Retour à la moyenne

Nicolette de Joncaire

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Tant que les banques centrales continueront à acheter des actifs, les valorisations se maintiendront à un niveau relativement élevé. Entretien avec Daniel Morris de BNPP AM.

Si l’on exclut les mois de mars et avril 2021, les marchés actions sont montés avec régularité depuis la fin de la crise financière de 2008. Après une période de reprise soutenue, on peut s'interroger désormais au sujet de la poursuite du cycle de croissance. Inflation structurelle ou provisoire, réaction des banques centrales, inadéquation de l’offre et de la demande, flambée des matières premières, pénurie de main d’œuvre… la croissance reviendra-t-elle à sa moyenne de long terme? Comment allouer le capital? Quelques questions à Daniel Morris, responsable de la stratégie de marché chez BNP Paribas Asset Management.

Nous avons observé le plus long «bull run» de l’histoire. Est-il normal que les actions puissent ainsi continuer à monter

Cette question est souvent posée et, selon moi, elle n’a pas beaucoup de sens car les économies croissent et les marchés actions reflètent généralement l’expansion économique. Depuis 2008, ces derniers ont effectivement grimpé régulièrement tout comme l’ont fait les bénéfices des entreprises cotés. Les valorisations ont toutefois continué de croître. Le ratio cours sur bénéfices (P/E) a augmenté en raison de l’assouplissement quantitatif inauguré en 2008. Tant que les banques centrales continueront à laisser leur bilan gonfler, les valorisations maintiendront un niveau élevé.

Pas d’inquiétude sur les actions donc?

Non, pas de grande inquiétude et nous continuons à les surpondérer.

Les matières premières ont décollé, l’inflation aussi. Certains comparent cette situation avec celle des années 1970. Les situations sont-elles analogues?

Nous ne sommes pas du tout dans un scenario de stagflation comparable à celui des années 1970. J’estime même que nous en sommes très loin ! Le cours du Brent se situe actuellement autour de 85 dollars le baril ce qui n’a rien de particulièrement inquiétant. Le prix des matières va probablement continuer à augmenter – on évoque même un nouveau supercycle des matières premières – mais l’ombre de la stagflation n’est pas près d’obscurcir nos économies. Le marché est en train de trouver un nouvel équilibre, à des prix plus élevés, sans inadéquation structurelle de l’offre et de la demande et donc sans risque d’inflation comme dans les années 1970. Certes, les estimations d’inflation à 1 ou 2 ans, et même jusqu’à 5 ans, sont en hausse, mais les estimations à moyen terme sont pour la plupart revenues au niveau qu’on avait avant la crise financière de 2008. C’est la raison pour laquelle les banques centrales ne sont pas particulièrement inquiètes, bien qu’elles soient surprises par le niveau d’inflation actuel.

 Pour l’instant, les «dot plot» de la Fed montrent des divergences de point de vue entre les membres du comité de politique monétaire.
Quid de l’adéquation entre demande et offre justement?

Pour qu’il y ait inflation, il faut de la demande. Le niveau d’épargne étant élevé, la demande devrait rester forte. Mais il est exact que, du côté de l’offre, on constate des goulets d’étranglement dans certains secteurs de production et des pénuries de main d’œuvre sur certains types de services (les chauffeurs de camion anglais dont on a beaucoup parlé en sont un exemple). Et puis le taux de participation au marché du travail n’a pas rebondi comme attendu à la fin des périodes de confinement. Vous savez, le monde évolue vite. Il y a deux ans on pensait qu’il n’y aurait pas assez de travail – à cause de la montée en puissance de l’intelligence artificielle et des robots - aujourd’hui il n’est question que de pénurie de main d’œuvre. La réalité est toujours plus complexe qu’on ne l’imagine: certaines tâches seront automatisées et on trouvera un nouvel équilibre avec une autre manière de faire les choses.

Compte tenu des mesures déjà existantes, en cas de nouvelle crise, que pourraient faire les banques centrales?

Elles ont su faire face à la crise de la Covid-19 et ont encore d’autres outils à disposition. Mais ce sera plus difficile en Europe parce que la marge de manœuvre y est plus restreinte.

Qu’attendre des profits d’entreprise?

C’est effectivement le paramètre le plus important pour anticiper les marchés actions. En résumé, les bénéfices d’entreprise continuent de croître. Même si la croissance annuelle au 3e trimestre est inférieure à celle du deuxième, la hausse par rapport au troisième trimestre de 2020 est de l’ordre de 30%. Les prix suivront.

Quelles entreprises seront les plus résilientes selon les différents scenarii possibles?

En cas de hausse des prix des inputs (salaires, matières premières), les secteurs les plus résistants devraient être ceux qui ont de fortes marges et peuvent imposer leurs prix: la tech avec ses marges de l’ordre de 30%, le secteur des matériaux et celui des équipements industriels. Par contre, dans ce scenario, sont à risque les soins de santé et les biens de consommation courante dont les marges sont modestes et l’élasticité de la demande faible. Quand et si la tendance inflationniste se renverse, ce sont ces derniers qui en bénéficieront.

Quel avenir pour les obligations?

Les taux continueront à monter. A quelle vitesse? Jusqu’où? Encore difficile à prédire. Et puis juge-t-on sur les attentes d’inflation ou sur les taux réels? La hausse des taux viendra des deux. Si le prix de l’énergie augmente, les prix agricoles augmenteront aussi et les attentes d’inflation s’accentueront. Les taux réels, eux, sont faibles à cause de l’assouplissement quantitatif. Mais la Fed pourrait être plus agressive ce qui se reflètera sur les taux réels (qui pour l’instant ont légèrement baissé). Une hausse des taux aurait un effet négatif sur la croissance et donc sur le marché du travail ce qui tempère la banque centrale américaine. Pour l’instant, les «dot plot» de la Fed montrent des divergences de point de vue entre les membres du comité de politique monétaire, entre qui privilégie l’inflation et qui privilégie le marché du travail. Pour en revenir plus directement à votre question, nous préférons sous-pondérer les obligations et leur préférons le crédit et la dette émergente souveraine.

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