2020, annus horribilis ou annus mutandis?

René-Pierre Giavina, BCV

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Avec la pandémie, 2020 aura été une année horribilis, mais pas seulement. L’année aura aussi été celle de mutations profondes.

Horrible, 2020 l’a bien évidemment été sur le plan humain, mais aussi conjoncturel. La récession express qui a touché le monde au premier semestre a engendré une intervention d’une célérité tout aussi surprenante des autorités politiques et monétaires pour relancer l’activité. 

Tous les pays ne sont toutefois pas à la même enseigne. La Chine, qui a été la première touchée par la pandémie a rapidement mis en œuvre d’amples mesures de relance qui lui ont permis de redresser la tête dès le mois de mai et de retrouver un rythme de croissance si soutenu qu’elle devrait afficher une croissance positive cette année.

Des mesures jamais vues

Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale est très rapidement intervenue en déployant des moyens de très loin supérieurs à ceux dégainés lors de la crise financière de 2008-2009. Le gouvernement n’est pas resté les bras ballants en déclenchant une salve de mesures qui comprenait même des chèques aux ménages. Conséquences: la croissance américaine progressait d’un tonitruant 33% au troisième trimestre et les ménages affichaient en novembre des revenus supérieurs à ceux de janvier.

Suisse: 20 ans de frein à l’endettement balayés en 20 jours!

La Suisse n’est pas en reste. Si la BNS a continué d’intervenir sur le marché des changes pour éviter tout renforcement intempestif du franc, les autorités ont prestement mis la main au gousset pour soutenir l’activité. 20 ans de frein à l’endettement balayés en quelque 20 jours! L’économie suisse a ainsi moins souffert que ses voisins européens au deuxième trimestre et a affiché une solide reprise dès l’été.

Dans la zone euro, comme d’habitude, c’est plus compliqué. N’empêche! La Banque centrale européenne (BCE) est très rapidement intervenue – en 20 jours alors qu’il avait fallu près de deux ans au début des années 2010 lors de crise de l’euro –. Elle a mis en œuvre des mesures de relance quantitative inimaginables il y a 12 mois encore. Autre bonne surprise, la rapide décision de l’Union européenne de lancer un plan de relance budgétaire de grande ampleur. Malheureusement de la déclamation à l’implémentation, il y peut y avoir délai! Et la croissance de s’apprêter à souffrir d’une nouvelle contraction de l’activité au quatrième trimestre.

Tonique reprise

Malgré un certain tassement au tournant de l’année sous l’effet de la nouvelle vague pandémique, la reprise de l’économie devrait sensiblement accélérer en 2021, ramenant le PIB mondial à ses niveaux de début 2020. Pour la Chine, c’est déjà fait. Pour les États-Unis et le Japon, ce devrait être le cas en milieu d’année prochaine. Pour le Vieux Continent, il faudra être plus patient. Mais pour y arriver, il faudra encore compter sur quelques piqûres de dopage budgétaire ou monétaire supplémentaires.

Changements profonds

Tout ne reviendra pourtant pas comme au début de cette année. Le virus a aussi fonctionné comme un révélateur de tendances et accélérateur de changements. Il n’y a qu’à regarder la vitesse avec laquelle le télétravail a pu être mis en place, avec laquelle des vaccins contre le COVID-19 ont pu être découverts ou encore avec laquelle les Banques centrales ont réagi. 

Les banques centrales sont vraiment
devenues les prêteuses de dernier recours.

La pandémie a été le fossoyeur de l’orthodoxie budgétaire: aux oubliettes le Pacte de stabilité et de croissance en Europe, au feu la sacro-sainte règle qui voulait que l’endettement gouvernemental ne dépasse pas les 100% du PIB.

Si la pandémie n’a pas permis aux banques centrales de remplir leur mission, à savoir veiller à ce que l’inflation soit proche d’un objectif fixé à long terme, elle a renforcé à outrance leur pouvoir. Après avoir déjà «sauvé le monde» en 2008-2009, les banques centrales ont refourbi leurs armes pour réanimer une économie mondiale catatonique. Elles sont vraiment devenues les prêteuses de dernier recours et financent dorénavant plus ou moins directement l’endettement des gouvernements et des entreprises.

La pandémie a en outre creusé le fossé digital et la fracture sociale. Les mesures de relance monétaire ont certes redonné confiance aux ménages et aux entrepreneurs. Mais elles ont surtout été favorables aux investisseurs qui ont bénéficié d’une envolée des marchés boursiers et d’une sensible progression des prix de l’immobilier, deux actifs qui ne sont pas équitablement répartis dans la société. Les mesures de relance budgétaires restent, elles, insuffisantes pour colmater la dégradation du marché de l’emploi, la fragilité des travailleurs les moins formés ou encore le trauma de certains secteurs d’activité.

Questions en suspens

A ces tendances appelées à durer s’ajoutent quelques questions fondamentales qui ne manqueront pas de resurgir en 2021. 

Les autorités vont-elles facilement lâcher leur pouvoir
retrouvé lorsque les incertitudes s’atténueront?

Les citoyens et autres acteurs économiques auraient-ils abandonné leur envie d’autonomie? En appelant de manière véhémente les Etats au secours, ils l’ont en partie fait. Les autorités vont-elles facilement lâcher leur pouvoir retrouvé lorsque les incertitudes s’atténueront? Les banques centrales pourront-elles conserver une indépendance âprement gagnée dans les années 1980 et vivement défendue plus récemment? Quelle sera leur marge de manœuvre pour normaliser leur politique monétaire lorsque la croissance décollera et que l’inflation ne sera plus aux abonnés absents, ceci alors que les finances publiques se sont fortement dégradées, que l’endettement a fortement augmenté et que des entreprises «zombies» ne survivent que grâce à des taux très bas?

De belles échéances en perspective pour les économistes, les politiciens, les investisseurs, les chefs d’entreprise ou les banquiers centraux et pour tout un chacun dans un monde plus fébrile où la distanciation spatiale a pris temporairement le pas sur la sauvegarde de la planète.

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