Les Etats-Unis et l’Europe éviteront une récession, mais l’inflation ne baissera que lentement, selon Patrick Artus, de Natixis.
Patrick Artus, directeur de la recherche de Natixis, est l’un des économistes les plus connus, en raison de ses essais et chroniques dans les médias de référence. L’an dernier, il a par exemple publié Les nouvelles politiques monétaires et l’année précédente, avec Marie-Paule Virard, La dernière chance du capitalisme. Il répond aux questions d’Allnews sur ses perspectives économiques.
L’environnement sera effectivement plus inflationniste. L’effet de la transition énergétique ajoutera 0,7% au taux d’inflation américain et européen. Les relocalisations, encore anecdotiques, devraient aussi pousser les prix à la hausse. Enfin, le recul des gains de productivité est très inflationniste. Nous n’observons plus aucun gain de productivité, ni en Europe ni aux Etats-Unis. Au total, l’inflation structurelle passera de 2% à 3,5% aux Etats-Unis et de 1% à 2-3% dans la zone euro ces dix prochaines années.
Une hausse de l’inflation structurelle n’est pas une bonne nouvelle. Elle renchérit la dette publique et relance le débat sur l’indexation des salaires aux prix.
Cette hausse des prix peut inciter les banques centrales à changer leur objectif d’inflation. En Europe, si le renchérissement reste à 3%, la Banque centrale européenne sera condamnée à rester durablement restrictive au cas où elle maintiendrait un objectif de 2%.
Il ne faut pas sous-estimer les difficultés liées à un changement d’objectif. En cas de relèvement, il faudra réintroduire une indexation des salaires. Ce serait une mauvaise nouvelle. Et il faudrait se demander quelle serait l’acceptabilité des banques centrales au sein de la zone euro.
Le problème est moins aigu aux Etats-Unis. La Fed est plus souple à ce propos.
Cela dépend de l’évolution des taux d’intérêt réels. Je crois que nous nous dirigeons vers des tensions sur les marchés obligataires. Même si les taux courts augmentent peu, les taux longs, ceux des obligations, seront en hausse sous l’effet de la transition énergétique et des tensions sur le marché du travail.
Si les prix augmentent de 1%, les salaires sont relevés de 0,6% aux Etats-Unis et en Europe (indexation de 0,6). La baisse des gains de productivité remonte aux années 1980 dans le cadre d’un processus presque linéaire.
La baisse de la durée du travail en Europe explique un tiers du mouvement. A mon avis, le vieillissement démographique induit un recul de la productivité parce que les salariés âgés sont moins productifs.
La baisse du poids de l’industrie dans l’économie est un 2e facteur clé et l’affaiblissement du goût pour le travail le 3e.
Le cas le plus extrême est celui de la France, laquelle a perdu 3 points de gains de productivité en 3 ans pour tomber à -1% par an. C’est probablement le pays qui a le moindre goût pour le travail. A l’inverse, l’Italie est le seul pays qui présente une hausse des gains de productivité.
Avec la disparition des gains de productivité, la croissance de l’emploi correspond à celle du PIB. Il n’est donc pas possible d’accroître le chômage sans causer une récession. On ne peut pas en même temps éviter une récession et faire baisser l’inflation sous-jacente. L’atterrissage en douceur est devenu impossible.
En l’absence de gains de productivité, soit les banques centrales restent nettement plus longtemps avec une inflation sous-jacente au-dessus de leurs objectifs, et on échappe à la récession, soit elles réagissent au niveau élevé de l’inflation sous-jacente et augmentent les taux plus que prévu. A mon avis, elles accepteront que l’inflation diminue plus lentement.
Je ne m’attends à une récession ni en Europe ni aux Etats-Unis. Il faut rappeler que les Etats-Unis sont autonomes en énergie. La hausse du coût de cette dernière ne réduit donc pas le pouvoir d’achat des ménages américains.
Comme les taux d’intérêt réels restent négatifs aux Etats-Unis et dans la zone euro, la politique monétaire n’est pas restrictive. La politique budgétaire américaine ne l’est pas davantage. Les bénéfices des entreprises sont assez élevés pour permettre une poursuite de l’investissement.
Le seul facteur qui freine l’économie américaine est celui de l’achat de logements, compte tenu de la hausse des taux hypothécaires. L’immobilier résidentiel américain ne dépasse toutefois pas 5% du PIB.
La croissance sera plus lente mais positive tant aux Etats-Unis qu’en Europe, sauf si les banques centrales devenaient beaucoup plus restrictives. Ce n’est pas mon scénario. La Fed indique que le taux directeur marquant la fin de la hausse sera vers 5,5%. Celui de la BCE devrait approcher 4%. Si l’on ajoute la reprise chinoise, et si aucun choc géopolitique ne survient, je ne vois pas de cause possible à une récession en 2023.
Les taux d’intérêt réels augmenteront parce que l’équilibre entre l’épargne et l’investissement va se déformer vers un besoin supplémentaire d’investissement. Pour la transition énergétique uniquement, il faut investir 4,5% du PIB et nous n’en sommes qu’à 2%. Il était convenu jusqu’ici que nous avions un excédent d’épargne, ce qui était la cause de taux d’intérêt réels très bas. Nous pourrions passer à un déficit d’épargne pour financer l’investissement. Ce basculement provoquerait une hausse des taux réels. Un tel événement n’est pas favorable aux actions. Je ne suis pas sûr que la bourse valorise ce phénomène. Le marché du non coté (private Equity et dette privée) l’a encore moins pris en compte.
Les obligations d’entreprises de bonne qualité (IG) sont attrayantes, davantage que les titres à haut rendement (HY). Pour les actions, mieux vaut attendre. Le marché se redresse dans les six mois qui suivent la stabilisation des taux d’intérêt par la Réserve fédérale. Si le pic des taux intervient en février ou mars, on pourra racheter le marché des actions dès le milieu de l’année. Le rallye actuel me paraît très prématuré. Je m’attends à une correction à court terme.