Privilégier les actions asiatiques

Emmanuel Garessus

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Aux Etats-Unis, Patrick Zweifel, de Pictet, privilégie les obligations aux actions. Dans les actions, cap sur l’Asie.

Patrick Zweifel, chef économiste de Pictet Asset Management depuis 14 ans, explique pourquoi le cycle actuel se distingue des autres. Il répond aux questions d’Allnews sur sa politique d’investissement:

Est-ce que vous prévoyez une récession aux Etats-Unis?

La récession américaine sera renvoyée à une date ultérieure. Nous pensons qu’elle n’interviendra pas avant la fin de 2024. Ce cycle comporte deux facteurs qui le distinguent des précédents.

Quels sont ces deux facteurs?

L’entrée dans la phase de resserrement monétaire s’est produite avec un excès d’épargne très significatif aux Etats-Unis et résultant des transferts financiers de la période covid. Les ménages ont déjà utilisé 800 milliards d’une épargne qui a cumulé à 2,3 trillions pour maintenir leur consommation. Ils sont donc moins sensibles à la hausse des taux d’intérêt et de l’inflation. Dans l’histoire, les ménages entraient en période de resserrement fragilisés par un niveau d’épargne inférieur à la moyenne.

Le rythme de consommation devrait ralentir, mais sans se traduire par une récession.

Deuxième élément différenciant: l’entrée dans cette période de resserrement s’est produite sans que le privé soit excessivement endetté. Les taux d’intérêt augmentent mais le service de dette part d’un bas niveau et pourra être absorbé sans trop de douleur.  Ni les ménages ni les entreprises ne seront en situation de vendeurs forcés.

L’immobilier risque-t-il de remettre cette prévision en question?

Le principal catalyseur de 7 des 10 dernières récessions a été l’immobilier résidentiel. Ce secteur a connu son pic en mars 2021. Les investissements résidentiels ont ensuite reculé de 20%. Cette diminution correspond à la moyenne des 7 cycles de contraction. La consommation est donc aujourd’hui largement plus solide que lors des cycles précédents.

J’ajouterai que la vigueur du marché de l’emploi est aussi une caractéristique du cycle actuel susceptible de soutenir la consommation. Les emplois sont en hausse de 8% depuis 2021 alors qu’ils devraient être stables sur une base historique.

Les liquidités issues de la banque centrale ou du système bancaire qui excèdent les besoins courants, ce que l’on appelle les excès de liquidités, sont très défavorables aux investissements américains.

Les marchés de taux obligataires incorporent dans leurs prix un ralentissement sévère lors de la 2e partie de l’année ainsi qu’une diminution du taux directeur. Nous ne prévoyons pas ce dernier élément. Les taux de la Fed resteront plus hauts et plus longtemps.

Ce tableau macroéconomique semble vous amener à une politique de placement moins défensive. Mais quelles conséquences tirez-vous de la baisse des agrégats monétaires américains?

Ce scénario pourrait paraître favorable aux actifs risqués, mais tel n’est pas le cas. La croissance américaine sera de 1% en 2023 et ne résultera que d’un effet de base. Elle ne dépassera pas 0,9% en 2024. L’environnement sera récessionniste, avec une hausse du PIB inférieure à celui du potentiel de croissance (2%). Il conduit à privilégier les obligations souveraines plutôt que les obligations d’entreprises et les actifs risqués.

Les liquidités issues de la banque centrale ou du système bancaire qui excèdent les besoins courants, ce que l’on appelle les excès de liquidités, sont très défavorables aux investissements américains. Cet argument plaide en faveur d’une contraction du multiple des bénéfices à un moment où les profits soutiendront peu les marchés.

Les liquidités globales ne sont-elles mieux orientées?

Effectivement. Le Japon est par exemple plus expansif, avec des injections de liquidités significatives de la part de la banque centrale. La Chine vit la même expérience que les pays industrialisés après la pandémie. Mais elle soutient les marchés davantage à travers la croissance de l’octroi de crédits bancaires que par des injections monétaires de la banque centrale.

Comment l’investisseur peut-il obtenir un bon rendement sans prendre trop de risques?

Les banques n’ont guère augmenté les rendements sur l’épargne. Les investisseurs ont logiquement privilégié les fonds monétaires et les obligations souveraines. Cette tendance devrait se poursuivre. Dans les pays dont le resserrement monétaire est déjà avancé, mieux vaut privilégier les durations longues avec un rendement de 3,5 à 4%. Nous sommes longs sur toute la courbe de taux. Même si nous ne sommes pas très constructifs sur les actifs risqués, nous favorisons les actions émergentes, ainsi que les obligations émergentes en monnaies locales dans la perspective d’une baisse du dollar. Nous observons que 80% des rendements obligataires émergents sont supérieurs à ceux de leurs homologues américains.

Pourquoi acheter les marchés émergents?

Une hausse boursière des actions émergentes suppose de remplir différentes conditions. La première est celle d’une croissance économique supérieure au potentiel et à celle des pays industrialisés. Il faut aussi que la Chine soit en situation d’accélération conjoncturelle et que le dollar s’affaiblisse. Toutes ces conditions sont remplies. Une autre condition n’est toutefois pas satisfaite, celle d’une croissance du commerce international.

L’élément le plus à risque est le comportement du dollar. Le billet vert superforme lorsque la croissance américaine dépasse le reste du monde ou lorsque l’économie globale se porte mal. Nous sommes au milieu, avec un scénario de croissance atone.

Au sein des actions émergentes, nos préférences vont à l’Asie.

Est-ce que la cassure des actions américaines ou européennes se fera à la hausse ou à la baisse?

Le risque est davantage à la baisse. L’activité économique est toutefois plus résiliente que prévu si bien que marchés anticipent l’idée selon laquelle le pire serait passé. Si l’activité reste bonne, la cassure se ferait à la hausse, mais ce n’est pas notre scénario. La transmission de la politique monétaire est simplement décalée.  D’ici 6 à 9 mois, la croissance économique sera atone.

Est-ce qu’il y a un actif financier qui vous paraît très intéressant d’ici 3 ans?

Si je n’avais qu’un choix possible, je citerais les actions asiatiques. C’est le moteur de la croissance et du développement des marchés. Le cycle leur est aussi favorable. L’Inde est adorée des investisseurs, si bien que le multiple des bénéfices est constamment élevé. Toute l’ASEAN est intéressante.

Même sur les obligations, l’Asie est à un point du cycle intéressant. La Corée du Sud est un pays d’épargnants sans inflation qui offre des taux à 5%. Il en va de même de l’Indonésie, très orientée sur la demande intérieure et au bénéfice d’une monnaie bon marché.

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