Dispersion: hasard ou coïncidence?

Nicolas Voinchet, Exane Solutions

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2021: de la misère de l’allocation sectorielle ou de style à la pertinence de l’allocation thématique.

Dans l’univers impitoyable de l’investissement action, les décisionnaires savent très bien qu’une année perdue ou gagnée se jouera à quelques intuitions et coups du sort. Sans oublier la sueur et les larmes. S’ils se plient volontiers à cette loi d’airain, ils détiennent souvent dans l’approche par style ou par secteurs la clef qui les mènera soit au Capitole, soit à la Roche Tarpéienne. Puis 2021 advint et changea la donne, au moins temporairement! Depuis le début d’année, l’écart de performance entre le MSCI Europe Value et le MSCI Europe Growth est de… 13 points de base (+17,65% vs +17,53%), dans une année pourtant riche en mouvements de balanciers entre l’un et l’autre. Tant pis pour le style donc, mais qu’en est-il des secteurs? La dispersion au sein du Stoxx600 renvoie sensiblement le même message d’uniformité: dans un indice en hausse de 17%, l’ensemble des performances sectorielles se concentre entre +8 et 24% pour 17 d’entre eux. Seuls trois secteurs échappent au peloton, la banque loin en tête avec +36%, les «utilities» et le «personal care» dans la voiture balai.

Plutôt que de s’appesantir sur des secteurs traditionnellement dominés par le risque spécifique, mieux vaut évoquer ceux dont la connotation «top down» est dominante.

Ce manque de pertinence des styles et secteurs est-il un hasard ou une coïncidence? Dans les premiers éléments de réponse, l’essor des indices et des fonds thématiques tient sans doute une place d’autant plus significative qu’il accompagne de multiples changements de paradigmes. L’année en cours est ainsi animée par la montée en puissance de l’ESG et de ses différentes applications, mais aussi par la résurgence de l’inflation via les commodities ou de la dépense publique.

Il convient donc de passer de l’analyse de la dispersion intersectorielle aux mouvements intra-sectoriels, pour passer du mouchoir de poche évoqué plus haut à de multiples opportunités de création d’alpha cette année. Plutôt que de s’appesantir inutilement sur des secteurs traditionnellement dominés par le risque spécifique, la technologie par exemple, mieux vaut évoquer ceux dont la connotation «top down» est dominante.

L’influence de l’ESG ressort dans le pétrole par exemple, où la très grosse surperformance d’Equinor par rapport à Royal Dutch ou Total tient sans doute à son profil plus présentable, les trois ayant une forte exposition au pétrole et au gaz. De même dans la construction, où les performances exceptionnelles de Saint Gobain, Kingspan ou Sika contrastent fortement avec celle de Holcim par exemple: les premières sont favorisées par la transition climatique via la rénovation, tandis que la dernière ajoute à son statut de cimentière polluante le spectre du passé entre Lafarge et Daech en Syrie.

L’année 2021 aura marqué le dégonflement de la première bulle «verte» autour de la «cleantech».

L’ESG peut avoir un impact négatif d’ailleurs, lorsque certains des anges qu’elle a chéris se voient déchus par la médiocrité de leurs performances opérationnelles. On le voit dans le pétrole via Neste, mais plus sûrement dans les utilities avec la très forte contre-performance d’Orsted par exemple. L’année 2021 aura d’ailleurs marqué le dégonflement de la première bulle «verte» autour de la «cleantech». A l’inverse d’Orsted et des utilities renouvelables, Veolia est largement en tête du palmarès du secteur, bénéficiant sans doute d’un intérêt de plus en plus marqué pour l’eau dans les thématiques autour de l’ESG.

Par ailleurs, l’inflation initiée via les commodities a également contribué à la très grande dispersion intra-sectorielle. Parmi les minières, Norsk Hydro (aluminium) ou Glencore (charbon et métaux de la transition énergétique) créent un écart exceptionnel par rapport aux «blue chips» que peuvent être Rio Tinto ou BHP, engluées dans la correction du minerai de fer. Dans l’automobile, le «pricing power» des constructeurs allemands contraste avec son absence chez Renault ou Valéo.

Mais ce sera sans doute parmi les industrielles qu’on aura la plus grande persistance de la dispersion: elles sont à la fois exposées à une grande différenciation sur leur contribution à la transition climatique, véritable révolution industrielle ayant favorisé Alfa Laval par exemple, et à leur capacité à préserver leurs marges dans un univers inflationniste, ce dont a souffert Alstom. Elles subissent donc le «best of» de l’ESG et de l’inflation, ou risquent de pâtir du «worst of»!

Si la pertinence du stock picking et des thématiques ne font aucun doute en prévision de 2022, le prisme de sélection lié au style ou aux secteurs est-il appelé à disparaître? Rien n’est moins sûr. Notamment, lorsqu’on aura tranché le débat sur la poursuite de la «grande modération», ou son remplacement définitif par une nouvelle ère inflationniste. Que celle-ci soit «reflationniste» ou «stagflationniste» d’ailleurs, même si les conséquences ne seront pas les mêmes dans la finance, ni dans nos existences!

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