Panneau à affichage variable

Martin Neff, Raiffeisen

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La vague de déréglementation touche à sa fin et l’ère de la «dé-déréglementation» semble voir le jour.

Cela fait bien quarante ans que je suis titulaire d’un permis de conduire et je fais ainsi partie des grands voyageurs qui parcourent plus de 20’000 kilomètres par an en voiture. Je dispose ainsi d’une série relativement longue d’observations qui attestent d’ailleurs clairement certaines affirmations que je vais faire par la suite. Mais je voudrais anticiper d’emblée la principale conclusion. Les règles de la circulation routière sont de moins en moins respectées, l’attention au volant décline et notamment quand il y a beaucoup de trafic comme c’est presque toujours le cas aujourd’hui, nos rues font de plus en plus penser au Far-West. Tout cela engendre des coûts économiques élevés qu’il faudrait en principe internaliser. 

Si je suis mal garé à Zurich ou si je n’alimente pas le parcmètre, je dois vraiment avoir beaucoup de chance pour ne pas trouver une amende sous mon balai d’essuie-glace après deux heures. Dans d’autres villes aussi, les forces de l’ordre distribuent des amendes de stationnement à tour de bras. Celui qui ne paye pas finit par payer davantage, les règles sont ainsi faites. Je dirais que les amendes de stationnement sont une activité extrêmement lucrative. Il ne fait aucun doute que les forces de l’ordre travaillent nettement en dessous des coûts de revient dans la plupart des villes, même si personne n’en parle. C’est également un secret de polichinelle que certaines communes ont déjà réussi à stabiliser leurs finances en accroissant le volume des amendes. Il suffit déjà d’un ou deux radars automatiques pour permettre à une petite commune de pallier certaines difficultés financières. Cela peut en heurter certains, mais cela reste correct. Car celui qui respecte les règles en vigueur ne risque pas de se voir infliger une amende. 

Les règles ne sont pas toujours équivalentes 

La hiérarchie entre les règles peut toutefois heurter. En d’autres termes, certaines règles sont davantage respectées ou sanctionnées que d’autres. Il y a sans doute une relation de cause à effet qui veut que les règles sont d’autant plus suivies que le risque est grand de devoir répondre d’une infraction. A Zurich, je peux par exemple circuler toute la journée sans mettre une seule fois mon clignotant et sans risquer une amende. Plus d’une fois, j’ai observé une voiture de police tourner juste devant ou derrière moi sans mettre son clignotant. Même les élèves conducteurs tournent allègrement à gauche ou à droite sans mettre leur clignotant. Comme personne ne risque d’amende pour défaut de clignotant, la plupart des gens s’en passent tout simplement. Le défaut de clignotant est considéré comme une peccadille, tout comme de nombreuses autres infractions aux règles. Par exemp¬le le fait de rouler systématiquement sur la file de gauche de l’autoroute ou d’ignorer le passage au vert à un carrefour pour cause d’inattention, généralement due au smartphone. Ce ne sont évidemment pas des délits graves, mais il s’agit malgré tout d’infractions aux règles. La logique est alors très simple. Les règles sont progressivement invalidées, lorsque les infractions ne sont pas sanctionnées. On peut donc les supprimer d’emblée. Ce sera par exemple bientôt le cas pour les cyclistes qui tournent à droite au feu rouge.

«Dé-déréglementation»

L’économie s’accommode également mal des règles. La déréglementation est le premier couplet dans le canon de tous les libéraux, qui veut qu’il y ait le moins de règles possible, conformément à la devise selon laquelle le marché se régule de préférence lui-même. Mais malheureusement, le marché ne fonctionne pas toujours de manière à instaurer l’équilibre souhaité. C’est alors qu’interviennent l’Etat et la réglementation. Dans l’industrie automobile qui aime se décrire comme particulièrement innovante et compétitive, il y a apparemment eu des ententes qui ont fina¬lement permis de contourner la concurrence. Il en va de même dans le secteur des ascenseurs ou dans l’industrie pharmaceutique. Un cartel qui n’était pas sans rappeler les pratiques de la fin des années 1980 a récemment été démantelé dans le secteur du bâtiment. 

Dans le secteur bancaire international, il ne se passe gère une semaine sans qu’une action judiciaire ne soit engagée contre une banque quelque part dans le monde. Les règles sont mises à rude épreuve dans de nombreux secteurs de l’économie. L’afflux de nouvelles réglementations, notamment dans le secteur bancaire est le résultat d’une longue pratique commerciale qui n’a pas toujours pris les règles au sérieux. La menace est similaire pour le secteur du bâtiment. L’industrie automobile, l’enfant chéri de l’Allemagne, devrait elle aussi davantage marcher à la baguette. Le commerce mondial risque d’être entravé par des barrières commerciales ou des droits de douane et la règlementation pourrait également se durcir dans ce domaine. Le secteur de l’Internet risque à son tour d’être confronté à une avalanche réglementaire qu’il a lui-même provoquée pour l’essentiel. Trop longtemps, il s’est senti en sécurité face à un vide juridique et a ainsi développé son pouvoir de marché sans aucun complexe. Au point que plus personne n’oserait aujourd’hui affirmer que la concurrence fait rage dans ce secteur. La vague de déréglementation touche en tous cas à sa fin et l’ère de la «dé-déréglementation» semble voir le jour. Car le marché dysfonctionne autant que la circulation. Il est difficile d’y remettre de l’ordre et il faudra avancer pas à pas. Peut-être commencerons-nous par des amendes pour défaut de clignotant? Cela reste encore un principe sur les panneaux à affichage variable des autoroutes: mettre le clignotant à chaque changement de voie.

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