«Sur le fil du rasoir»

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

2 minutes de lecture

La prévision de croissance globale du PIB est aux alentours de 2% pour 2023, une zone de calage en cas de nouveau choc négatif.   

Un choc géopolitique majeur, une inflation au plus haut depuis quarante ans, un resserrement monétaire inédit, le moteur de croissance chinois qui cale. On a connu des années débutant sous de meilleurs auspices. Ces facteurs négatifs peuvent-ils encore s’intensifier ou bien a-t-on passé le pic d’anxiété? La guerre en Ukraine n’a plus le même potentiel disruptif, notamment en matière énergétique. La désinflation mondiale est bien engagée au niveau des prix de matières premières et de biens manufacturés. Le retournement de l’inflation dans les services est plus incertain. Si les banques centrales n’ont pas la certitude d’avoir vaincu l’inflation, du moins ont-elles la satisfaction de voir que les anticipations d’inflation à moyen terme restent ancrées. Le resserrement monétaire va se poursuivre dans les prochains mois mais le plus gros du chemin est parcouru. La Fed est plus proche du terme que la BCE, car le recul de l’inflation est plus avancé aux Etats-Unis qu’en Europe. Pour autant, rien dans les propos émanant de la Fed ne laisse espérer un assouplissement aussi rapide que ce que les marchés espèrent. Quant à la Chine, elle vient d’abandonner sa politique zéro-Covid. C’est un pari risqué qui ne saurait faire disparaître les déboires du secteur immobilier, mais permettra sans doute un rattrapage ponctuel de la demande. Le revers de la médaille est le risque de nouvelles tensions de prix sur les marchés mondiaux. On ne saurait gagner sur tous les tableaux.

L’héritage de 2022

Que retiendra-t-on de 2022? L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février est l’événement qui vient de suite à l’esprit. Il a en effet bouleversé de nombreux marchés de matières premières, au premier chef l’énergie, modifiant de manière significative les conditions d’activité économique et l’inflation. Les banques centrales avaient commencé à durcir le ton et à préparer la sortie de leur politique de taux bas avant cette guerre, mais incontestablement, ce choc d’offre, s’empilant au choc causé par la pandémie, les a incitées à accélérer le resserrement de leur politique monétaire. 2022 restera donc dans les annales d’histoire moderne comme la phase de hausse des taux directeurs la plus rapide jamais menée simultanément dans tant de pays. 2022 est aussi l’année où, pour la première fois depuis la modernisation engagée par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, la croissance de l’économie chinoise aura été plus faible que celle du reste du monde. En somme, un choc géopolitique de première grandeur, une poussée d’inflation hors normes, un resserrement monétaire inédit, un des moteurs de la croissance mondiale qui cale.

Les perspectives de politique monétaire doivent faire la part de ces divers éléments ne poussant pas tous dans la même direction.

Dans un environnement aussi difficile, les prévisions de croissance ne sauraient être positives. Toutefois, à la différence de la pandémie qui avait stoppé la production et les échanges presque du jour au lendemain, il n’y a pas eu de cassure soudaine cette fois-ci, plutôt une dégradation continue. A l’échelon global, le taux de croissance du PIB réel est passé selon les estimations de 4,8% sur un an à la fin 2021 à 1,5% à la fin 2022, soit une moyenne d’environ 3%. La prévision est au voisinage de 2% pour 2023, ce qui est typiquement une zone de calage en cas de nouveau choc négatif. On reprend volontiers l’expression de la Banque Mondiale décrivant l’économie mondiale «sur le fil du rasoir».

Un ballon d’oxygène

Le cas de la Chine est particulier. L’an dernier, l’économie s’est affaiblie à cause de la purge du secteur immobilier et, circonstance aggravante, à cause de sévères contraintes sanitaires. Sans préparatifs d’aucune sorte, les autorités viennent d’abandonner la politique zéro-Covid, faisant le pari que les désavantages de la circulation du virus (coût en vies humaines, perturbations de la production) seront rapidement dominés par les avantages de la reprise économique (rebond de la demande et des échanges, baisse du chômage). Quel est le potentiel de rebond? Le PIB chinois est 1,5 point sous sa tendance et que l’écart est de 5 points pour la consommation domestique. La levée des restrictions à la mobilité sera un ballon d’oxygène, mais non un moteur durable de réaccélération tant les déboires du secteur de la construction ne sont pas près de s’arrêter. Les pays voisins en Asie seront les plus à même d’en retirer un surcroît de demande. L’effet sur la croissance globale paraît plus incertain, d’autant que la réouverture de la Chine peut aussi avoir des effets induits moins plaisants. Le pays représente un tel poids dans la demande de métaux ou de produits énergétiques qu’un rebond de sa consommation pourrait raviver des pressions de prix, à rebours de ce que tout le monde peut souhaiter.

Les perspectives de politique monétaire doivent faire la part de ces divers éléments ne poussant pas tous dans la même direction. L’affaiblissement des conditions d’activité invite à ralentir les hausses de taux. A l’opposé, la résilience de l’emploi pousse à durcir plus avant. Aux Etats-Unis, où la politique monétaire est déjà restrictive, la fin du resserrement semble proche, avant un statu quo prolongé. En zone euro, avec une inflation toujours élevée et persistante, le potentiel de resserrement s’annonce plus fort et plus durable, de quoi favoriser un affermissement de l’euro.

A lire aussi...