Suisse et Union européenne: que veut-on?

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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La Suisse ne doit pas attendre d’aller mal pour faire de nouvelles propositions à l’Union européenne.

Le 26 mai 2021, le Conseil fédéral a rompu les négociations avec l’Union européenne (UE) à propos de l’accord cadre, de manière abrupte, sans consulter le Parlement. Paradoxalement, ceux qui s’en sont le plus réjoui sont ceux qui défendent la souveraineté de la Suisse et de son peuple par-dessus tout. Sans doute parce qu’ils savent que les autres partis politiques ont bien plus peur de la question européenne que le peuple lui-même…

Depuis, le Conseil fédéral poursuit une stratégie en trois points: il veut 1) éliminer des divergences entre le droit suisse et le droit européen, 2) instaurer un dialogue politique avec l’UE et 3) débloquer la deuxième contribution de la Suisse en faveur de certains Etats membres de l’UE (le deuxième «milliard de cohésion», en réalité des versements de près de 1,3 milliard au total étalés sur dix ans).

Il est difficile d’imaginer comment ces mesures – si elles aboutissent! - pourraient remplacer l’accord cadre qui aurait mis les relations avec l’UE sur des rails stables. Avec la première, le Conseil fédéral envisage d'adopter le droit européen de manière autonome, ce que la Suisse fait depuis 20 ans dans de nombreux domaines. Sauf que le programme «Stabilex» veut le faire justement sur les points sensibles de l’accord cadre. Le gouvernement ferait alors «sans pression» ce que l’accord cadre l’aurait contraint à faire, mais sans rien obtenir en échange. N’est-ce pas absurde?

Instaurer un dialogue politique avec l’UE revient à inviter une fille à danser après l’avoir giflée.

La deuxième mesure – instaurer un dialogue politique avec l’UE – revient à inviter une fille à danser après l’avoir giflée. Et si cela ne suffisait pas, le Conseil fédéral a ensuite décidé d’acquérir des avions de combat américains, plutôt que français ou européens. Même si les arguments techniques et économiques en faveur de ce choix sont fondés, ils ne tiennent pas compte des éléments politiques et géostratégiques d’un tel achat. Il s’agit d’une occasion manquée de restaurer une certaine confiance envers nos voisins.

Reste donc la dernière mesure, le déblocage du deuxième milliard de cohésion. Concrètement, le Conseil fédéral a demandé au Parlement de renoncer à la condition qu’il a posée en décembre 2019, à savoir que l’UE ne prenne pas de mesure discriminatoire vis-à-vis de la Suisse (en l’occurrence le refus de l’équivalence boursière, qui perdure). Le Parlement ne semble pas pressé de faire cette fleur à l’UE, et certains voudraient bien lier ce geste à la participation de la Suisse aux programmes de recherche de l’UE. Mais il ne faut pas oublier que la contribution de la Suisse est une contrepartie des Bilatérales II et qu’en la versant, la Suisse ne ferait que respecter son engagement.

Alors que faire d’autre? L’Union européenne présentera à l’automne une analyse approfondie de ses relations avec la Suisse. Certains espèrent y déceler un signe sur la voie à suivre. Mais l’ambassadeur de l’UE à Berne ne voit que trois solutions : une adhésion à l’UE ou au moins à l’EEE, un accord cadre ou l’érosion des accords bilatéraux et le retour au simple libre-échange. «La poursuite du statu quo, en tous les cas, n’est pas une option pour l’UE», a-t-il confirmé.

L’option d’une adhésion de la Suisse à l’UE ou à l’EEE est non seulement irréaliste, mais aussi contradictoire.

Les socialistes restent tentés par l’option d’une adhésion de la Suisse à l’UE ou à l’EEE - ce qui est non seulement irréaliste, mais aussi contradictoire, puisque la Suisse devrait alors aligner ses mesures d’accompagnement sur celles de l’UE, farouchement combattues par les syndicats. D’autres partis cherchent un moyen de provoquer un vote sur l’accord cadre, mais ces démarches paraissent incertaines et à longue échéance. Enfin, on rappellera à ceux qui se satisferaient du libre-échange que celui-ci n’abolit que les droits de douane et les quotas alors que la participation au marché intérieur de l’UE vise à abolir toutes les barrières, tarifaires et non tarifaires, à la libre circulation des marchandises, personnes et capitaux.

En réalité, l'UE attend de nouvelles propositions de Berne. Dans l’intervalle, elle n’a pas actualisé la reconnaissance mutuelle des produits de technologie médicale et a relégué la Suisse au rang d’état tiers dans le cadre du prochain programme de recherche Horizon Europe. Ces tracas administratifs, la diminution programmée du nombre de chercheurs et d’étudiants en Suisse, les craintes de manque d’électricité et plus globalement l’incertitude générale font déjà perdre de la croissance future à la Suisse.

Il est donc urgent de trouver un moyen de rendre permanents ces accords bilatéraux que l’UE croyait temporaires. Cela passe sans doute par des Bilatérales III qui regroupent des sujets qui intéressent tant la Suisse que l’UE, et règlent aussi les questions institutionnelles. Les souverainistes pourraient développer les alternatives qu’ils envisagent à nos relations avec l’UE, et les syndicalistes devraient se souvenir qu’avant de défendre les salaires, il faut sauver les emplois!

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