Comment les obligations vertes accélèrent la transition vers la durabilité

Sacha Bernasconi, SYZ Asset Management

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De nombreux émetteurs d'obligations vertes ne voient d'avenir que dans une économie durable et visent déjà pour 2040, ou plus tôt, l'objectif net zéro fixé à l'échelle mondiale pour 2050.

Surprise pour beaucoup: la Pologne a été le premier Etat à émettre une obligation verte (green bond) en décembre 2016 et a gagné ainsi la course devant la France, qui avait annoncé dès avril 2016 qu'elle lancerait un tel instrument lié à des objectifs de durabilité. Sur l'ensemble du marché des capitaux, les Etats, les collectivités locales et même les entreprises empruntent chaque année des milliers de milliards pour financer des projets. Les investisseurs, sont principalement composés d’'acteurs institutionnels.

La Suisse n'en est qu'aux prémices et ne prévoit pas d'émettre ses premières obligations vertes avant fin 2022.

La Pologne, connue pour l'exploitation du charbon et pour la mauvaise qualité de son air, atteint régulièrement le Jour du dépassement de la Terre1 dès le mois de mai. Comme le dit Mathis Wackernagel, l'inventeur du concept d'empreinte carbone, la Pologne vivra alors à crédit. Traduit en termes financiers, le budget serait alors en déficit. La Suisse et de nombreux autres pays ont déjà consommé la totalité de leur budget écologique annuel en mai.

La Suisse n'en est qu'aux prémices et ne prévoit pas d'émettre ses premières obligations vertes avant fin 20222. La France a émis plus de 54 milliards d'obligations vertes depuis 2017 pour financer des projets de développement durable. En 2020, l'Allemagne a émis une obligation verte passionnante, dont la durée est exactement la même que celle de son équivalent «non vert». Cela permet de mesurer l'ampleur de la différence de taux d'intérêt entre les deux obligations. En réalité, l'écart de rendement est très faible, puisqu'il n'est que de 0,05%. De nombreux autres pays ont déjà accéléré la transformation vers la durabilité en émettant des obligations vertes: Fidji (première obligation verte en 2017), Nigeria (2017), Indonésie (2017), Belgique (2018), Lituanie (2018), Irlande (2018), Chili (2019), Pays-Bas (2019), Hong Kong (2019), Hongrie (2020), Suède (2020), Egypte (2020), Italie (2021), Espagne (2021), Serbie (2021), Colombie (2021), Corée du Sud (2021), Royaume-Uni (2021), Canada (2021) et Autriche (2021).

Que financent les fonds?

Près des deux tiers des fonds levés sont affectés au secteur de l'énergie et du bâtiment. Le secteur de l'énergie comprend surtout des mesures concernant l'électricité et le chauffage. Les entreprises du secteur privé semblent prendre des mesures très spécifiques pour réduire la consommation d'énergie. Apple, par exemple, a investi environ 1,1 milliard de dollars dans son parc de développement de Cupertino et dans d'autres bâtiments durables, sur un total de 2,5 milliards de dollars d'obligations vertes. Rien que cela permet à l'entreprise d'économiser 1,2 million de tonnes d'émissions de CO2 par an. Parallèlement, des installations de production d'énergie renouvelable d'une capacité de 571 mégawatts ont été mises en place, 91'000 tonnes de déchets ont été évitées, 360 millions de litres d'eau ont été économisés et quelques autres mesures ont pu être réalisées grâce à l'émission de l'obligation verte.


Source: Climate Bonds Initiative, Londres

 

Qu'y a-t-il de si nouveau pour que tant d'émetteurs s'efforcent d'émettre des obligations vertes?

  • Depuis mi-2014, l'International Capital Market Association (ICMA) agit en tant que secrétaire des Green Bond Principles (GBP).
  • Les GBP sont des directives volontaires pour l'émission d'obligations vertes, élaborées conjointement par les acteurs du marché dans le but de promouvoir la transparence et l'intégrité du marché des obligations vertes.
  • Nouveauté: les obligations vertes sont des investissements dédiés, mais elles s'appuient essentiellement sur le format éprouvé des obligations.
La Climate Bonds Initiative de Londres s'est fixé pour objectif d'atteindre le plus rapidement possible un volume annuel de plus de 1'000 milliards pour les obligations vertes.

Ce qui peut paraître peu spectaculaire, malgré des «directives volontaires», a néanmoins conduit à une révolution silencieuse et tranquille. En effet, qui aurait pensé, il y a dix ans, que l'argent frais investi dans les projets verts serait un jour égal ou supérieur à celui investi dans toutes les actions nouvellement souscrites dans le monde? Ce point d'inflexion semble être arrivé en 2022. Le graphique ci-dessous montre à quel point le marché des obligations vertes a évolué rapidement depuis 2012.

Argent frais sur les marchés des actions et des obligations vertes, au niveau mondial

Source: Tableaux Bloomberg LEAG

 

Mais les volumes sont-ils suffisants?

L'Agence internationale de l'énergie estime qu'un volume d'investissement de 1'000 milliards de dollars par an est nécessaire pour réussir la transition énergétique. La Climate Bonds Initiative de Londres s'est également fixé pour objectif d'atteindre le plus rapidement possible un volume annuel de plus de 1'000 milliards pour les obligations vertes. Cette organisation à but non lucratif joue le rôle d'intermédiaire et conseille les pays et les entreprises sur la manière d'émettre des obligations vertes.

Alors que le Conseil climatique de l'ONU ou la Jeunesse pour le climat posent à juste titre des exigences massives pour lutter rapidement et de manière conséquente contre le changement climatique, la volonté politique internationale est de passer à un bilan net nul au plus tôt en 2050 ou plus tard. Heureusement, de nombreux émetteurs d'obligations vertes ne voient un avenir que dans une économie durable et visent l'objectif zéro net pour 2040 ou plus tôt. Cette transformation volontaire, massive en termes de volume mais silencieuse, laisse espérer qu'une transition vers plus de durabilité avec l'aide des marchés financiers sera plus facile que beaucoup ne le pensent.

 

1 Selon le Global Footprint Network, le Jour du Dépassement de la Terre (Earth Overshoot Day) est le jour de l'année en cours où la demande humaine en matières premières renouvelables dépasse l'offre et la capacité de la Terre à reproduire ces ressources au cours de cette année.
2 Sur mandat du Conseil fédéral, l'Administration fédérale des finances (AFF) élaborera, en collaboration avec le Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC), un cadre pour l'émission de "Confédérés verts" et le soumettra au Conseil fédéral pour décision d'ici fin 2022.

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