Une performance habile

Martin Neff, Raiffeisen

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Les marchés ont des attentes et si elles ne sont pas satisfaites, leurs réactions sont imprévisibles. Il n’en va pas autrement à l’ère numérique et c’est même pire.

C’est parfois un peu gênant de voir à quel point les marchés, les observateurs, les analystes et les médias sont prévisibles et cherchent néanmoins à se donner de l’importance. Il est pourtant question de beaucoup d’argent sur les marchés financiers et c’est généralement là que la plaisanterie s’arrête. Ce sont souvent des broutilles qui agitent les marchés. Ce fut par exemple le cas du «mini-krach» des bourses américaines fin janvier/début février de cette année, lorsque les données du marché du travail aux Etats-Unis ont provoqué une correction totalement exagérée des cours, parce que des craintes concernant les taux d’intérêt (quelle exagération!) se sont subitement fait jour. C’est du moins ce qu’ont affirmé les interprètes du marché et les médias financiers. 

Or la mécanique est presque toujours la même. Les soi-disant «marchés» ont des attentes (pour ne pas dire qu’ils spéculent) et si elles ne sont pas satisfaites, leurs réactions sont imprévisibles. Il n’en va pas autrement à l’ère numérique et c’est même pire. Car aujourd’hui, tout le monde peut en fait présenter son opinion à la face du monde en un rien de temps. 

Le seuil des 3% pour les emprunts d’Etat américains à 10 ans
est subitement considéré comme un couperet potentiel.

Scénario de Boucles d’or ou pas, l’année 2018 tarde à prendre forme sur les marchés. Ainsi que je l’ai déjà expliqué précédemment dans cette chronique, cela s’explique sans doute par le fait que ce scénario a déjà depuis longtemps été pris en compte par les marchés. En 2016 et 2017, la performance des marchés des actions était bonne. Mais maintenant que Boucles d’or est enfin arrivée, les premières craintes commencent à se manifester. Elles ont beau ne pas être totalement infondées, elles n’en restent pas moins exagérées. Mais dans le sens d’une prophétie auto-réalisatrice, on ne peut pas exclure qu’il y ait finalement eu de la déception, parce que des attentes exagérées et les réactions excessives qui en ont découlé engendreront des turbulences sur les marchés financiers, qui couperont l’herbe sous le pied de l’économie réelle, comme en 2002 ou 2007. Les plus sceptiques sont déjà en marche. Leurs justifications sont aventureuses, pour ne pas dire scandaleuses. Le seuil des 3% pour les emprunts d’Etat américains à dix ans est subitement considéré comme un couperet potentiel. A l’inverse, nombreux sont ceux qui considèrent le cours de 1,20 franc pour un euro comme une barrière psychologique qui nous assure le salut. On peut penser que la psychologie de ceux qui fixent de tels seuils est finalement plus importante que le seuil lui-même. 

Pas toujours le même schéma 

Comme chacun sait, nous vivons à une époque où les taux d’intérêt sont historiquement bas, en Suisse nous sommes même à l’ère du taux zéro, et c’est pratiquement la première fois dans l’histoire de l’économie. Les marchés n’ont aucune expérience en la matière. La théorie économique ne possède aucun modèle susceptible de classer les nouveaux phénomènes tels que l’assouplissement quantitatif ou les taux négatifs en fonction de leur efficacité. Les exégètes n’en ressortent pas moins les mêmes arguments que lors des cycles précédents, lorsqu’il s’agit d’expliquer la situation sur les marchés. Les craintes concernant les taux d’intérêt servent presque toujours à interpréter l’évolution du marché quand les autres arguments font défaut. Elles ont pourtant aussi leurs bons côtés, à condition d’être justifiées et non exagérées. Car cela veut dire que l’économie suit son cours. Elle le suit même tellement que les prix des marchandises remontent et que l’inflation s’accélère. 

Les craintes concernant les taux d’intérêt sont donc plutôt la peur d’une économie monétaire qui pourrait perdre le contrôle de la situation. Soit parce qu’elle bloque la reprise trop tôt, soit parce qu’elle réagit trop tard, au risque de laisser l’inflation s’envoler. Comme ce fut presque toujours le cas par le passé. Aujourd’hui, de nombreux acteurs du marché sont sceptiques quant à l’aplanissement de la courbe des taux aux Etats-Unis et l’interprètent comme le signe avant-coureur d’une prochaine récession. Leur argument: ce fut déjà le cas en 2007 et d’autres récessions ont également été précédées d’un aplanissement de la courbe des taux. Pour le dire simplement, on recherche des analogies pour expliquer ce qui est imprévisible, une démarche pratiquement vouée à l’échec. Les météorologues sont confrontés au même problème. Les analogies historiques ne permettent simplement pas d’expliquer des phénomènes climatiques sans cesse nouveaux, ce qui complique les prévisions. 

Sex sells 

Et pourtant, les prévisions météorologiques sont suivies aussi religieusement que celles portant sur des titres individuels ou des marchés. L’Investment Lab Heilbronn en Allemagne, qui collabore d’ailleurs aussi avec l’EPF dans le domaine de la recherche, vient de présenter un phénomène très intéressant. Selon les auteurs d’une étude de l’institut, il existe notamment une relation beaucoup plus forte que prévu entre les prévisions de cours de certaines valeurs boursières et la personnalité du patron de l’entreprise. Les dirigeants charismatiques et extravertis ont beaucoup plus de succès auprès des analystes financiers que les personnalités grincheuses ou plutôt introverties. Cet état de fait leur est bien sûr profitable, puisque la recommandation des analystes est plutôt bienveillante. 

L’introversion ne convient donc pas aux investisseurs.

Steve Jobs était un brillant exemple de la manière dont le succès se commercialise vraiment. Mais ce n’est encore pas tout. La personnalité de l’analyste joue également un rôle dans les recommandations de titres. Plus sa propre personnalité est proche de celle du patron de la société à analyser, plus son appréciation des perspectives de ladite société est bonne. Il m’est souvent arrivé d’observer personnellement l’enthousiasme avec lequel certains de mes collègues revenaient de conférences de présentation aux analystes ou de présentation du bilan et s’émerveillaient des votes et de la personnalité de la direction. L’introversion ne convient donc pas aux investisseurs. Les prévisions de cours sont de toute façon une question de chance et il est déjà assez surprenant de voir combien de personnes s’y fient. Je ne suis donc pas surpris que ces prévisions s’humanisent de surcroît. N’oublions pas que les analystes financiers ne sont finalement que des vendeurs et nous savons tous: Sex sells.

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