«Italia, Italia, Italia»

Martin Neff, Raiffeisen

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Tous les regards sont tournés vers l’Italie même si elle ne participe pas à la Coupe du monde de football. L’ours italien n’est pas hors-jeu.

La Squadra Azzurra ne pourra pas enchanter le monde à partir du 14 juin et les Tifosi n’auront pas l’occasion de scander «Italia» à tue-tête. Il n’empêche que deux semaines avant le coup d’envoi de la Coupe du monde de football en Russie tous les regards sont tournés vers l’Italie. Car ce qui s’y déroule dépasse tout ce que nous avons connu jusqu’à présent et ce n’est pas rien dans un pays qui a toujours été un peu différent et qui tente désormais de former son 67e gouvernement en quelque 70 ans. Espérons qu’il retrouve ne serait-ce qu’un peu la raison. A défaut, la menace de l’ours italien qui n’a pas disparu d’Italie pèsera sur les marchés.

Le taureau écrase tout ce qui se met en travers de son chemin. Cela décrit assez bien la situation en bourse ces dernières années. Les marchés sont restés haussiers, malgré tous les obstacles géopolitiques ou économiques qu’il a fallu surmonter. Qu’il s’agisse de la crise grecque à plusieurs reprises, de l’attentisme et de la débrouillardise de l’UE, de la gestion du temps par la BCE, du conflit en Ukraine ou du tsunami au Japon avec la catastrophe majeure de Fukushima, rien n’a pu freiner le taureau. Et même les récentes incertitudes ont été balayées: l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis ou la super année électorale 2017 qui avait attisé les craintes de voir l’Europe basculer dans le populisme ou encore les démonstrations de force de la Corée du Nord. 

Même la normalisation hésitante de la politique monétaire aux Etats-Unis n’a pas mis un terme à la progression des marchés. Le vent a toutefois semblé tourner en début d’année. A ce jour, l’année 2018 n’a de toute façon pas été bonne pour les investisseurs. La volatilité qui permet de mesurer la nervosité des marchés a fait un impressionnant retour en février. Or c’est précisément dans ce contexte de grande fragilité que s’annonce un autre désagrément. Les marchés vont d’abord devoir digérer le fait que l’Italie n’est pas la Grèce. Et cela peut prendre du temps, voire nous occuper toute l’année.

Tout bien pesé, on préfère encore le Bunga bunga 

Le temps nécessaire à la formation d’un gouvernement en Allemagne constituait une nouveauté pour tous ceux pour qui l’Allemagne est l’incarnation de la stabilité. Il n’a certainement pas profité à l’image du pays. Mais les marchés n’ont pas trop réagi et ont fait preuve de patience, confiants dans la capacité de l’Allemagne à ne pas dévier de son cap en cas de crise. Sans oublier la présence d’Angela Merkel, certes ennuyeuse, mais ô combien rassurante. L’Italie n’aurait pas non plus préoccupé les marchés financiers, d’autant que la formation d’un gouvernement y demande généralement du temps, comme chacun sait. 

Or, à présent, tous les yeux sont rivés sur notre voisin méridional et ce à juste titre. Car l’Italie est parfaitement capable de déstabiliser la zone euro. Ceux qui s’amusaient encore il y a quelques mois des promesses électorales totalement irréalistes et donc relativement ignorées de la Ligue et du mouvement 5 étoiles doivent à présent admettre avec stupeur que Messieurs Luigi di Maio (5 étoiles) et Matteo Salvini (Ligue) ne plaisantent pas. Les Italiens sont en effet nombreux à penser désormais, qu’il est en effet préférable d’avoir «Il Cavaliere» Silvio Berlusconi qui s’attelle déjà sérieusement en coulisses à son retour politique. Malgré sa réputation sulfureuse, celui-ci a même réussi à survivre au Rubygate. Et au moins, il n’a pas tenu ses promesses. Contrairement à Di Maio et Salvini qui persistent à promettre une baisse des impôts, une augmentation des dépenses, l’introduction d’un revenu minimum et de ne pas toucher aux retraites.

Le règne de l’émotion 

Le contrat de coalition qui n’en est sans doute qu’à sa première version souligne que l’Italie semble encore très éloignée d’un dernier recours. Les deux partis y exposent leurs idées pour qu’un pays dont la dette publique dépasse 130% du PIB (seule la Grèce fait pire en Europe) dépense de l’argent qu’il ne possède même pas. Et ces idées sont relativement simples. Ce serait aux autres Européens de payer. La BCE n’a qu’à amortir les 250 milliards d’emprunts d’Etat italiens qu’elle a acquis dans le cadre de l’assouplissement quantitatif et l’Italie retrouverait un bol d’air ont ainsi imaginé les deux alliés. 

Entre-temps, Salvini a certes fait marche arrière, ayant probablement été informé que les banques nationales étaient responsables de leurs emprunts rachetés par la BCE. Et comme la Banque centrale italienne appartient à l’Etat italien, la dette devrait in fine être assumée par les contribuables italiens. Mais ce n’est pas pour autant que les promesses ont été balayées, aussi irréalistes soient-elles. Elles permettent en effet de maintenir les émotions à un niveau positif, du moins en Italie. Actuellement, l’heure n’est de toute façon pas à la raison en Italie.

Tout ou rien? 

Il ne fait aucun doute que ceux qui remportent les élections doivent tenir leurs promesses, du moins en partie, et qu’il sera dès lors difficile de les faire changer de cap. Tout cela débouche au final sur un chantage. Car l’Italie est à la fois un pilier et une référence pour l’intégration européenne. Contrairement à la Grèce, l’Italie est «too big to fail» pour la zone euro, d’autant qu’elle est l’un des membres fondateurs de la Communauté économique européenne et qu’elle peut s’enorgueillir d’une longue tradition pro-européenne. Les nouveaux maîtres du pays semblent mettre cela délibérément dans la balance, car ils devraient savoir eux aussi que la facture de leur promesse ferait voler en éclat n’importe quel cadre. Le déficit de l’Etat italien qui vient tout juste de se remettre plus ou moins d’aplomb à 2,3% du PIB grimperait sans doute à 7% environ, si le gouvernement italien passait aux actes et appliquait les promesses de la coalition. Ce serait à n’en pas douter la fin du pacte de stabilité de Maastricht, qui en est certes déjà réduit au rang de farce, mais qui a encore officiellement cours. 

Et qu’adviendrait-il des dettes italiennes à hauteur de 2,3 billions d’euros, dont un tiers environ est détenu par des investisseurs étrangers? Et il n’est pas non plus possible de sauver l’Italie par le biais du mécanisme européen de stabilité (MES) comme ce fut le cas pour la Grèce, car le pays doit rembourser quelque 200 milliards d’euros de dettes chaque année et donc lever une somme équivalente. Or le MES lui-même ne dispose que de réserves d’environ 400 milliards. Pas étonnant donc que l’on ne parle qu’à mots couverts de l’Italie à Bruxelles, contrairement au ton adopté face à la Grèce autrefois. Nous verrons bien comment la situation va évoluer dans les prochaines semaines. Mais le drame italien durera plus longtemps que le grec et de nouvelles élections ne suffiront sans doute pas à le faire disparaître. Mario Draghi a acheté beaucoup de temps à son pays et à la zone euro. Ceux qui chuchotent actuellement à Bruxelles pourraient à présent favoriser une certaine détente, car l’Italie ne retrouvera sans doute pas la raison. Malheureusement, ils sont trop préoccupés par leurs propres soucis nationaux. L’épreuve de force a débuté. Il ne fait aucun doute que l’été sera chaud en Europe. Et, comme je le laissais entendre ici la semaine dernière, ce sera une nouvelle fois à nous en Suisse d’en faire les frais. Désormais, le franc est redescendu sous le seuil de 1,15 face à l’euro.

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