Privilégier l’immobilier coté et les groupes miniers

Emmanuel Garessus

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Les grands indices européens, du CAC 40 au SMI, devraient s’apprécier significativement, affirme Alexandre Baradez, chez IG Bank.

Les marchés financiers sont bien orientés en 2024. Au niveau actuel des indices boursiers et des rendements obligataires, l’incertitude grandit sur les futurs mouvements de marché. Alexandre Baradez, responsable de l’analyse des marchés auprès d’IG Bank, répond aux questions d’Allnews sur ses perspectives des taux, des monnaies et des bourses:

Le sort des marchés appartient aux banquiers centraux. Qu’attendez-.vous de ces derniers en 2024?

En décembre, je partageais les projections de la Fed, avec 3 baisses de taux directeurs en 2024, alors que le consensus anticipait 6 diminutions. Après les ajustements des marchés en ce début d’année qui anticipent dorénavant 3 baisses de taux aux Etats-Unis, je ne m’écarte donc plus du consensus.

L’inflation est en baisse aux Etats-Unis (PCE Core en dessous de 3%). Le recul est freiné par l’inflation des services (80% de l’économie américaine) mais va se poursuivre. Une remontée des taux me paraît absurde dans le contexte actuel. Par ailleurs, la Chine est en déflation. Les prix du transport mondial sont en hausse à cause des événements dans la Mer rouge, mais sans comparaison avec l’envol des prix rencontré durant le covid. Et les cours des matières premières n’indiquent guère de tension.

«Le thème de l’intelligence artificielle a créé un vent de surchauffe sur un secteur technologique déjà chèrement valorisé.»

La Fed ne pourrait remettre en question la baisse des taux qu’à la suite d’une hausse des salaires (4,5%), comme la BCE d’ailleurs (proche de 5%). Plutôt que des menaces, il s’agit plutôt de freins vers le retour à la normalisation.

En Europe, la BCE devrait aussi procéder à un assouplissement, sachant que la Commission européenne a récemment révisé à la basse les prévisions de croissance pour 2024 (de 1,2% à 0,8% par la Commission). La BCE n’a nulle intention de casser l’économie. La première baisse des taux devrait probablement intervenir au deuxième trimestre, ou au plus tard au troisième trimestre.

Est-ce que la prochaine hausse des cours viendra des actions ou des obligations? Comment investir?

Depuis quelques mois, le pic des taux (et de l’inflation) étant dépassé (à 5% aux Etats-Unis), il nous paraît important de bloquer les rendements des obligations à moyen terme. Je ne vois pas de vecteur de redémarrage de l’inflation. Il est certes possible que les T.Bonds à 10 ans stagnent entre 4 et 4,5%, mais pas au-dessus.

Quel est votre avis sur les actions?

Certes, la croissance économique est plus forte aux Etats-Unis qu’en Europe, mais nous privilégions les actions européennes. Les niveaux de valorisation tels que les multiples de bénéfices (PER) sont à 25 fois aux Etats-Unis et à 15 fois sur le CAC 40 et d’autres indices européens. L’ampleur de cet écart est historique. Cette faible cherté relative et le bas niveau de l’euro plaident en faveur des actions européennes. Au pire, le risque serait une stagnation des titres et au mieux une hausse significative. Je ne peux guère m’imaginer une chute de 20 ou 30% telle qu’en 2022 après le covid. Nous sommes plutôt sur un marché haussier dans une perspective à moyen terme.

La technologie biaise les comparaisons. Quelle est votre analyse de la Big Tech?

Je m’attends à une correction de la Big Tech depuis quelque temps. Ces sociétés surprennent par leurs capacités à générer des bénéfices élevés. Mais le thème de l’intelligence artificielle a créé un vent de surchauffe sur un secteur technologique déjà chèrement valorisé. Je ne constate pas des excès semblables à ceux de la fin des années 1990, mais j’observe une claire surévaluation et des comportements moutonniers. Le marché paie beaucoup et tout de suite, comme en 2000, dans l’attente d’un processus d’écrémage qui fera émerger les valeurs les plus solides.

«L’once d’or pourrait atteindre 2500 dollars d’ici 12 à 18 mois.»

L’analyste est confronté à un défi. Nvidia présente une performance étonnante en raison de la puissance de ses produits. Ce groupe est le fabricant des pelles et des poches qui permettent aux géants de la tech d’implémenter les services d’IA qu’ils vendront aux entreprises et aux particulières. Cette période de monétisation n’en est qu’aux premiers balbutiements. Dans une phase de rééquipement des Data Centers d’Amazon et d’autres géants, le vendeur de pelles et de pioches gagne beaucoup d’argent. Désormais, il appartiendra à Meta, Microsoft et à d’autres de convertir ces fonds en valeur ajoutée pour eux-mêmes. Une consolidation me paraît appropriée pour la Big Tech.

A l’inverse, les petites et moyennes capitalisations américaines sous-performant depuis 3 ans et devraient se reprendre, ainsi que les stratégies «long/short». A condition bien sûr qu’aucun choc externe ne survienne.

Pouvez-vous préciser votre intérêt pour les actions européennes?

Les grands indices européens, du CAC 40 au SMI, devraient s’apprécier significativement. Je mettrais toutefois l’accent sur l’immobilier coté. Il a chuté de 50% en 2022 lors du resserrement monétaire. Un creux s’est ensuite formé. Le niveau des cours immobiliers est tombé à celui des plus bas de la crise de la zone euro. Avec la perspective d’un assouplissement monétaire et d’une plus grande disponibilité du crédit, c’est un secteur attrayant.

Quels autres secteurs vous intéressent-ils?

Le secteur des matières premières dispose d’un solide potentiel. Il est certes très hétérogène. Le secteur pétrolier et gazier a subi une baisse sensible de sa valorisation et pourrait rebondir. Plus généralement, les groupes miniers devrait repartir. La Chine devrait sortir de sa phase de stagnation et de son stress immobilier. L’activité industrielle rebondit et les indicateurs de mobilité sont également plus favorables. Les exportations allemandes sont également meilleures. Les valeurs industrielles et les titres liés aux matières premières telles que le fer, le cuivre et les commodities qui bénéficient de la transition climatique nous plaisent bien. D’ailleurs, tous les secteurs exposés au durable, comme le solaire et l’éolien, ont tellement chuté qu’une reprise est maintenant attendue.

A part dans la tech, il n’y a pas d’exagération sur les marchés.

Sur les marchés émergents, préférez-vous la Chine qui a beaucoup baissé ou l’Inde qui s’est nettement apprécié?

Je préfère investir en Chine. Le bas niveau de la valorisation chinoise est presque indécent. L’indice Hang Seng Tech, à Hongkong, se traite à 15 fois les bénéfices, contre 35 fois pour le Nasdaq. Les groupes comme Alibaba et Tencent ont souffert du durcissement réglementaire en 2021 et des restrictions américaines. Tencent a chuté de 80%. Les pertes rappellent celles de l’éclatement d’une bulle spéculative. Pékin envoie des signaux plus rassurants, invite les investisseurs étrangers à revenir, facilite l’accès à des marchés obligataires. Le problème chinois est plutôt géopolitique, notamment les relations avec la Russie. Un certain pragmatisme devrait s’installer. Je propose moins de surpondérer la Chine que de la pondérer un peu plus fortement.

Je ne vois par ailleurs aucune raison de vendre les actions indiennes ou sud-américaines. Après sa baisse, l’indice MSCI Emerging est à un niveau techniquement intéressant. La Chine devrait donner le coup de pouce nécessaire à la hausse.

Chacun craint la surenchère protectionniste entre Joe Biden et Donald Trump. Est-ce que les marchés ont digéré l’ensemble des dégâts de ce risque?

La réponse n’est pas aisée. Lorsque Donald Trump a été élu, les marchés n’ont baissé que durant quelques heures. Nous avons ensuite rencontré des records de hausse, ainsi qu’une faiblesse record de la volatilité. S’il était réélu, je ne crois pas que les marchés monteraient de même. A l’époque, les bourses avaient apprécié la relance fiscale. Aujourd’hui, avec un déficit budgétaire qui a dépassé 10% du PIB, la trajectoire budgétaire devrait privilégier une réduction du déficit. Quant à Joe Biden, j’ai l’impression qu’il ne sera pas candidat et que le camp démocrate présentera une autre personnalité.

Sur le plan des risques, l’excès de dette publique, aux Etats-Unis et en Europe, pèsera-t-il sur les marchés?

Si le recul de l’inflation et des taux d’intérêt profite à l’Europe et aux Etats-Unis, la nature des déficits publics est très différente d’une région à l’autre. Les Etats-Unis se sont endettés pour financer la réindustrialisation et la transition écologique (véhicules électriques, semi-conducteurs, santé). Cette dette a financé des investissements qui se traduiront par des recettes fiscales ultérieurement. Ce n’est pas très inquiétant. L’Europe, au contraire, s’est endettée pour financer de la consommation instantanée, à des fins sociales avant tout. Le risque de l’excès de dette est plus marqué en Europe qu’aux Etats-Unis. Mais j’observe que l’écart de rendement en Europe est en train de se resserrer, ce qui est rassurant.

Les métaux précieux semblent rebondir. Qu’en attendez-vous?

L’or et l’argent disposent d’un potentiel haussier dans la perspective de la détente des taux d’intérêt. L’once d’or pourrait atteindre 2500 dollars d’ici 12 à 18 mois.

Qu’attendez-vous du franc?

Avec le redémarrage de la Chine, l’euro devrait s’apprécier davantage que d’autres devises. Les facteurs macroéconomiques devraient davantage porter l’euro plutôt que le franc.

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