Changement de perspective - Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

7 minutes de lecture

Accès de panique ou marché baissier? Chine: l’aube est-elle proche? Pourquoi l’intégrité de la zone euro ne sera pas affectée par le différend avec l’Italie.

«Faux» signaux baissiers ou réel tournant? La correction des deux dernières semaines soulève des questions que nous avons abordées lors de la dernière réunion du Comité de placement du Credit Suisse. Premièrement, les marchés baissiers suivent généralement une période d’euphorie, mais nous n’avons pas observé d’exubérance ces derniers mois. Deuxièmement, ils ont tendance à anticiper une récession. Or les récentes hausses de taux d’intérêt et les fondamentaux contredisent cette thèse. Nous changeons donc de perspective en nous focalisant sur le S&P, la Chine et l’Italie, mais nous conservons la même opinion: en dépit des inquiétudes bien compréhensibles, nous estimons toujours que les actions sont attractives et qu’elles se portent mieux que les apparences ne le suggèrent actuellement. Et toute nouvelle perspective permet également de diriger le regard vers de nouvelles opportunités.  

Accès de panique ou marché baissier?

D’importantes fluctuations de cours ont secoué les marchés financiers ces deux dernières semaines. Il s’agit de la plus forte correction de l’année depuis février. Or elle surprend par trois particularités. Premièrement, la baisse des valorisations boursières ne s’est pas accompagnée d’une hausse des valorisations des emprunts d’État, une évolution pourtant typique dans ce genre de situation. Deuxièmement, ce fléchissement – à la différence du précédent – a fortement affecté les actions américaines. On remarque avec intérêt que les actions et les monnaies des pays émergents sont parvenues à atténuer une partie des pertes mondiales. Certaines devises asiatiques se sont même légèrement appréciées par rapport au dollar américain. S’agirait-il des signes précurseurs de la constitution d’un plancher? Nous y reviendrons. Troisièmement, on a observé que les primes de risque de crédit des emprunts à haut rendement avaient baissé au lieu d’augmenter, ce qui diffère du processus «normal» des corrections. Ce phénomène pourrait-il signaler que la douloureuse chute des dernières semaines est moins imputable aux inquiétudes concernant la croissance mondiale qu’à une normalisation des perspectives bénéficiaires trop optimistes aux États-Unis? Autant de questions importantes qu’il vaut mieux étudier sous différents angles, loin des tempêtes médiatiques. Les vacances d’automne, que j’ai passées au bord du lac Victoria sans accès à Internet, m’ont donné tout le loisir d’y réfléchir.

Comment vont donc évoluer la conjoncture, les taux d’intérêt et les marchés bour-siers? À ce propos, j’aimerais vous poser une question sans rapport apparent: lorsque vous regardez les deux lignes ci-dessous, laquelle est la plus longue? Celle du dessus ou celle du dessous?

Réponse: les deux lignes ont la même longueur. Mais la différence d’orientation des flèches donne l’illusion que l’une est plus longue que l’autre. Certes, c’est un phénomène bien connu, mais il nous rappelle à quel point nous pouvons nous tromper. L’œil filtre et structure, c’est une conséquence de l’évolution. Notre perception est également modifiée par notre attitude face aux choses et par le contexte. Sans cela, pourquoi un verre semblerait-il à moitié plein à l’un et à moitié vide à l’autre? Et pourquoi estimons-nous qu’un placement de cent francs est bon marché aujourd’hui alors qu’il nous paraîtra trop cher demain? Parce que le point de vue affecte le jugement.

Et en quoi ces considérations concernent-elles la bourse? À plusieurs égards, même si les turbulences actuelles ne sont aucunement une illusion. Tout dépend de leur interprétation et de leur intégration dans un contexte élargi. Les questions clés qui se posent aux investisseurs sont aujourd’hui les suivantes: la correction actuelle n’est-elle qu’un «faux» signal baissier? Les actions sont-elles bon marché ou chères? 

Autant le dire tout de suite: nous pensons qu’il s’agit d’un «faux» signal baissier. Bien entendu, les actions ne sont pas bon marché en comparaison historique, la hausse des rendements réduit les primes de risque, et les bénéfices ne vont pas atteindre des sommets. Il est également évident que le conflit commercial internatio-nal est néfaste pour la bourse. Néanmoins, nous savons par expérience que les marchés exagèrent dans les deux sens. Les hausses prennent généralement fin dans l’euphorie et du fait d’une survalorisation irrationnelle. Mais nous sommes actuellement bien loin de l’une comme de l’autre. Le dernier rallye boursier a émer-gé du «lundi noir» de 1987, comme le phénix qui renaît de ses cendres, et a pris fin treize ans plus tard, dans l’euphorie de la bulle Internet de 2000. Pendant cette période, l’indice Dow Jones des grandes entreprises (blue chips) a pratiquement septuplé, passant de 1700 points à 11 200. À son zénith, les primes de risque des actions étaient négatives. 

Aujourd’hui, on se souvient peu de l’euphorie de l’année 2000. Et même si le SMI a presque doublé et le S&P 500 triplé depuis 2009, on ne relève là aucune exubé-rance alors que la croissance des bénéfices est tout aussi élevée. En outre, le cours de nombreuses actions chinoises est inférieur à celui des dix dernières années. Le rythme de croissance de l’économie mondiale devrait certes ralentir en 2019, mais nous anticipons toujours une expansion supérieure à 3% dans un contexte d’inflation structurelle faible. En résumé: nous estimons que les actions sont plus attractives que les obligations. Leur récente correction, mesurée à l’aune du S&P 500, semble être plutôt «l’un des nombreux» accès de panique observés depuis le début de la hausse de cet indice en avril 2009.

 

Chine: l’aube est-elle proche?

Cette année, la bourse chinoise a été particulièrement affectée par des ventes mas-sives. Mais un dicton asiatique nous rappelle que lorsque la nuit est la plus noire, l’aube n’est pas loin. Alors est-il permis d’espérer une aurore en Chine? Non pas que le conflit commercial avec les États-Unis soit surmonté. C’est tout le contraire. Mais de nom-breuses répercussions possibles de ce dernier sont probablement déjà intégrées dans les cours boursiers. 

Observons brièvement les quatre principaux défis et mesures de politique économique que d’importants représentants du gouvernement chinois ont annoncés cette semaine. Ils ont but de développer l’économie et les marchés des capitaux du pays de manière durable:

  1. Restructuration des dettes des communes et des entreprises publiques
  2. Réduction de la dépendance vis-à-vis des exportations – le «Made in China» doit céder la place au «Invented in China»
  3. Consolidation des marchés des capitaux chinois pour assurer le financement de l’économie du pays
  4. Maintien d’une balance des paiements équilibrée

Ces défis ne sont pas nouveaux ni spécifiques à l’empire du Milieu, mais il y a de bonnes raisons de penser que ce dernier les relèvera avec succès, car:

  1. Tant qu’un pays se finance avec sa propre monnaie, il peut résoudre tout problème d’endettement en combinant la politique budgétaire et la politique monétaire.
  2. Ces dernières années, la Chine est parvenue à éliminer une bonne partie du système bancaire parallèle et à restructurer ses crédits en souffrance.
  3. Le gouvernement a pris de nombreuses mesures pour mieux réglementer les marchés financiers du pays et les développer de manière durable, en se calquant souvent sur les modèles occidentaux.
  4. La recherche et le développement de même que la protection des droits de propriété intellectuelle et la formation sont encouragés de manière ciblée à différents niveaux. Depuis quelque temps, aucun autre pays ne dépose autant de brevets. Certes, la productivité de la Chine reste très inférieure à celle des États-Unis (problème principalement imputable à ses entreprises publiques), mais la stratégie économique «Invented in China» commence à porter des fruits, comme le montre également la récente progression de la rentabilité du secteur manufacturier.

Jetons encore un coup d’œil au grand nombre de mesures annoncées cette semaine, car elles expliquent pourquoi l’aube pourrait poindre sur les marchés boursiers chinois. Plusieurs événements survenus à Pékin permettent également d’anticiper de nom-breuses opportunités:

  • Vendredi dernier, le vice-premier ministre, Liu He, a demandé à tous les ministres concernés de présenter des mesures concrètes capables de soutenir un redressement durable de l’économie privée du pays, ainsi que le marché des actions de classe A. 
  • Liu He a souligné les points suivants: le gouvernement chinois a) prévoit des mesures supplémentaires visant à renforcer les droits de propriété (intellectuelle également). En outre, il entend b) simplifier la mise en œuvre du droit privé devant des tribunaux indépendants pour c) propulser durablement la compétitivité internationale de la Chine en tête de classement.
  • Son appel a été relayé par le gouverneur de la banque centrale chinoise et le président de la commission de réglementation des banques et des assurances (CBIRC), lesquels ont annoncé de leur côté que les banques pourraient désormais structurer et commercialiser, à l’intention des investisseurs privés, des fonds de placement qui investissent directement dans des actions chinoises de classe A ainsi que dans des obligations chinoises. Par ailleurs, les compagnies d’assurance pourront mettre en place des fonds de prévoyance et des solutions de caisse de pension permettant de mieux diversifier l’épargne du secteur privé du pays, laquelle a atteint un niveau record. De cette manière, la liquidité des marchés des capitaux chinois devrait nettement augmenter dans un avenir proche, selon le modèle américain.
  • La commission chinoise de réglementation des valeurs mobilières (CSRC) a annoncé qu’à l’avenir, les entreprises en Chine pourraient effectuer des rachats d’actions, à l’instar des pratiques occidentales. Les équipes de direction d’un grand nombre de ces sociétés devraient être intéressées par cette possibilité au vu de la liquidité élevée et des faibles valorisations sur les marchés. Aux États-Unis, les rachats actuels de titres représentent une part substantielle de l’ensemble des achats d’actions.
  • Le premier ministre, Li Keqiang, a lui aussi rappelé qu’une dévaluation ou une manipulation du renminbi n’étaient pas dans l’intérêt de son pays.
  • Il convient également de mentionner une lettre ouverte du président Xi, qui a trouvé beaucoup d’écho. Elle souligne notamment que le gouvernement apprécie, protège et encourage les entreprises privées, que toute autre attitude serait absurde et qu’un secteur privé libre revêt une importance inestimable pour l’économie montante et la société en Chine. 
  • Le gouverneur de la banque centrale, Yi Gang, a expliqué cette semaine que les cours boursiers chinois se trouvaient à leur plus bas historique et que la banque populaire envisageait de diversifier son fonds souverain au moyen d’actions du pays.
  • Le ministère des finances a lancé une procédure de consultation concernant une réforme fiscale calquée sur les modèles occidentaux. Si les résultats devaient se révéler positifs, il augmenterait entre autres, dès janvier 2019, les allègements fiscaux pour les ménages privés ainsi que les déductions pour l’éducation et la formation, les intérêts hypothécaires et les cotisations aux caisses de pension. Ces mesures pourraient accroître jusqu’à 1% la performance économique chinoise en stimulant considérablement la consommation privée. Le ministère prévoit des allègements fiscaux pour les entreprises également, en mettant l’accent sur ceux qui favorisent une croissance plus durable.
  • Comme les inquiétudes concernant les actions nanties (quelque 10% du marché des titres de classe A) affectent la bourse chinoise, le gouvernement central ainsi que les gouvernements des métropoles économiques que sont Shenzhen et Canton ont annoncé l’introduction de facilités spéciales d’obtention de trésorerie afin de soutenir en permanence la liquidité des marchés et de permettre temporairement d’investir dans des entreprises saines.
  • Enfin, le South China Morning Post a confirmé des rapports selon lesquels une rencontre de Trump et de Xi serait prévue en marge du sommet du G20, qui se tiendra le 29 novembre à Buenos Aires.

Nous ne devrions donc pas sous-estimer les mesures prises pour donner un nouveau souffle à l’économie et aux marchés boursiers chinois.

Pourquoi l’intégrité de la zone euro ne sera pas affectée par le différend avec l’Italie

Encore quelques mots à propos de la situation actuelle dans la zone euro. Là encore, il ne faut pas sous-estimer le fait que l’Italie est aguerrie aux crises et que la zone euro est plus robuste qu’elle ne le semble. Il y a au moins deux raisons qui font penser que le différend politique entre Bruxelles et Rome ne va pas dégénérer et que les deux parties vont faire traîner les choses en longueur:

  1. Bien qu’il n’y ait pas une seule année où l’ensemble des membres de la zone euro ont observé les critères de stabilité du traité de Maastricht de 1992, la totalité de leurs dettes, soit quelque 85% de leur performance économique, est encore nettement inférieure à celle des États-Unis (110%) ou du Japon (240%). Cet état de fait confère à la zone euro de la résilience sur le plan de la politique monétaire et budgétaire. En revanche, la violation ininterrompue du traité depuis 26 ans sape l’autorité politique de Bruxelles dans la recherche d’une solution au conflit. Avec beaucoup plus d’efficacité que la diplomatie, c’est l’augmentation actuelle du coût du capital qui bride la politique budgétaire italienne. La Commission européenne le sait également.
  2. Les écarts entre le Nord et le Sud de l’Italie, la faiblesse de ses institutions, la rigidité de son marché de l’emploi plombé par un taux de chômage élevé, l’inefficacité de son système fiscal, son important endettement public et la fragilité de son système bancaire sont les résultats du blocage des réformes politiques depuis des décennies. Cet immobilisme a profondément divisé la société. Il a favorisé le développement d’une économie parallèle, causé la baisse du revenu par habitant et contribué à l’avènement d’un gouvernement eurosceptique tel qu’il s’affiche dans le conflit ouvert avec Bruxelles. Il n’y a là rien de bien nouveau. Pourtant, l’abaissement du rating de crédit de l’Italie par Moody’s à «Baa3 avec perspectives stables» a suscité des réactions à l’échelle mondiale. Mais cette agence de notation américaine souligne également la résistance de l’Italie face aux crises: l’État est financé à très long terme et peut recourir à des investisseurs italiens liquides. Le pays possède une grande économie intérieure bien diversifiée, avec un taux élevé d’épargne privée, une infrastructure qui fonctionne et un excédent stable de la balance courante. L’indice de la compétitivité internationale récemment mis à jour par le forum économique mondial (voir illustration) donne une vue d’ensemble de ce qui marche bien et moins bien en Italie: malgré toutes les difficultés, ce pays, peut-être le plus beau d’Europe, a gravi un échelon dans le classement l’année dernière, s’établissant en 43e position.

En résumé, l’intégrité de la zone euro ne sera pas affectée par le différend avec l’Italie. Mais il ne faut pas non plus s’attendre à ce que les choses s’améliorent du jour au lendemain.  

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