2022: petite baisse de température

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La reprise devrait garder un rythme soutenu cette année malgré une incertitude persistante autour de l’inflation.

En 2021, le monde a connu un rebond très vif, mais non rectiligne, de la croissance économique et une résurgence de l’inflation bien au-delà des anticipations. La pandémie a eu des effets disruptifs décroissants sur l’activité, grâce à la protection que les personnes acquièrent par la vaccination ou l’immunité naturelle, et les restrictions à la mobilité sont désormais réduites durant les vagues de variants. Cette déconnexion de l’économie vis-à-vis des conditions sanitaires va se poursuivre en 2022. Seule exception: la Chine. Cette dernière reste ancrée à une stratégie de tolérance zéro, ce qui constitue un risque baissier pour les perspectives. Le dysfonctionnement de la chaîne logistique complexe qui fournit les marchés de biens, causé par la pandémie, entraîne, lui, des effets en cascade difficilement prévisibles dans leur force et leur durée.

Il est certain que la demande de biens va se modérer en 2022, atténuant les pénuries et permettant de reconnecter progressivement les maillons de la chaîne de valeur. La crise COVID a amplifié les dépenses d’investissement ou, à défaut, fait prendre conscience de besoins en infrastructures dans des secteurs comme les transports et l’énergie. Les mesures d’urgence vont disparaître en phase avec une économie plus solide, mais le risque de resserrement brutal des politiques économiques est faible et l’épargne accumulée par les ménages et les entreprises est importante. De quoi prolonger la reprise à un rythme soutenu, supérieur à la normale pré-crise.

Bonne surprises et déceptions

En 2021, l’économie globale a rebondi plus fortement que ce qui était anticipé en début d’année, quand il y avait peu de certitudes sur l’efficacité des vaccins nouvellement découverts et de nombreux doutes sur leur production et leur distribution en masse. La croissance du PIB réel mondial était alors anticipée à +5,5%, un haut niveau reflétant le rattrapage des pertes accumulées lors des confinements de 2020. En fait, la croissance mondiale devrait avoisiner 6%. 

Réchauffements inattendus au Royaume-Uni, en Italie et en France, mais douche froide en Allemagne.

La surperformance est surtout vive aux Etats-Unis (+1,6 pt). L’économie y a été doublement stimulée, par d’importants transferts de revenu aux ménages et par une campagne de vaccination lancée de manière très précoce. Cette dernière demeure toutefois incomplète. L’Europe présente une situation contrastée (+0,5 pt) avec de bonnes surprises au Royaume-Uni, en Italie et en France, mais une déception en Allemagne (-1,3 pt), pays dont la structure de production l’expose davantage que d’autres aux pénuries de composants industriels. 

Concernant la croissance, l’autre déception est venue d’Asie, notamment de Chine (-0,2 pt). L’économie chinoise est prise en étau. D’un côté, les autorités ont durci le contrôle de l’économie afin de remettre au pas les secteurs dont le développement menaçait l’emprise du parti, comme la technologie, ou la stabilité financière et sociale, comme la construction résidentielle. D’autre part, la Chine poursuit une stratégie zéro-COVID qui implique des restrictions drastiques à la moindre détection d’un cas d’infection. Réponse utile au début de la pandémie, cette stratégie a aujourd’hui des faiblesses évidentes, aussi bien au plan sanitaire qu’économique. Avec en ligne de mire les Jeux olympiques d’hiver en février, puis la réunion quinquennale du Congrès national du PCC en novembre, il est peu probable que cette politique sanitaire soit abandonnée. Vu le poids de la Chine et surtout son rôle central dans la chaîne logistique des échanges, cela représente un risque de perturbations du cycle économique global.

Direction incertaine pour l’inflation

L’autre surprise majeure de l’an passé concerne bien sûr l’inflation. De nombreux prix avaient été soudainement déprimés en 2020 quand les gens ne voyageaient plus, ne sortaient plus et accumulaient de l’épargne. Une correction à la hausse était inévitable. En réalité, la poussée d’inflation a largement dépassé la simple correction technique des effets du confinement. Divers phénomènes ont amplifié des tensions de prix, au départ minimes. La structure de dépenses s’est déformée, surtout aux Etats-Unis, les consommateurs reportant sur les marchés de biens les dépenses de services qu’ils ne pouvaient faire. 

Ce choc de demande est intervenu alors que les inventaires étaient déjà bas avant la crise COVID. Assez vite, les capacités de transport ou d’entreposage ont atteint leurs limites. L’ajustement de l’offre est possible, mais pas à court terme et encore moins quand une partie de la main-d’œuvre fait défaut pour des raisons sanitaires. Sur les marchés d’oligopole comme le fret maritime et l’énergie, les fournisseurs en tirent profit. Réaction rationnelle, tout comme le fait de faire des stocks de précaution au moindre signe de pénurie, mais qui amplifie l’engorgement du système d’échanges. 

Aux Etats-Unis, les tensions sont diffuses et contaminent les salaires. En Europe, le choc d’inflation traduit avant tout une flambée des prix de l’énergie.

Au total, l’inflation moyenne sur 2021 a été deux à trois fois plus élevée que ce qui était prévu aux Etats-Unis et en Europe. Dans le cas des Etats-Unis, les tensions sont diffuses et contaminent les salaires. En Europe, le choc d’inflation traduit avant tout une flambée des prix de l’énergie, dont les facteurs vont de la géopolitique du gaz russe à l’impréparation des politiques de verdissement du mix énergétique, si différentes d’un pays à l’autre.

Moment périlleux pour les banques centrales

L’inflation est l’ennemie des banques centrales et vice versa, du moins en théorie. Une inflation excessive réclame un resserrement monétaire sous deux conditions. Primo, que le choc de prix ne soit pas réversible de lui-même avant d’avoir provoqué des effets de second tour, comme le dérapage des anticipations d’inflation. Secundo, que la politique monétaire ait effectivement le moyen d’attaquer l’inflation à sa source. La politique monétaire peut et doit déprimer la demande en cas de surchauffe générale mais elle n’est pas outillée pour calmer des tensions localisées sur des marchés spécifiques. Elle a encore moins de levier d’action si les prix montent à cause de contraintes sur la production et les échanges. Dans ce cas, le remède peut être pire que le mal car il revient à resserrer les conditions de crédit au moment où il faudrait qu’elles restent favorables pour encourager l’investissement. 

Aucune réponse stéréotypée ne s’impose. Dans les pays émergents, le taux directeur est déjà revenu en moyenne à son niveau de début 2020. Aux Etats-Unis, il est encore 150bp au-dessous et la Fed envisage à ce jour qu’il faudra deux ans, en suivant son scénario médian, pour revenir au niveau pré-pandémie. Le problème de l’inflation a aussi une dimension politique qui peut conduire à des erreurs de calibrage. Pour un politicien, quand les ménages s’inquiètent de l’érosion de leur pouvoir d’achat, la banque centrale est toujours un bon candidat pour le rôle de coupable. Le virage restrictif pris récemment par la Fed s’explique sans doute en partie ainsi. 

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