Le grand retour des obligations?

Nicolette de Joncaire

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«Le marché obligataire est passé en un an du plus cher au moins cher, une première en 25 ans», Peter de Coensel de DPAM.

«2022 restera dans les esprits comme l’année au cours de laquelle les marchés obligataires ont subi le plus grand bouleversement de l’histoire de la finance». C’est ainsi que Peter de Coensel, CEO de DPAM depuis un an, résume l’année. Il est vrai que l’incroyable rapidité de l’escalade des taux depuis mars est inégalée, ce auquel est particulièrement sensible celui qui fut, pendant plus de dix ans, responsable des produits de fixed income au sein de la société d’asset management belge. Entretien.

Vous êtes CEO de DPAM depuis à peine plus d’un an, quels sont les éléments clé de votre premier bilan?

Notre secteur est en train de changer de nature. Depuis 2008, les banques centrales ont été les grands créateurs de liquidité, mais aussi de performance et d’une inflation au niveau des actifs. En 2022, nous sommes entrés dans un autre monde: l’industrie de la gestion est désormais confrontée à l’inflation réelle et non plus à l’inflation des seuls actifs. Aucune classe d’actifs n’a pu résister à la hausse fulgurante des taux qui a affecté aussi bien les marchés actions que ceux du crédit et, avec un peu de retard, ceux du private equity. Les revenus de l’industrie de la gestion découlent de la marge de gestion, sans contrôle du prix final. Avec la baisse de la valeur des actifs et l’accroissement des couts dû à l’inflation, cette marge s’est considérablement rétrécie et il est difficile de prévoir quand cela va s’arrêter. Toutefois, être entouré de professionnels de qualité, tant en Europe qu’en Asie, m’a permis de vivre cette première année en tant que CEO de DPAM dans la sérénité. Je suis confiant dans notre capacité de résilience.

Comment percevez-vous les mois à venir?

Grâce à la fermeté des banques centrales, la dynamique inflationniste appartient déjà au passé. Leur capacité d’intervention et leur efficacité restent intactes. Observez comment la Banque d’Angleterre a réussi à juguler d’un coup la crise des gilts. Le point de mire sera dorénavant la récession des économies due à un resserrement des conditions financières, inédit depuis 40 ans Notez toutefois que l’inflation est très fragmentée en Europe: 6% en France, 10% en Allemagne, 17% en Hollande ce qui nécessitera une harmonisation intelligente des politiques européennes. Aux Etats-Unis les taux hypothécaires atteignent déjà 7,25% ce qui va affecter le marché de l’emploi et aura un effet déflationniste dès 2023.

Pendant très longtemps, priorité a été accordée à la rémunération du capital et non à celle du travail.
Les banques centrales ne devront-elles pas modérer les hausses de taux pour ne pas peser sur le service des dettes publiques, en particulier en Europe?

La duration de la dette souveraine, de manière générale, s’est allongée à 10 ans et, par conséquent, les hausses de taux ne présentent pas de problème immédiat. L’augmentation des taux de cette année n’a pas eu d’effet systémique et les taux directeurs ne dépasseront pas 5% aux Etats-Unis et 4% en Europe car les effets pervers seraient trop importants. Donc les banques centrales ne pousseront pas trop fort, d’après moi. Elles resteront agressives pour combattre l’inflation mais dans certaines limites. Des taux de l’ordre de 2,75 à 3% en Europe ne compromettraient en rien l’union monétaire. Par ailleurs les émissions de l’eurozone vont se multiplier que ce soit pour financer la décarbonisation ou la progression du digital. Je suis confiant.

La pénurie de main d’œuvre post-pandémie ne sera-t-elle pars un accélérateur d’inflation?

Pendant très longtemps, priorité a été accordée à la rémunération du capital et non à celle du travail. Le respect d’une rémunération correcte est devenu plus important mais la remontée du taux de rétribution horaire n’aura que peu d’impact car il concerne essentiellement les faibles revenus et sa portée inflationniste reste limitée. Elle devrait se situer en moyenne aux alentours de 5,5% avec, toutefois, une dispersion très importante selon les régions et selon les secteurs. Cette moyenne va de nouveau diminuer avec les hausses futures de la productivité. Il sera donc difficile de maintenir des taux de chômage bas, comme par exemple les 3,5% aux Etats-Unis. Si toutefois l’inflation perdurait aux niveaux actuels sans que la productivité n’augmente, nous aurions effectivement un problème.

La croissance américaine parait résister.

Elle est largement due à la reconstitution des stocks et aux exportations – celles des armes par exemple –, et ce malgré un dollar fort. Mais le taux d’épargne est en baisse et la dynamique positive est terminée.

Pensez-vous qu’un échec partiel des Démocrates aux élections de mid-term pourraient compromettre les plans de développement mis en place, en particulier sur l’infrastructure?

Non, je ne pense pas. Ces plans ont recueilli l’adhésion des deux partis et ne seront pas, dans leur ensemble, remis en cause.

Quel impact a et aura la guerre en Ukraine?

L’impact est extrêmement variable et la complexité vient des sanctions qui ne sont pas appliquées par une très grande partie des pays. C’est donc surtout l’Europe qui est touchée.

Comment gérez-vous votre allocation dans ces circonstances difficiles?

Le marché obligataire est passé en un an du plus cher au moins cher, une première en 25 ans. Le cycle haussier des obligations a donc commencé. Nous avons donc sous-pondéré les actions et clôturé la sous-pondération des obligations, sans toutefois nous positionner sur le marché high yield. Sont privilégiées les industries qui résistent bien aux chocs de taux et non les sociétés de croissance. La performance étant extrêmement dispersée, il faut se demander où vont se trouver les valorisations. La décollecte a été considérable et les marchés sont pires qu’en 2008 avec des actions et des obligations qui se sont effondrées simultanément. Quand les investisseurs reviendront, probablement en masse comme c’est souvent le cas, toutes les classes d’actifs vont remonter. 2023 devrait être une très bonne année et offrir d’excellentes opportunités aux investisseurs qui ont gardé leur sang-froid. Reste la difficulté du market timing: entrer maintenant? entrer plus tard? Il faut avoir le courage de s’engager et d’avoir tort pendant 6 mois ou 1 an; c’est l’une des caractéristiques d’un gestionnaire actif.

L’histoire de DPAM est celle d’un engagement envers l’ESG. Comment cela se reflète-t-il en pratique?

Ce qui nous importe en tant que gestionnaire d’actifs est que tout se passe «bottom-up», à partir d’une réflexion de fond au cœur de gestion. Il faut donc avoir une capacité d’interprétation qualitative et un dialogue avec les entreprises dans lesquelles nous investissons tout au long du cycle d’investissement c’est-à-dire sur un horizon long de 5 à 7 ans. Les analyses environnementale ou sociale doivent se trouver au même rang que l’analyse financière car les notations par les agences se sont révélées insuffisantes. L’évolution des lois européennes rendra notre tâche plus aisée: je pense, par exemple, à l’adoption par le Parlement européen de la loi sur les règles relatives au respect des droits de l'homme et de l'environnement par les entreprises de plus de 250 employés dans les chaînes de valeur mondiales.

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