La bourse américaine s’est appréciée de 23% depuis le début de l’année (S&P 500). A la veille des élections, il importe d’évaluer la réaction possible des différentes classes d’actifs en fonction du nouveau président et de son soutien ou non au Congrès. Hervé Prettre, directeur de la recherche auprès de la Banque Edmond de Rothschild, répond aux questions d’Allnews:
Quel est votre positionnement actuel sur les actions américaines?
Nous surpondérons les actions américaines surtout du fait de la résilience du consommateur américain, de la perspective de nouvelles baisses de taux de la Fed, de la poursuite des investissements dans l’intelligence artificielle, de la nouvelle phase d’investissements informatiques et, avec Trump ou Harris, d’une capacité de déficits publics très supérieure à l’Europe. Les élections ne sont qu’un catalyseur parmi d’autres.
Est-ce que l’état des marchés financiers traduit les attentes actuelles des résultats de la présidentielle américaine?
Oui et non. Les marchés suivent les sondages et s’adaptent. Selon les derniers sondages, Kamala Harris s’imposerait dans quatre Etats pivots alors qu’il y a une semaine Donald Trump était en tête dans cinq Etats pivots. D’autres sondages ce week-end voient Trump remporter quatre Etats pivots. Le positionnement des investisseurs ne traduit pas encore une victoire totale d’un candidat.
Les marchés révèlent une corrélation assez marquée entre la popularité de Trump, les actions des banques américaines, le pétrole et la Tech américaine, alors qu’une corrélation inverse de Trump avec les titres des énergies alternatives. Les investisseurs se positionnent mais les mouvements sont faibles par rapport à l’impact des programmes respectifs.
«Lors des élections de 2016 et de 2020, l’indice S&P s’était bien comporté une semaine, un mois et trois mois après le vote».
Comment vous positionnez-vous par rapport à ces élections?
Pour l’instant, nous n’avons pas de recommandations directes en faveur de la victoire de l’un ou l’autre des candidats en raison d’un terrain trop mouvant. D’ailleurs les sondages ne sont pas forcément fiables et les écarts sont très modestes dans les Etats pivots.
Il faut aussi savoir si le futur président disposera ou non de la majorité au Congrès. La Chambre des représentants a le pouvoir budgétaire. Le Sénat peut s’y opposer. Une commission bipartite prend la décision finale. Mais la forte polarisation intervenue depuis une décennie complique la mise en place de compromis.
Si un candidat obtient une majorité absolue, on peut supposer que son programme sera mis en oeuvre, mais ces programmes sont eux-mêmes demeurés assez flous.
Avec Trump, le programme de baisses d’impôts aurait un impact positif jusqu’à 4% sur le PIB, mais cet effet positif serait réduit de 2% par la hausse des droits de douane, selon certaines projections. Il resterait un solde de +2% sur le PIB. Le scénario le plus optimiste parmi ceux publiés évoque un montant de 7,5 trillons de dollars injectés dans l’économie d’ici 2034, c’est-à-dire 750 milliards par an (3% du PIB). Le fait que le programme soit voté par le Congrès en totalité, en partie ou non aura une influence significative.
Plusieurs organismes de prévisions entrevoient donc une hausse du PIB potentiellement de 2% supplémentaire avec Trump et de 0,5 à 1% additionnel avec Harris, si les programmes sont appliqués et ce rapidement. Compte tenu des incertitudes, nous en déduisons que les élections auront un léger impact positif sur le PIB, davantage avec Trump qu’avec Harris.
Pour les marchés financiers, il apparaît que Trump soit le candidat des marchés d’actions en raison de son plus fort impact sur la croissance et Harris celle des marchés obligataires en raison d’un programme moins inflationniste.
Les élections ont ajouté de l’incertitude cette année. En résultera-t-il un soulagement et une hausse le jour du vote?
Le livre beige de la Fed a souligné l’incertitude créée par les élections et une retenue des investissements ces derniers mois. Les marchés seront donc soulagés par la levée de cette incertitude. Lors des élections de 2016 et de 2020, l’indice S&P s’était bien comporté une semaine, un mois et trois mois après le vote.
Si la situation politique est claire le 6 novembre au matin, un rallye de soulagement serait probable. Par contre, si les deux candidats se déclaraient vainqueurs, à l’image du cas Gore-Bush, une volatilité risquerait de s’emparer des marchés, jusqu’à ce que le gagnant soit clairement défini. Enfin, Trump, s’il perdait de justesse, pourrait à nouveau s’insurger contre des «élections volées», ce qui pourrait provoquer des manifestations susceptibles de créer de la volatilité.
«Nous prévoyons une croissance des bénéfices par action de 15% en 2025 pour les entreprises du S&P 500».
Pouvez-vous évaluer ce risque de volatilité, sans doute plus élevé après une année boursière très favorable?
La bourse s’est appréciée cette année pour plusieurs bonnes raisons, de la baisse des taux de la Fed à la hausse des résultats des entreprises. Il est difficile de quantifier un risque de correction. Si elle devait se produire, elle serait de courte durée et ne devrait pas modifier les autres fondamentaux. Nous pensons que si la correction devait intervenir, soit elle sera modérée, soit elle sera significative mais de courte durée. Nous ne sommes donc pas inquiets pour les actions américaines à un horizon de 2 ou 3 mois.
Quel sera l’impact sur la Big Tech?
Avec Trump, le secteur profiterait d’une baisse des impôts et d’une plus forte déréglementation, mais les fusions et acquisitions vers et depuis l’étranger seraient davantage surveillées et une guerre commerciale pourrait être intensifiée contre la Chine, notamment sur les semi conducteurs.
Avec Harris, c’est le scénario inverse, avec une hausse des impôts et de la réglementation anti-trust, mais une prolongation de la globalisation et des programmes entrepris par Joe Biden en faveur de la Tech. Dans les deux cas, les effets devraient se neutraliser.
Qu’attendez-vous des perspectives de bénéfices de sociétés en fonction des candidats?
Nous prévoyons une croissance des bénéfices par action de 15% en 2025 pour les entreprises du S&P 500. Si Trump était président et gagnait la majorité au Congrès, il pourrait faire prolonger le «Tax cuts and jobs Act» (TCJA), la loi de 2017 qui doit être reconduite. Il en résulterait une hausse des revenus disponibles des individus de 2 à 3% supplémentaires. Il faudrait aussi ajouter les effets d’une baisse d’impôts pour les entreprises (de 28 à 21%). Les petites et moyennes sociétés seraient davantage favorisées que les grandes. Sur le plan sectoriel les actions de la consommation et les financières devraient davantage profiter de cette prorogation de la TCJA.
Nos modèles indiquent que l’adoption du TCJA ferait passer la hausse des bénéfices attendue de 15% davantage vers 20% en 2025. Il est toutefois nécessaire pour ce faire que Trump ait le Congrès avec lui et que la loi soit votée très rapidement. Elle devrait plutôt doper les résultats 2026, attendus jusque-là à croitre de +10% par rapport à 2025.
Et avec Kamala Harris?
Avec l’élection de Kamala Harris, nos modèles anticipent un impact négatif de 4 à 6% sur les bénéfices, en fonction du sort du Congrès. La hausse des bénéfices serait alors environ de 10% au lieu de 15%. Mais n’oubliez pas la capacité récurrente des entreprises à dépasser les attentes. En moyenne, la surprise sur les bénéfices des entreprises du S&P 500 (entre bénéfices publiés et bénéfices attendus) est positive de 5,7% depuis 5 ans. L’élection de Harris ne devrait donc pas faire dérailler la performance des sociétés américaines.
Le rendement des Bons du Trésor américain vient de remonter. Que se passera-t-il selon le candidat élu?
Avec Kamala Harris, la Fed continuera de baisser ses taux et l’inflation de se tarir, notamment si l’immigration se poursuit au rythme actuel (1,5 million de personnes sont entrées aux USA en 2023) et participe à la modération de la croissance des bas salaires, les rendements à 10 ans pourraient ainsi repartir à la baisse.
Avec Donald Trump, le marché risque d’anticiper une moindre immigration, voire des reflux de migrants, et des hausses de droits de douane, ce qui augmenterait le coût du travail et les prix des biens respectivement donc le rendement des Bons du Trésor, au moins temporairement. La tendance baissière des rendements ne serait toutefois pas remise en question, car nous restons sur une tendance déflationniste. Précisons qu’en 2016, Donald Trump espérait certes expulser 8 millions de migrants mais il n’en a expulsé «que» environ 400 000. Car la séparation des pouvoirs fonctionne aux Etats-Unis.
«L’élection de Harris ne devrait donc pas faire dérailler la performance des sociétés américaines».
Quel serait l’effet sur les matières premières?
Le cas du pétrole est intéressant. Trump promet de ne pas pénaliser le forage par des règles environnementales. Il en résulterait une augmentation de l’offre de pétrole et une baisse du cours du baril. Mais comme le lobby du pétrole soutient Trump, lequel est proche de monarchies du Golfe, et que ces dernières n’ont pas envie d’assister à un fort recul de l’or noir, le pétrole devrait réagir négativement à une élection de Trump, mais très modérément. De plus, le pétrole de schiste américain a un seuil de rendement élevé, vers 50 à 60 dollars, ce qui décourage le forage en cas de prix trop bas.
En cas de victoire de Kamala Harris, les conséquences seraient faibles puisqu’elle entend poursuivre la politique de transition énergétique de Joe Biden.
Que pensez-vous de l’or?
Une victoire de Trump pourrait faire craindre des relations internationales plus erratiques et conduire à une poursuite de la hausse de l’or. Celle de Harris aurait moins d’impact vu qu’elle poursuivrait le cap de la politique de Biden. Néanmoins, nous pensons que de toute manière le métal jaune poursuivra sa progression en raison notamment du risque géopolitique et de la volonté de certaines banques centrales émergentes de dé-dollariser leurs réserves et de se positionner davantage sur l’or. L’impact de l’élection sera marginal.
Quel candidat serait favorable aux actifs européens et émergents?
Une victoire de Trump serait négative pour les émergents puisque l’indice MSCI émergent comprend une exposition d’environ 20% à la Chine. La menace de taxation d’au moins 60% des importations chinoises devrait pénaliser les sociétés chinoises.
Les groupes européens seraient aussi mis sous pression puisque Trump a parlé de droits de douane de 10% sur toutes les importations par les Etats-Unis de biens européens, avec par exemple un impact sur les automobiles européennes à forte exposition de ventes aux Etats-Unis.
En cas de victoire de Kamala Harris, un rebond de soulagement pourrait se produire en l’absence de perspectives de hausse des tarifs douaniers sur les produits des pays émergents et européens.
Quelles sont les perspectives du dollar et des taux courts américains?
Avec une inflation supérieure, les taux directeurs pourraient moins baisser que prévu en cas de victoire de Trump. Nous spécialistes des changes ont un objectif de 1,08 contre l’euro à 12 mois, ce qui correspond au niveau actuel. Deux effets se compensent. Les baisses de taux seront plus fortes que dans la zone euro mais la dynamique économique sera plus favorable au dollar. Avec Kamala Harris, la tendance ne serait pas différente.