2022: vers un nouveau cycle du Capex?

Nicolas Voinchet, Exane Solutions

2 minutes de lecture

Si la dernière décennie a favorisé les actifs financiers et fut propice au rachat d’actions, la période actuelle pourrait relancer l’investissement réel des entreprises.

Sur la dernière décennie, la décision la plus facile à prendre pour le conseil d’administration d’une grande entreprise cotée était de lancer un programme de rachat d’actions. La mécanique bien huilée consistait à arbitrer le décalage significatif entre coût de la dette et coût du capital. Biberonnées à l’argent facile des banques centrales, les entreprises échappaient ainsi au dilemme de savoir qu’en faire au fur et à mesure de la plongée en taux d’intérêt réels négatifs: mieux valait participer à l’euphorie financière via la relution immédiate du «share buy-back» que d’investir et devoir consulter les augures sur le devenir incertain de l’économie réelle.

Initiée par la crise sanitaire et un changement manifeste de paradigmes, la nouvelle décennie offre-t-elle d’autres perspectives que la poursuite de ce recyclage de l’effet de levier et des cash flows excédentaires au seul profit d’un traitement privilégié des actionnaires? Plusieurs indices permettent de répondre par l’affirmative, en parfaite harmonie avec les déterminants macro-économiques traditionnels.

Le cycle de l’investissement à long terme est en berne depuis la crise de 2008.

Deux alternatives bien plus engageantes que le rachat d’actions s’offrent aux entreprises en bonne santé financière et ayant un accès facile au marché du crédit: les opérations de croissance externe d’une part et les dépenses d’investissement à long terme d’autre part. Sur la première alternative, l’offre en grande partie en numéraire et évaluée à 50 milliards de livres qu’Unilever est disposé à faire pour racheter GSK Consumer Healthcare démontre le changement d’atmosphère en cours en Europe. Fragilisé par la tentative avortée de son rachat en 2017 par Warren Buffet et 3G, le conseil d’administration d’Unilever n’hésite pas à affronter la fronde prévisible de ses actionnaires. Fait-il preuve d’un courage singulier ou est-ce un signe des temps?

Plus que la fusion-acquisition, c’est pourtant la seconde alternative évoquée plus haut qui accuse le plus fort retard: le cycle de l’investissement à long terme est en berne depuis la crise de 2008. Les dépenses de Capex - «Capital Expenditure» - rapportées au chiffre d’affaires des entreprises tangentent avec les 6%, soit l’étiage le plus bas depuis au moins deux décennies et une baisse continue depuis 2015. S’il s’agissait d’abord de purger certains excès du cycle passé, ce défaut de Capex tient désormais plus du caractère timoré des entreprises que de surcapacités. Dans les dernières enquêtes en zone euro, le pourcentage d’entreprises faisant état d’un défaut de demande est au plus bas depuis 1985, tandis que le pourcentage de celles se plaignant d’un défaut d’équipement explose littéralement, pour atteindre les 50% contre un intervalle de 0 à 20% sur les quarante dernières années!

Les conséquences de ce sous-investissement patent se font cruellement ressentir ces derniers mois à la faveur du rebond de la demande. Elles sont en partie à l’origine des tensions inflationnistes, ayant commencé dans les matières premières pour se propager dans toute la chaîne de production et culminer désormais dans les prix de l’énergie. La faiblesse de l’investissement a donc effectivement réduit le potentiel de croissance future, tout en ayant créé de l’inflation et des goulots d’étranglement. L’enjeu n’est donc pas uniquement micro-économique : sans une hausse des capacités de production, la reflation actuelle risque de laisser place à une période de stagflation, prémisse elle-même d’épisodes récessifs.

Outre le rattrapage conjoncturel, deux thèmes plus structurels devraient donner de l’ampleur au cycle de Capex naissant.

Dans ce décor à enjeu, quels pourraient être les catalyseurs d’un rebond espéré des dépenses d’investissement? La fonction de réaction des entreprises à l’investissement est plus complexe que pour les retours aux actionnaires, dépendant principalement de l’accélérateur de croissance économique. Dans cette optique, la visibilité offerte par la sortie de crise sanitaire peut très bien servir d’élément déclencheur. La croissance des prochains mois devrait être favorisée par le retard d’une partie de la demande sous-jacente et par la relance budgétaire.

Au-delà de cette reprise conjoncturelle pouvant agir comme aiguillon, deux cycles structurels d’investissement devraient se conjuguer pour donner de l’ampleur au phénomène. Les dépenses annuelles liées à la transition climatique se compteront en centaines de points de base du PIB, tandis que l’émergence du Cloud et de la disruption industrielle en constitue le second pilier. Après tout, la Capex massive des «Hyperscalers» - Google, Amazon et Microsoft - ne constitue-t-elle pas un exemple à suivre pour toute entreprise cherchant à se protéger tout en accroissant son marché adressable? Si Nokia avait décidé d’investir dans les années 2000 plutôt que de racheter ses actions, le groupe aurait sans doute mieux résisté à la déferlante de l’IPhone, alors orchestrée par Apple, jamais avare d’investissements rentables?

En conclusion et si l’on devait comparer le cycle naissant avec des périodes récentes, la période 2004/2008 pourrait servir de référence. A l’époque aussi, les investisseurs avaient des doutes sur la soutenabilité du cycle économique, avant qu’il ne s’inscrive dans la durée et n’occasionne la dernière grande phase favorable pour l’investissement des entreprises et son effet multiplicateur sur la croissance économique. Dès 2004, il s’est agi de sélectionner les entreprises récipiendaires du cycle de la Capex, dont la performance fut florissante par la suite. Pour paraphraser Mark Twain, si l’histoire ne se répète jamais, souhaitons qu’elle rime une nouvelle fois, avec une fin plus heureuse qu’à l’époque!

A lire aussi...