Les actions suisses plutôt que les européennes

Emmanuel Garessus

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Les sociétés suisses ont l’avantage d’être plus internationales, selon Stefan Frischknecht, de Schroders.

Les résultats de grands noms de la cote suisse ont déçu, affirme à Allnews Stefan Frischknecht, de Schroders. Le gérant en actions suisses fait le point sur les principaux secteurs du marché et sur les perspectives pour 2023.

Quelles leçons tirez-vous des premiers résultats d’entreprises suisses cette année?

Les résultats des groupes suisses semblent moins favorables cette année que ceux du début de l’an dernier ou que ceux des sociétés américaines. Aux Etats-Unis, les bénéfices dépassent généralement les attentes.

En Suisse, trois grands noms de la cote ont déçu. Geberit a publié un chiffre d’affaires inférieur aux prévisions, mais l’action s’est appréciée. Il en est allé de même pour Richemont. Dans les deux cas, le marché a supposé que le pire était passé. La troisième déception est venue de Logitech. Son chiffre d’affaires a nettement reculé par rapport à un exercice 2021 particulièrement favorable puisque les ventes avaient presque doublé durant la pandémie. Le groupe romand profitait de la tendance au télétravail ainsi que de la hausse des jeux vidéos. La bourse a très négativement réagi, partant de l’idée que l’amélioration des affaires de Logitech prendra du temps. La reprise dépendra du processus de renouvellement des équipements.

Logitech reste un investissement de qualité à long terme. Le monde deviendra toujours plus numérique, au bureau comme à la maison.

Est-ce que vous achetez uniquement les leaders mondiaux dans leur domaine, comme VAT ou Sika, ou également des titres momentanément sous-évalués?

Les deux catégories. Nous privilégions les leaders, mais pas  à n’importe quel prix. Lonza, Sika, Straumann, Givaudan, VAT étaient trop chères à la fin 2021 si bien que nous avons réduit les positions dans quelques-uns de ces titres. Nous sommes avant tout attentifs au prix.

Est-ce qu’aujourd’hui vous êtes plutôt haussiers sur les actions suisses?

La plupart des stratégistes s’attendent à un premier semestre compliqué et à une hausse au deuxième semestre. Lorsque tout le monde partage un scénario, la bourse prend souvent une voie différente. Nous sommes agnostiques. Nous pensons que le cru 2023 sera très volatile. Les signes de reprise économique pousseront les cours à la hausse, mais les moments de repli ne manqueront pas.

Le sentiment change très vite. Le pessimisme était quasi unanime en octobre. Trois mois plus tard, on parle d’un atterrissage en douceur en Europe et aux Etats-Unis. Je ne crois pas que nous ayons vu les plus bas des indices en octobre dernier. Nous avons connu trop d’excès ces dernières années pour croire que leur résorption se fera sans douleur. Les marchés font parfois penser à des individus accoutumés aux drogues. S’ils sont subitement privés de leurs substances, les effets secondaires sont nombreux. Les marchés ont trop longtemps et trop fortement été dopés par les politiques monétaires. Nous n’avons pas connu de vraie récession depuis 2009. Nous pouvons l’éviter encore cette année. Mais il est très peu vraisemblable qu’il n’y en ait pas ces trois prochaines années.

Nous sommes très sélectifs face à un environnement qui promet d’être volatile.
Privilégiez-vous une branche d’activité particulière?

Nous sommes très sélectifs face à un environnement qui promet d’être volatile.

La Suisse est très dépendante de la santé (Pharma, medtech, biotech). Lesquels sont vos favoris dans cette branche?

Les deux grandes pharmas se sont bien comportées sous l’angle du rapport risque/rendement. Roche et Novartis restent innovantes et attrayantes. Elles ne sont pas trop chères. Les biotechs suisses sont souvent dépendantes du sort d’un seul produit. Au cours des 5 dernières années, Basilea Pharma a perdu 34%, Cosmo 57%, Evolva 74%, Addex 96%, alors que Roche et Novartis sont parvenues à suivre la tendance haussière de l’indice. Le rapport risque/rendement de la biotech est donc décevant, à l’exception d’Idorsia, plus diversifiée.

Basilea est entrée en bourse en 2006 en promettant qu’elle serait bénéficiaire dans les trois ans et elle ne l’est pas encore. Ses produits sont excellents, mais l’entreprise a financé un nombre probablement excessif de projets en développement. Après avoir réalisé ces projets, finalement la profitabilité de l’entreprise pourra être envisagée en 2023 ou 2024.

Qu’en est-il de la medtech et des sous-traitants de la pharma?

La medtech n’a pas le problème de l’échéance des brevets. Les produits peuvent être sans cesse améliorés. L’innovation et la qualité priment. Straumann, Sonova, Medacta sont des titres de croissance et des sociétés très profitables. Leurs perspectives sont meilleures que celles de la pharma. Leur valorisation est toutefois élevée. Celle des sous-traitants, de Bachem à Siegfried, Polypeptide, Dottikon ou Lonza, est encore plus chère que celle de la medtech. Le multiple des bénéfices de Bachem s’élève presque à 60 (pour les bénéfices 2022), soit environ 4 fois celui de Roche et Novartis.

Ces sous-traitants sont toutefois attrayants. Les géants de la pharma ne veulent plus construire leurs propres usines de production pour chaque molécule et préfèrent déléguer ce travail aux sous-traitants. Ces derniers peuvent les fabriquer à de meilleurs coûts. Et si une substance ne peut pas être commercialisée, ils peuvent réorienter leurs capacités et produire des molécules d’autres pharmas. Mais leur croissance ne pourra pas éternellement dépasser celle de la pharma elle-même.

Quels seront les conséquences de la déglobalisation et des relocalisations pour les actions suisses?

La déglobalisation comporte plusieurs aspects. Les Etats-Unis veulent rapatrier différentes activités, notamment dans l’informatique. Mais il est difficile de nommer les sous-traitants suisses qui pourront en profiter. Je ne m’inquiète pas pour les sociétés suisses parce qu’elles ont depuis longtemps décidé de produire au plus près de leurs clients. Elles répondent mieux aux besoins particuliers des clients locaux et leurs coûts de production sont compétitifs. Les PME suisses sont d’ailleurs étonnamment internationales. A long terme, la performance des actions suisses sera supérieure à celle des sociétés européennes précisément parce qu’elles sont plus internationales.

Pourquoi est-ce déterminant?

Si vous créez une entreprise en Suisse, vous pouvez soit vous concentrer sur le marché domestique soit tenter votre chance à l’international. Ceux qui se lancent sur les marchés internationaux doivent être plus compétitifs que les Allemands en Allemagne ou les Américains aux Etats-Unis. Un  groupe suisse a l’avantage d’être forcé d’être concurrentiel sur les marchés globaux. Cela l’amène  aussi à se spécialiser sur une niche précise.

Kuehne + Nagel ou DKSH ne sont-elles pas directement dépendantes du volume des échanges?

Oui et non. C’est vrai pour Kuehne + Nagel si les exportations chinoises vers les Etats-Unis sont sous pression. Mais le covid a montré que le monde est si interconnecté qu’il ne peut y avoir de désimbrication. Je citerai l’exemple d’un sous-traitant de la pharma qui fabrique des produits emballés dans des sacs en plastique fermés au sommet par une agrafe. Cette dernière est produite en Chine. Durant la crise récente, le produit na pas pu être livré uniquement parce que l’agrafe ne pouvait plus être livrée de Chine.

La déglobalisation n’est pas un défi économique, mais un problème politique à travers les mesures protectionnistes et les incertitudes qu’elles créent pour les entreprises.

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