La pierre: un pari toujours gagnant à long terme

Gérard Reber

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«Acheter un bien immobilier aujourd’hui est certes plus coûteux qu’il y a quelques années, mais probablement moins cher que dans 10 ou 20 ans», estime Romain Dequesne, CEO de Resolve.

 

Dans son dernier rapport sur l’immobilier, Raiffeisen lance un cri d’alerte concernant la situation en Suisse. Faute de logements en nombre suffisant, le marché serait devenu tellement dysfonctionnel qu’il contraindrait les Suisses à modifier leurs projets de déménagement. «C’est une réalité. Les terrains deviennent rares, le refinancement est plus difficile et les procédures d’autorisation restent longues et complexes, en particulier en Suisse Romande», explique Romain Dequesne. CEO de Resolve, premier courtier hypothécaire indépendant en Suisse, ce dernier nous livre son analyse sur l’état actuel du marché. Entretien.

Commençons par la situation du marché immobilier. En Suisse, sommes-nous en situation de pénurie ou non, comme le laisse entendre Raiffeisen?

Le marché immobilier suisse n’est pas en situation de pénurie généralisée, mais il est tendu dans certaines régions. Notre rapport montre une forte activité sur le marché hypothécaire résidentiel, avec un rebond des transactions proche des niveaux pré-COVID et une croissance des nouvelles constructions. Les prix se stabilisent dans des régions comme Zurich ou la Suisse centrale, mais restent élevés dans des zones à forte demande, comme le bassin lémanique. Cependant, le marché des biens de rendement (non résidentiels) est sous pression, avec moins de transactions et des évaluations bancaires plus conservatrices, ce qui peut donner l’impression d’une pénurie dans ce segment spécifique.

Et quelle est la situation spécifique en Suisse romande?

En Suisse romande, le marché est dynamique mais complexe, particulièrement dans le canton de Vaud, où la forte demande autour du lac Léman maintient des prix élevés. Cela restreint l’accès à la propriété, surtout pour les primo-accédants, en raison d’exigences bancaires plus strictes. Le littoral neuchâtelois continue d’enregistrer un volume élevé de transactions. Le principal problème: la valorisation des objets. Les biens non résidentiels (bureaux, commerces) rencontrent d’importantes difficultés, avec un faible appétit des prêteurs.

De quelle manière l’évolution du marché influence-t-elle les taux hypothécaires?

L’absence de pénurie généralisée dans le segment résidentiel maintient une certaine concurrence entre les prêteurs, ce qui limite la hausse des taux hypothécaires. Les taux SARON (1,19%) restent très compétitifs par rapport aux taux fixes à 10 ans (1,62%), reflétant un marché actif. Cependant, la réduction de la concurrence – notamment pour les biens de rendement – ainsi que l’augmentation des marges bancaires (environ 1%, contre 0,5% avant 2024) exercent une pression à la hausse sur les taux, en particulier pour les segments à risque. La forte demande dans certaines régions peut également accentuer les écarts de taux entre les meilleures et les moins bonnes offres.

Dans votre propre rapport, vous montrez que le taux SARON est aujourd’hui plus intéressant qu’un emprunt à taux fixe moyen sur 10 ans, mais votre comparaison ne couvre qu’une seule année… Si l’on remonte sur les dix dernières années, quel taux s’est réellement avéré le plus avantageux sur le long terme?

Actuellement, les taux SARON (base de 0,25% + marge de 0,94% au T1 2025) sont plus avantageux que les taux fixes à 10 ans, avec une économie annuelle d’environ 4’500 CHF (calculée sur une hypothèque moyenne d’environ 900’000 CHF).

Sur le long terme, les taux SARON – étant variables – ont tendance à être plus volatils et peuvent dépasser les taux fixes en période de hausse des taux directeurs. Historiquement, les taux fixes ont souvent offert davantage de stabilité et des coûts plus prévisibles. Toutefois, en l’absence de données précises sur l’ensemble de la décennie, il est difficile de trancher. La forte préférence des clients pour les taux fixes (89% au T1 2025) suggère un besoin de sécurité à long terme.

En règle générale, le taux SARON est plutôt privilégié par l’investisseur qui suit les taux tous les jours. Le taux fixe reste préféré pour les familles et la résidence principale. A noter que de nombreux clients ont raté l’opportunité du siècle en ne bloquant par leurs taux entre 2019 et 2021 (taux 10 ans et plus inférieur à 1%) pensant qu’ils ne remonteraient jamais.

Avec la disparition de Credit Suisse, le marché a perdu un acteur majeur. Est-il encore réellement possible de faire jouer la concurrence pour obtenir une hypothèque en Suisse?

Oui, il est toujours possible de faire jouer la concurrence, mais le marché est devenu moins compétitif. Le rapport relève un écart de taux d’intérêt entre prêteurs supérieur à 1%, contre 0,8% au T1 2024, ce qui représente des économies potentielles de plus de 9’000 CHF par an (sur la même hypothèque moyenne de 900’000 CHF). Cependant, la fusion avec Credit Suisse a entraîné un arriéré de transactions en 2024 et une diminution de la concurrence, notamment en raison du recentrage des banques cantonales sur leur région et de la moindre activité des compagnies d’assurance. Malgré cela, le segment résidentiel demeure attractif pour les grandes banques, et les taux d’approbation élevés (supérieurs à 95%) montrent que des opportunités existent encore pour les emprunteurs bien préparés.

Entre acteurs du marché, vous évoquez des différences de prix pouvant atteindre 9’000 CHF… Comment expliquez-vous un tel écart, et avec quel niveau de risque supplémentaire?

Nous ne pensons pas que le risque moyen des dossiers ait évolué de manière significative sur le marché. Cette différence s’explique par une concurrence inégale entre les prêteurs et des stratégies de tarification divergentes. Les meilleures offres (taux autour de 1,27% pour le résidentiel) émanent de prêteurs agressifs – souvent de grandes banques ou des acteurs régionaux présents dans des marchés dynamiques. Les moins bonnes offres (jusqu’à 2,31% pour le résidentiel, 2,99% pour les biens de rendement) proviennent de prêteurs plus prudents, comme certaines banques locales, qui appliquent des marges plus élevées ou ciblent des profils à risque.

À noter que les assureurs ne sont ni les plus chers ni les moins chers, mais simplement moins actifs. Le risque supplémentaire reste limité dans le segment résidentiel, où les évaluations bancaires sont alignées avec les prix de transaction dans plus de 95% des cas. En revanche, pour les biens de rendement, les taux plus élevés reflètent un risque perçu plus important, lié à des évaluations conservatrices et aux exigences de la réglementation Bâle III.

La hausse continue des prêts dépasse largement celle des salaires en Suisse… Devenir propriétaire est-il encore possible sans disposer de moyens privés considérables?

Devenir propriétaire reste possible, mais cela devient de plus en plus difficile sans moyens privés significatifs. La taille moyenne des prêts hypothécaires résidentiels a augmenté de 5% en un an (684’000 CHF), portée par l’inflation des prix immobiliers, tandis que les salaires progressent plus lentement. Les exigences bancaires plus strictes, notamment en Suisse romande, compliquent l’accès à la propriété pour les primo-accédants.

Cependant, les taux d’approbation élevés (plus de 95%) et l’accès à des taux compétitifs – avec un SARON à 1,19% – montrent que les emprunteurs bien préparés, disposant d’un apport suffisant et d’un bon dossier, peuvent encore accéder à la propriété, surtout dans des régions moins tendues comme la Suisse centrale. Au cours des dernières semaines, nous avons observé un taux fixe à 10 ans de 1,34%.

Dans un contexte de surenchère des prix, est-ce vraiment le bon moment pour investir dans la pierre?

Cela dépend avant tout de l’horizon d’investissement. Acheter aujourd’hui est certes plus coûteux qu’il y a quelques années, mais probablement moins cher que dans 10 ou 20 ans. Le territoire suisse n’étant pas extensible, il est fort probable que les prix continueront d’augmenter à long terme. De plus, en raison de la densification, certains types de biens – comme les villas individuelles – deviendront extrêmement rares.

Nous ne sommes pas dans une situation de surenchère généralisée, mais plutôt face à une forte demande localisée dans certaines régions. Pour le segment résidentiel, l’investissement reste attractif: les prix se stabilisent dans des zones comme Zurich ou Berne, et les taux hypothécaires demeurent compétitifs. Le marché immobilier résidentiel, qui représente 61% du marché hypothécaire suisse, affiche de solides performances, proches de niveaux historiques. Les transactions sont en hausse, et les nouvelles constructions contribuent à renforcer l’offre.

En revanche, le marché des biens de rendement (bureaux, commerces) est sous pression: les volumes de transactions sont limités et les évaluations bancaires, plus conservatrices, compliquent l’accès au financement.

Quelles sont les régions du pays à privilégier pour un investissement immobilier?

Pour le résidentiel, Zurich, Berne, Bâle et la Suisse centrale (Zoug, Schwytz) sont particulièrement attractifs grâce à des marchés stables, une forte demande et une concurrence saine entre les prêteurs. Le canton de Vaud reste dynamique, mais les prix élevés et les exigences bancaires strictes rendent l’accès à la propriété plus sélectif.

Dans les stations de ski valaisannes, la forte concurrence entre acheteurs crée des opportunités intéressantes. En revanche, le plateau valaisan reste plus prudent, avec un marché moins actif. À l’inverse, le Tessin, Uri et les Grisons présentent des volumes de transactions faibles et des prix en recul, ce qui les rend moins attractifs en raison d’une concurrence limitée entre prêteurs.

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