais et heuristiques susmentionnés nourrissent les comportements de surrection ou de sous-réaction en fonction des nouvelles du marché, bonnes ou mauvaises. Le plus souvent, cela conduit à des transactions excessives. Les investisseurs interprètent les signaux différemment et appliquent des probabilités différentes aux distributions des rendements d'actifs non risqués et risqués. En soi, les investisseurs tentent de faire au mieux, tout en étant confrontés à des approches prudentes et lentes ainsi qu’à des biais cognitifs, rendant le tout assez complexe.

Prendre conscience de la dissonance cognitive, au niveau macro et micro, pourrait permettre aux investisseurs de mieux se préparer aux épisodes, relativement longs ou courts, de panique et d’emballement.

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