Cinq leçons du krach obligataire britannique

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La remontée des taux révèle des fragilités, notamment en mettant en danger la stabilité du système financier. En parallèle, cet épisode cloue au pilori le Brexit.

En quelques semaines, la situation du Royaume-Uni a complètement changé. Après soixante-dix ans de règne, la Reine est morte respectée de tous. En moins d’un mois, le nouveau gouvernement britannique, lui, est devenu la risée de tous. Son programme de baisses d’impôt a été vertement critiqué par le FMI et sanctionné par les marchés financiers. Deux jours après l’annonce de ce plan, le rendement des Gilts à trente ans avait bondi de 100 points de base, obligeant la Banque d’Angleterre à intervenir en urgence comme prêteur-en-dernier-ressort pour éviter que les fonds de pension ne succombent à une crise de liquidité. Cet épisode est-il le «canari au fond de la mine» présageant de fragilités similaires ailleurs? Ou est-ce un problème spécifique au Royaume-Uni? En tout état de cause, on peut tenter de tirer quelques enseignements pour nous autres, Européens du continent.

Leçon n°1 – Après la crise financière globale de 2008, les régulateurs et les superviseurs ont fait assaut d’inventivité (réglementation, coussin en capital, stress tests) pour éviter qu’un nouvel accident ne se produise, et pourtant, il subsiste des coins obscurs dans la finance mondiale. Les fonds de pension ne sont pas par nature des acteurs prenant des paris inconsidérés et le marché obligataire de la sixième puissance mondiale devrait être l’un des plus sûrs et des plus liquides. Cet épisode de stress interroge donc sur la capacité des autorités de contrôle à apprécier correctement les risques de marché. Ce qui vaut au Royaume-Uni vaut certainement ailleurs, surtout à un moment où se développe la finance décentralisée.

Leçon n°2 – Aucun acteur économique, ni les ménages, ni les entreprises, ni les investisseurs n’est bien préparé à opérer avec des taux d’intérêt durablement élevés, après tant d’années de taux bas. Si la transition d’un régime à l’autre se fait de manière trop rapide, le cas britannique étant sans doute un cas extrême, cela peut causer des dégâts dans la sphère financière et dans l’économie réelle. Les secteurs immobiliers, particulièrement sensibles aux conditions d’emprunt, sont partout amenés à souffrir.

La machine technocratique de l’UE est lourde, elle impose à chaque pays de se conformer à des procédures et des règles, tant dans le domaine économique que politique.

Leçon n°3 – Cela amène à considérer la conduite des politiques monétaires. La Banque d’Angleterre n’a pas renoncé à resserrer sa politique monétaire. Elle y est même plus incitée que jamais, maintenant que les choix fiscaux du gouvernement sont de nature à attiser le choc d’inflation. Toutefois, une banque centrale peut être amenée à arbitrer entre son mandat explicite (garantir la stabilité des prix) et son mandat implicite (garantir la stabilité financière). La question pendante est de savoir si le resserrement monétaire agressif mené presque partout dans le monde n’est pas de nature à causer de l’instabilité sur les marchés. Cela vaut pour la Fed comme pour la BCE. En tout état de cause, si les banques centrales doivent renoncer à employer un instrument de resserrement monétaire, c’est plus sûrement la réduction de leurs portefeuilles d’actifs que la hausse des taux directeurs.

Leçon n°4 – La poussée soudaine des taux britanniques peut être vue comme un cas classique de discipline imposée par les marchés. Les «bond vigilantes» auraient jugé que le creusement des déficits budgétaires n’était pas soutenable dans la durée, et par suite, ont exigé une prime de risque bien plus élevée. Une interprétation somme toute un peu trop sommaire. Ce qui a été sanctionné, c’est autant sinon plus, l’absence d’évaluation crédible des effets des mesures fiscales. Les marchés obligataires peuvent tout à fait admettre des déficits plus élevés en réponse à des chocs bien précis, comme la pandémie en 2020 ou la crise énergétique aujourd’hui. Une politique budgétaire contracyclique reste nécessaire. Ce qui n’est pas (ou plus) toléré, dans un contexte de taux élevés, c’est une politique inconséquente.

Leçon n°5 – Il y a enfin une leçon à tirer sur les avantages et les inconvénients d’appartenir à l’Union européenne. En 2016, le Royaume-Uni a fait le choix de quitter l’Union européenne. L’aventure du Brexit devait l’affranchir des carcans européens et libérer son potentiel. Le résultat n’est guère enthousiasmant, c’est le moins qu’on puisse dire. Sauf quelques fédéralistes forcenés, personne ne prétendra que l’UE est un système sans défaut. Mais il faut lui reconnaître des qualités. La machine technocratique de l’UE est lourde, elle impose à chaque pays de se conformer à des procédures et des règles, tant dans le domaine économique (la surveillance budgétaire) que politique (le respect de l’Etat de droit). Ceux qui ont essayé de s’en affranchir en ont subi les conséquences négatives, de la Grèce à la Hongrie. Ceux qui jouent le jeu en sont récompensés: c’est la philosophie sous-tendant les transferts du plan NGEU (NextGenerationEU) en échange de réformes structurelles. Il est notable qu’au moment où le Royaume-Uni était pris dans une tourmente financière, l’Italie qui venait d’élire une coalition ayant pourtant des racines eurosceptiques n’était pas attaquée. Sans préjuger de l’avenir, c’est une incitation à rester sous le parapluie offert par l’UE. Ce n’est plus maintenant que les Brexiteers feront des émules sur le continent.

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